«Nous sommes dans la catastrophe.» Pierre Rabhi, l'un des pionniers de l'agriculture biologique en France, est de passage à Montréal pour le jour de la Terre, dont c'est aujourd'hui le 40e anniversaire. Ce fermier, philosophe, humaniste et écrivain parle de changements urgents... et pas nécessairement ceux auxquels on penserait d'emblée. Il donnera deux conférences au Jardin botanique, dont l'une ce soir.

Pierre Rabhi est né en Algérie dans les années 30. Adopté par des Européens à l'âge de 5 ans, il reçoit une éducation française. D'abord ouvrier dans une entreprise parisienne, il quitte la capitale avec sa femme, Michèle, pour s'installer en Ardèche. Ce retour à la terre lui révèle une agriculture basée sur la logique productiviste et le non-respect de la terre. Il découvre l'agriculture biologique dans les années 70 et l'applique avec succès sur sa petite ferme, où il cultive un potager et élève des chèvres. C'est sur cette ferme que grandiront les cinq enfants du couple.

 

Au début des années 80, il commence à mettre ses connaissances en agroécologie au profit de plusieurs projets de formation et de croissance, tant en Europe qu'en Afrique.

À la fin de la même décennie, il est reconnu comme expert international pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la désertification. Il participe à des programmes d'échelle mondiale, y compris sous l'égide de l'ONU. Après la création de l'association Terre et humanisme pour la transmission de l'éthique et de la pratique agroécologique, on le voit même faire un petit saut en politique, lorsqu'il présente sa candidature aux élections de 2002.

Après plus de 40 ans à défendre la nature, il fait un triste constat. «Hélas, nous sommes de plus en plus dans l'urgence du changement. L'éveil et la mobilisation ne se font pas au même rythme que la destruction. Aujourd'hui, nous sommes dans la catastrophe», a-t-il expliqué en entrevue téléphonique, hier après-midi.

Bien que son message écologique soit radical et qu'il n'hésite pas à suggérer que l'humanité pourrait ne pas survivre à l'exploitation abusive qu'elle fait de la Terre, M. Rabhi est avant tout porteur d'un message positif. Oui, le monde peut changer. D'abord à travers l'agroécologie, le travail de la terre dans le respect et dans l'esprit de la sauvegarde, plutôt qu'une agriculture chimique qui pollue et détruit. Il est bien conscient qu'en France, les politiques foncières ne permettent l'accès à la terre qu'aux plus riches, souvent des Européens du Nord qui en font des zones de loisir plutôt que d'agriculture. Alors il va voir ailleurs. En Europe de l'Est, par exemple.

Mais l'homme d'action est aussi un philosophe et, selon lui, la survie de l'humanité passe avant tout par une forme d'écologie humaine. Il raconte son récent passage à l'UNESCO, où on lui a demandé quelles actions concrètes devaient être prises au quotidien pour sauver la planète. Sur son blogue (pierrerabhi.org/blog), il répond que ça ne suffit plus de fermer le robinet et d'éteindre la lumière. «On peut manger bio, recycler son eau, se chauffer à l'énergie solaire et... exploiter son prochain. Moi, j'ai envie de dire: «Rentrez chez vous, réconciliez-vous avec les gens que vous aimez, dissipez tout ce qui vous est toxique, tout ce qui crée du mal-être et de la souffrance mutuelle. C'est là que se trouve le fondement de l'humanisme que vous souhaitez.»»

La popularité croissante de l'homme qui a inventé l'expression «sobriété heureuse» - cousine de la simplicité volontaire - l'encourage beaucoup. «Ma cote ne cesse d'augmenter!» lance-t-il, sans aucune vanité. L'agriculteur-conférencier a récemment été invité à parler au très puissant MEDEF (Mouvement des entreprises de France) et transmet régulièrement son message dans les grandes écoles. «Je n'ai jamais été autant écouté. Je suis comme un petit avocat de la terre. Un message qui a longtemps été marginal commence à faire son chemin. Et tout ce que je dis, je le fais. Je démontre par mes choix de vie qu'autre chose est possible.»

Sauf lorsqu'il doit prendre sa voiture... ou l'avion!

Réconcilier l'humain et la nature, ce soir, 19h30, et Penser et vivre autrement, le mercredi 28 avril, 19h30, à l'auditorium Henry-Teuscher du Jardin botanique de Montréal. Après chaque conférence, Pierre Rabhi et Serge Mongeau, auteur de La simplicité volontaire et l'un des fondateurs du Mouvement québécois pour une décroissance conviviale, seront disponibles pour une séance de signatures. Réservation des billets (places limitées): 514-868-3122  

300 activités

Pour son 15e anniversaire, la version québécoise du jour de la Terre recense 300 activités aux quatre coins du pays, d'une conférence sur la séquestration du carbone à l'INRS à une grande marche au centre-ville, en passant par de nombreux «lunchs sans déchets» dans les écoles, qui obligent les parents à se passer des si pratiques boîtes à jus.

Si le jour de la Terre est né en 1970 à Washington, il a fallu attendre les années 90 pour qu'il soit organisé ailleurs dans le monde. Cette année, le thème québécois est la biodiversité. On peut trouver le calendrier des activités à l'adresse suivante: www.jourdelaterre.org

Écolos avant la lettre

Pour fêter le jour de la Terre, le musée McCord organise une visite spéciale de l'exposition photographique Wathahine, consacrée aux femmes autochtones du Canada. La philosophie écologiste avant la lettre de la culture autochtone, notamment le mythe de la création qui explique que la terre est une femme, est décrite dans le cadre de trois visites guidées. Un atelier de fabrication de paniers tressés à partir de bandelettes de plastique recyclé, selon une tradition abenaki, a cours toute la journée.

Musée McCord: 514-398-7100