Le cidre de glace serait-il victime de son succès ? Apparemment, c'est le cas, et ce succès est en train de tourner en querelle de clocher entre puristes et géants de l'industrie.

Comme c'est toujours le cas au Québec, l'État n'est jamais très loin lorsqu'il est question d'alcool et d'industries des produits alcoolisés et c'est d'ailleurs le gouvernement qui devra trancher le différend dans le monde du cidre.

Comme ma collègue Stéphanie Bérubé l'a expliqué dans nos pages en juin dernier, les deux plus importants (en quantité) producteurs de cidre de glace, le Domaine Pinnacle et La Face cachée de la pomme demandent à Québec de modifier le règlement qui oblige les producteurs à utiliser leurs pommes et à les presser sur place.

Pour les deux géants du cidre, qui font environ la moitié des 700 000 bouteilles produites par année au Québec, c'est une question de capacité à répondre à la demande.

Pour les petits producteurs, c'est une question de respect de l'authenticité de ce produit unique. Une question de rentabilité aussi, selon Patricio Brongo, propriétaire de la maison Antolino Brongo et porte-parole de la quarantaine de cidriculteurs regroupés dans une association québécoise.

«Nous travaillons en ce moment à la création d'une appellation, une IGP (indication géographique contrôlée), justement pour protéger le caractère de notre produit, explique M. Brongo. C'est important, le contrôle de la qualité. Surtout pour l'exportation. Et puis, si on inonde le marché de cidre de glace, les prix vont nécessairement baisser.»

Ce qui désole M. Brongo, c'est que le règlement obligeant les producteurs à presser les pommes à la ferme a été adopté en novembre dernier à la demande de l'industrie.

«Plusieurs producteurs ont dû investir pour acheter une presse pour se conformer au règlement qui risque d'être modifié même pas un an plus tard, ça n'a pas de sens», tonne M. Bongo.

Ironiquement, c'est donc la principale caractéristique du cidre de glace - son caractère unique et artisanal - qui se retrouve au centre des débats sur son avenir.

Débat politique

Du verger, ce débat est passé à l'arène politique. Il y a quelques semaines, les cidriculteurs ont rencontré Clément Gignac, ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, afin de le sensibiliser à leur cause.

«Malheureusement, ce qu'on entend, c'est que le MAPAQ (ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation) s'apprêterait à émettre un avis favorable à la modification du règlement, dit M. Brongo. Le ministre Gignac semblait réceptif à notre demande, mais on nous dit maintenant que les fonctionnaires auraient émis un avis favorable.»

Réponse officielle du cabinet de Clément Gignac :

> Les règles ont été établies en concertation avec l'Association des cidriculteurs artisans du Québec pour assurer une équité entre les producteurs artisans et les fabricants industriels.

> Les deux plus importants producteurs de cidre de glace ont demandé des assouplissements à la réglementation, soit d'éliminer l'obligation de presser les pommes sur le lieu de production et d'autoriser le pressage à forfait à l'extérieur du lieu de production.

> Les travaux d'analyse de ces demandes sont en cours avec la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ), le ministère des Finances et la Société des alcools du Québec (SAQ). Nous tenons à maintenir le caractère régional et artisanal de cette industrie dans le respect des règles applicables tout en promouvant son développement et sa croissance.

> Des recommandations seront formulées prochainement.

À suivre, donc, mais selon Patricio Brongo, «il est minuit moins une».