Il est six heures du matin. Le ciel indigo commence à pâlir, la brume s'accroche encore aux branches des grands arbres qui surplombent les petites rues tranquilles de Luang Prabang, dans le nord du Laos. Dans l'aube, on distingue des silhouettes drapées de robes orange qui s'avancent en silence, en file indienne. Les moines bouddhistes, têtes rasées, vont nus pieds, accompagnés par des chiens errants qui gambadent à leurs côtés. Sur le bord du chemin, des femmes agenouillées sur des nattes ouvrent leurs petits paniers circulaires et se préparent à déposer une boulette de riz collant dans le bol d'aumône que chaque moine porte en bandoulière. Les plus jeunes ont droit à une gâterie: une banane.

Chaque matin, ils sont ainsi des centaines de bonzes à prendre part au rituel du tak bat (la quête matinale) dans les rues de Luang Prabang, surnommée la cité des moines, une ville de 25 000 habitants inscrite au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Elle compte une trentaine de temples, que les moines quittent au son du gong pour aller quérir leur pitance auprès des fidèles. Cette cérémonie illustre le lien étroit qui unit les religieux à la population locale. Par leur geste, les dévots veulent exprimer leur générosité, une qualité primordiale aux yeux des Laotiens. Les moines, quant à eux, promettent de se nourrir exclusivement de ces dons.

Les bouddhistes pratiquants commencent le soir la préparation du riz collant qui sera offert le lendemain. La préparation est longue: il faut d'abord retirer les impuretés du riz à la main, le rincer, le laisser tremper toute la nuit, puis le faire cuire à la vapeur au petit matin, avant le lever du soleil. Il sera ensuite distribué, encore chaud, une poignée à la fois, aux moines qui défilent. Le «vénérable» (maître) de chaque temple est en tête de son cortège et les novices, parfois âgés d'une dizaine d'années seulement, ferment la marche. À la fin du parcours, sur la rue Sisavangvong (l'artère principale), les moines dont le bol d'aumône déborde partagent leur butin avec leurs confrères qui en ont moins reçu. Et à la toute fin, des enfants pauvres, agenouillés sur le trottoir, tête baissée, reçoivent à leur tour quelques poignées de riz.

Le spectacle du tak bat est saisissant et incite au recueillement, mais sa sérénité est quelque peu gâchée par le tourisme de masse, qui a gagné Luang Prabang depuis quelques années. Des touristes braquent sans gêne la lentille de leur caméra au visage des moines, s'installent au milieu du parcours ou donnent du riz sans respecter les règles d'usage de ce rituel. Ces règles sont pourtant affichées dans les auberges de la ville: prendre des photos à distance seulement, ne pas gêner la procession des bonzes, se couvrir les épaules et les jambes, ne pas se positionner au-dessus des bonzes et éviter tout contact physique avec eux, surtout si vous êtes une femme. Les visiteurs peuvent faire des dons de riz s'ils le désirent, mais «seulement si cette offrande correspond à une démarche religieuse personnelle que vous pouvez pratiquer dans la dignité», précisent les règles. Il faut se déchausser pour participer à la cérémonie, et les femmes doivent être agenouillées. Tous les 28 jours, à la pleine lune, les dévots sont plus nombreux et offrent, en plus du riz, des bonbons, des gâteaux et de l'argent (pour permettre notamment à certains moines de payer leur téléphone portable!).

À découvrir lentement

Observer la quête matinale des moines est certainement un moment marquant de tout séjour à Luang Prabang, mais la ville a beaucoup plus à offrir. Impossible, d'ailleurs, d'y passer en coup de vent; cette ancienne capitale royale, qui a connu de belles années à l'époque de la colonie française, exige que l'on ralentisse le rythme, sous peine de rater complètement sa visite. Il faut flâner dans ses rues et ruelles, sentir l'odeur capiteuse des fleurs tropicales, rendre les sourires que les habitants distribuent généreusement.

Le centre de la ville est situé sur une péninsule, bordée au nord par le Mékong et au sud par la rivière Nam Khan. Son charme vient du mélange spectaculaire des architectures qu'on peut y observer: maisons traditionnelles laotiennes en bois, résidences coloniales à colonnades et balcons entourées de palmiers, et temples typiques aux toits recourbés, décorés de dorures et de magnifiques fresques.

Depuis son inscription au Patrimoine mondial de l'UNESCO, en 1995, la vieille ville de Luang Prabang est un site protégé. Ses rues, ses venelles et ses plus beaux bâtiments ont été restaurés. Mais plusieurs déplorent le fait qu'elle perde son âme en raison de l'afflux de touristes. On ne trouve dans la rue principale que des boutiques de souvenirs et des restaurants. De nombreuses familles ont quitté les anciens quartiers pour les faubourgs et les maisons ont été transformées en gîtes. Les moines devront-ils bientôt se rendre en procession jusque dans les banlieues pour suivre leurs bienfaiteurs?