En route vers les villages de la Chiquitania, nous nous sommes arrêtés dans une station-service. Une jeune pompiste, vêtue comme une serveuse de Hooters, a fait le plein. Dernier clin d'oeil de la vie moderne avant de rouler sur une piste de terre rouge bordée d'acacias et d'eucalyptus où les fardiers sud-américains roulent à tombeau ouvert. Visite d'une région surprenante pleine d'histoires fabuleuses.

Au coeur de la Chiquitania, une région sauvage et tropicale de la Bolivie, on trouve un chapelet de villages qui forment un monde à part. Fondés par des jésuites, qui voulaient y bâtir des «républiques de Dieu», sorte d'utopies terrestres du paradis, ils sont classés patrimoine mondial culturel depuis 1990 par l'UNESCO.

J'ai visité sept de ces villages créés entre 1691 et 1755 : San Javier, Concepción, Santa Ana, San Ignacio, San Rafael, San José de Chiquitos et Santiago de Chiquitos. Leurs églises ont toutes été restaurées, contrairement à celles du Paraguay qui ont inspiré le film Mission, de Roland Joffé, sur l'histoire des ces villages «idéaux».

Ces églises sont superbes, voire émouvantes, même quand on n'est pas particulièrement intéressé par ce qui touche à l'art religieux. Mais surtout, ce qui frappe c'est de voir comment les populations sont attachées à perpétuer ce legs des jésuites, à entretenir les édifices religieux, à transmettre l'art de la restauration, celui de la sculpture, celui de la peinture ou celui de la musique.

Cette volonté d'honorer l'oeuvre des jésuites et des métisses qui leur ont succédé vient du fait que les Chiquitanos, anciens nomades chasseurs-cueilleurs, leur sont redevables pour ce qu'ils ont appris et qui a amélioré leurs conditions de subsistance : l'élevage, l'agriculture et toutes sortes d'artisanats.

Les jésuites, contrairement aux autres ordres religieux, avaient le droit de commercer. Ils faisaient venir toutes sortes de biens d'Europe. Les Indiens ont ainsi pu s'approprier des objets et des techniques et ont conservé ce savoir-faire.

De plus, en évangélisant les Indiens, les jésuites leur ont évité l'esclavage, ce que les Espagnols n'ont jamais pardonné aux prêtres qu'ils ont fini par expulser en 1767.

Mais entre-temps, les jésuites ont à jamais manqué la Chiquitania de leur empreinte. Mis à part Ñuflo de Chavez, qui créa Santa Cruz de la Sierra sur le lieu actuel de San José de Chiquitos, en 1561, deux prêtres sont les vrais héros de l'Oriente : le père suisse Martin Schmid, qui introduisit la musique dans les missions au coeur du XVIIIe siècle, et un autre suisse, Hans Roth, architecte de leur rénovation de 1972 à 1999. Deux musées lui sont d'ailleurs consacrés à Concepción pour honorer sa mémoire et son oeuvre.

La cathédrale baroque de Concepción est splendide, avec ses colonnes torsadées en bois de soto, sa façade aux motifs orangés, son clocher séparé de l'édifice, son patio de verdure, son autel décoré de tableaux historiques et ses confessionnaux d'or et de brillance.

L'église de Santa Ana est plus rustique, avec ses chauves-souris voletant entre les colonnes tordues et les murs recouverts de micas. Son sacristain, Luis Rocha Peña, souhaite la bienvenue avec son violon, puis vous raconte « son » église, en présentant chaque recoin et finissant par le vieil orgue récemment réparé.

En cours de restauration, l'église de San José de Chiquitos est la seule en pierre dorée. Au coucher du soleil, sa triple façade illumine comme un bijou. À l'intérieur, des experts grattent, fouillent, font ressortir de vieilles peintures de l'époque des jésuites ou postérieure, comme ces soldats napoléoniens peints en 1810.

Dans les villages, on visite les ateliers d'artisanat (Santa Ana) ou de restauration du mobilier religieux (Concepción) qui permettent aux jeunes du coin d'acquérir une formation professionnelle.

Photo: Éric Clément, La Presse

La construction de l'église en pierre dorée de San José de Chiquitos débuta en 1750.

Le salut par la musique baroque

Quand Hans Roth est arrivé en Bolivie en 1972, il a trouvé 5000 partitions de musique baroque dans les églises de San Rafael, Santa Ana et San Ignacio. Quelques vieux Indiens connaissaient alors encore des chants de l'époque des jésuites. Certains jouaient du violon mais Roth relança l'enseignement musical dans les missions. En 1996, un festival international de musique baroque de la Chiquitania était créé. Il a lieu cette année du 22 avril au 2 mai.

À Concepción, à Santa Ana et à Santiago de Chiquitos, j'ai vu ces jeunes Chiquitanos (violonistes, violoncellistes ou choristes) répéter avec leur professeur. «Il y a maintenant 25 groupes de musique baroque dans la province de Santa Cruz et 2000 élèves inscrits dans les écoles de musique, dit Paula Aramoyo de Paz Soldán, la directrice de l'association culturelle qui organise le festival. Nos jeunes partent jouer à l'étranger, en Espagne, en France, en Allemagne, au Chili, en Argentine.»

Mais plus que de former de futurs musiciens professionnels, l'enseignement de la musique aux jeunes leur permet de se développer. «Santa Ana est un petit village, dit Mme Aramoyo de Paz Soldan. Voir comment des enfants de paysans vont changer grâce à cette musique baroque, c'est formidable.»

La nature et les gens

Les Chiquitanos sont souvent tranquilles, pas pressés, ouverts juste ce qu'il faut. Avec une espèce de retenue. Moins rudes que les montagnards des Andes, les Chiquitanos rencontrent relativement peu de touristes. Ils vendent et mendient donc moins. Plus indépendants, on les voit sur les routes, le fusil à l'épaule, partant chasser le jochi (agouti) ou l'orina (sorte de biche). Et comme Pitagoras, à San José de Chiquitos, ils vendent de la chicha (boisson locale) sur les places des villages.

Dans les coins isolés, les gens vivent encore dans des maisons en murs de pisé et aux toits couverts de palmes de motacú. On rencontre aussi des «collas», Indiens de l'Altiplano, qui campent dans la nature qu'ils défrichent, au grand dam des cambas.

Dans les villages les plus importants, les cambas découvrent le karaoké. Alors, le samedi, on les entend chanter tard dans la nuit.

À San José de Chiquitos, plus grosse population de la Chiquitania, pure laine et néo-Boliviens s'unissent depuis quelques mois pour développer le tourisme, en coordination avec des investisseurs de Santa Cruz. On part de loin. Même le maire traîne les pieds pour promouvoir le tourisme.

Du coup, à San José, c'est en mangeant au restaurant Sabor y Arte de Pierre Martinez et en dormant à l'hôtel Villa Chiquitana de Sophie et Jérôme Maurice qu'on prend connaissance des activités touristiques de la région. Des activités qu'ils sont les seuls à organiser pour l'instant.

Ainsi, Jérôme m'a emmené découvrir la communauté des mennonites, ces anabaptistes d'origine canadienne ou mexicaine qui parlent un vieil allemand et vivent reclus dans d'immenses territoires défrichés où ils font pousser des céréales. C'est tout un voyage dans le passé de les voir vivre à la dure, sans électricité, ni téléphone cellulaire ni automobiles. Certains d'entre eux sont néanmoins accueillants et ouverts.

À Santiago de Chiquitos, une balade de deux heures permet de contempler un panorama exceptionnel au Mirador du parc du Bosque Seco chiquitano, avec vue sur la vallée de Tucavaca et, au loin, le mythique parc du Pantanal.

Le village de Santiago, où quelques habitants s'efforcent de faire venir des touristes, est simple et tranquille. Un havre de paix. Une nuit passée là permet de voir le beau ciel étoilé et de goûter au fabuleux yogourt aux bleuets de Milton Whittaker, un quaker américain qui s'est établi avec sa famille à Santiago il y a plus de 40 ans.

Non loin de Santiago, le village d'Aguas Calientes a créé un parc où l'on peut se baigner dans des eaux chaudes en plein décor amazonien. Très agréable de se sentir aspiré dans les trous des sources thermales. Il faut juste éviter de laisser ses vêtements sur le bord, à cause des fourmis rouges...

Un arrêt au rocher El Portón est captivant pour le sanctuaire créé à la mémoire des victimes de l'éruption volcanique qui s'est produite à cet endroit en 1979. La chapelle contient des colonnes, des sculptures et des oeuvres en bois de toute beauté.

Sophie nous a menés sur le site de Santa Cruz de la Sierra, le premier établissement européen de la région avant que la ville ne déménage en 1596 sur son site actuel, 220 km à l'ouest. Tout près du site, une piscine municipale a été créée en pleine forêt. Rustique et inoubliable avec le chant des oiseaux.

Les animaux font partie du décor. Nous l'avons appris quand un troupeau de vaches zébus mené par des gauchos à cheval est venu à la rencontre de notre auto sur la piste. Quelque 200 bêtes à cornes autour de la voiture, quel spectacle !

Ce reportage a été effectué grâce aux aides de l'organisme bolivien CAINCO, de l'agence Chiquitania Voyages et de l'hôtel Villa Chiquitana.

Quelques adresses :

À Santa Cruz :

Gran Hotel Santa Cruz, Calle René Moreno 269

Tel: 333-488-11

Biocentro Güembé Mariposario: www.biocentroguembe.com

Chiquitania Voyages: www.chiquitania-voyages.com

À Concepción :

Hotel Chiquitos, Av. Monseñor Jorge Killian

Tél : 964-31-53

À San José de Chiquitos:

Hotel Villa Chiquitana, Calle 9 de Abril

www.villachiquitana.com

Tel: 778-55-803

À Santiago de Chiquitos:

Hotel Beula, Plaza principal

Tel: 331-362-74

À lire avant de partir:

Les missions jésuites, Philippe Lécrivain, Découvertes Gallimard, 2005

Misiones jesuíticas, Jaime Cisneros.

Las misiones jesuíticas de Chiquitos de Pedro Querejazu

Sur le web:

Santa Cruz: www.eventossantacruz.com

Blogue-trotter sur la Bolivie: blogue.cyberpresse.ca/trotter/category/bolivie

Quelques prix:

La Bolivie est un pays très bon marché pour un touriste canadien. On peut vivre comme les Boliviens pour très peu cher et quand on veut le maximum de luxe, on ne court pas la faillite.

- Hébergement : 4 $ à 55 $

- Repas : 2 $ à 15 $

- Vin au restaurant : 6 $ à 35 $ (grand cru) la bouteille

- Bière : 1 $ à 2,50 $

- Café : 1 $

- Jus : 1 $

- Essence : 0,55 $ le litre (pays producteur)

La Bolivie en chiffres

Population : 10 millions d'habitants

Superficie : 1 million km2

Neuf provinces: Santa Cruz, Beni, Pando, La Paz, Oruro, Cochabamba, Potosí, Tarija et Chuquisaca.

Langues: espagnol, quechua, aymara, guarani.

16% du territoire bolivien est classé zone protégée

Sixième pays au monde pour son nombre d'espèces d'oiseaux. Beaucoup de papillons dans la nature, des oiseaux, des pumas, des singes. Pas de danger quand on reste dans les sentiers battus.

Photo: Éric Clément, La Presse

Près du Mirador de Santiago de Chiquitos, on a une vue superbe sur la vallée de Tucavaca.