À l'aube de la paternité, le jeune romancier américain Jonathan Safran Foer a ressenti l'urgence de se pencher sur une question qui le turlupinait depuis longtemps. Faut-il manger les animaux? C'est devenu le titre de son premier essai, qui vient tout juste de paraître en français.

L'auteur des romans Tout est illuminé et Extrêmement fort et incroyablement près s'est lancé dans une vaste enquête qui a duré trois ans et qui l'a mené à visiter clandestinement une ferme industrielle, à fréquenter les abattoirs, à rencontrer des fermiers qui pratiquent encore l'élevage traditionnel, à lire recherche sur recherche, article sur article ainsi qu'une pléthore de thèses sur l'éthique animale et de traités philosophiques.

Si les faits exposés dans Faut-il manger des animaux? (en anglais: Eating Animals) ne sont pour la plupart pas nouveaux, ils ont le mérite d'avoir été recueillis avec rigueur. L'humour de Jonathan Safran Foer, son sens de la nuance, l'éclatement de la forme rendent la lecture du livre plutôt digeste. L'inconvénient pour les omnivores que nous sommes? Après la lecture détaillée des horreurs dont l'auteur a été témoin, on ne peut tout simplement plus feindre l'ignorance en commandant son hamburger au resto de bouffe-minute du coin.

Nous avons discuté de cet essai avec son auteur, que l'exercice a convaincu de devenir végétarien.

Q Eating Animals a paru en anglais à la fin de 2009. Plus d'un an plus tard, mesurez-vous un peu l'impact qu'il a pu avoir?

R Aux États-Unis, ce n'est pas difficile d'avoir un gros impact. Le défi, c'est d'avoir un impact durable. Je sens que le succès du livre se mesurera dans cinq ou 10 ans. De plus, c'est un sujet qui n'est ressenti de la même manière dans les universités et dans les petits villages de l'Amérique profonde, par exemple. Il y a encore beaucoup de chemin à faire. L'Allemagne, qui vient d'être frappée par un énorme scandale de dioxine retrouvée dans la graisse de porc et les oeufs, est très intéressée par mon livre en ce moment!

Q Comment expliquez-vous que nous continuions de manger autant de viande? Malgré toute l'information à laquelle nous avons accès depuis plusieurs années. Malgré les facteurs écologiques qui se sont récemment ajoutés au lot des arguments en faveur d'une réduction de notre consommation de viande.

R Parce qu'on est faible! Non, blague à part, je pense que bien des gens savent qu'il y a quelque chose qui cloche dans notre agriculture. Mais ce n'est pas tout le monde qui a accès à l'ensemble de l'information. Tous ne sont pas au courant de la manière dont les choses se passent réellement dans les fermes industrielles. On dit que le diable est dans les détails. Et ces détails, on tente de nous les cacher coûte que coûte.

Et puis il y a des tonnes de choses qui incitent les gens à continuer de manger de la viande. Ça sent bon, ça goûte bon, c'est la nourriture qu'on a mangée pendant l'enfance, on sait comment la cuisiner, etc.

Q Est-ce votre tête ou votre coeur qui a fini par vous convaincre de devenir végétarien?

R La tête, c'est sûr. Ce qui touche au coeur fait une très forte impression. N'importe quelle personne sensible serait dégoûtée de voir toutes les horreurs dont j'ai été témoin en visitant des fermes industrielles et des abattoirs. Mais c'est finalement dans ma tête que le changement s'est opéré. Il n'y a vraiment plus aucun argument en faveur de l'élevage industriel. À une certaine époque, on croyait que ce mode de production permettrait de nourrir la planète. Ça ne s'est pas avéré. Je fais souvent l'analogie avec le travail des enfants. Ce n'est pas parce que ça peut temporairement sauver la vie d'un petit garçon ou d'une petite fille de 5 ans que c'est correct et qu'il ne faut pas essayer de l'éradiquer.

Q Une solution?

R Manger moins de viande. La réponse n'est pas d'abandonner la viande complètement, même si, de mon côté, c'est ce que j'ai fait, au terme d'une enquête et d'une réflexion approfondies. Si les Américains coupaient un seul repas de viande par semaine, ça ferait déjà toute une différence, pour l'environnement, pour la santé et pour les conditions dans lesquels on élève les animaux.

Q Que pensez-vous de la méthode PETA et des groupes de défense des droits des animaux en général?

R La méthode PETA consiste à convaincre deux personnes en s'en aliénant huit. Et ça fonctionne. Mais le problème, c'est qu'on a maintenant besoin de ces autres personnes. La seule manière de mettre fin à l'élevage industriel est d'amener les gens à diminuer leur consommation de viande, puisque l'agriculture éthique et biologique n'aura jamais le même rendement que l'agriculture industrielle.

Q Sur quoi travaillez-vous maintenant?

R Je suis en train d'écrire mon troisième roman, qui parlera des jeunes dans l'Amérique d'aujourd'hui et de l'impact de l'internet sur leur réalité psychique. C'est une des retombées intéressantes de Faut-il manger des animaux?. Ça m'a donné envie de revenir à la fiction. J'aime la liberté que m'offre le roman. Ne pas avoir à me soucier des faits et des chiffres. Pouvoir être complètement fantaisiste et créatif. Ça me rend heureux.

Faut-il manger les animaux? de Jonathan Safran Foer, traduit de l'anglais par Gilles Berton et Raymond Clarinard, Éd. de l'Olivier, 362 p., 32,95$