«Cet après-midi, nous visiterons un dzong», annonce le guide. Un quoi?

Construits au XVIIe siècle pour défendre les étroites vallées himalayennes du Bhoutan, les dzongs sont d'énormes forteresses aux murs inclinés vers l'intérieur et dotées d'une tour centrale aux toits étagés en avancée, comme ceux des temples. Elles ont perdu leur utilité militaire, mais elles conservent deux de leurs trois vocations d'origine: ce sont à la fois des centres administratifs et des monastères.

Dans le dzong de Paro, quelque 200 moines se partagent les lieux avec autant de fonctionnaires qui administrent le district. Une ligne invisible sépare l'espace séculier de celui réservé aux religieux. Comme le Tibet, avant l'invasion chinoise, le Bhoutan a longtemps été un pays théocratique où le je khenpo, chef de l'école bouddhiste des drukpa, qui est la religion d'État, dirigeait le pays. Même s'ils ne se mêlent plus officiellement de l'administration, les religieux, qui composent 6% de la population, conservent un immense prestige.

Photo: André Désiront, collaboration spéciale

L'ascension vers le col de Phunaka

Pour pénétrer dans le dzong de Paro, le guide enlève son kimono à carreaux celui de tous les jours pour en revêtir un autre: gris souris, orné de grands revers blancs aux manches. Il se pare d'une grande écharpe blanche. «En signe de respect», explique-t-il.

Mon guide, Karma, porte le costume traditionnel masculin, un kimono à motifs quadrillés qui tombe jusqu'aux genoux. Les femmes, elles, s'habillent d'une grande pièce de tissu drapée en robe. Les hommes laissent parfois tomber le haut du kimono et en nouent les manches autour de leur taille, dévoilant ainsi le t-shirt ou la chemise qu'ils portent dessous. Mais ils se rhabillent dès qu'ils entrent dans un édifice public: banque, magasin, restaurant... Ne pas le faire serait inconvenant.

Le roi, qui régnait en monarque absolu, s'est départi du pouvoir exécutif en 2005. Les premières élections démocratiques ont eu lieu en mars 2008. L'opinion publique n'en voyait pas l'utilité. «Tout marche si bien: pourquoi changer les choses?» demandaient les gens cités. «Parce que nous ne pouvons pas rester indéfiniment à l'écart du monde moderne!» a répondu le quatrième roi qui, depuis, a abdiqué en faveur de son fils.

Photo: André Désiront, La Presse

Sur le sentier du Druk Trek, à 4000 mètres d'altitude, dans une végétation de broussailles et de rhododendrons.

Le petit royaume enfoui dans les replis de l'Himalaya est donc devenu une monarchie constitutionnelle, mais le prestige royal reste intact. Le parti monarchiste a récolté 45 des 47 sièges à pourvoir à l'Assemblée nationale. Et son slogan électoral reprend le programme prôné par le souverain: «À la poursuite du bonheur national brut!» Un bonheur collectif qui repose sur quatre «piliers»: la préservation de la culture, celle de l'environnement (les forêts recouvrent 72% du territoire et une loi limite leur exploitation), le développement durable et la bonne gouvernance.

C'est qu'ici, tout le monde mange à sa faim. Il n'y a pas de mendiants et encore moins de sans-abri. Le pays est autosuffisant: les trois quarts de la main-d'oeuvre travaillent dans l'agriculture.

Les Bhoutanais se sentent différents et ils veulent le rester. La différence saute aux yeux, dès qu'on débarque de l'avion dans le seul aéroport du pays: celui de Paro. Le terminal ressemble davantage à un temple qu'à une aérogare. Dans la grande salle d'un autre âge où les voyageurs font la file pour le contrôle des passeports, une bannière proclame: «Welcome to the country of the Thunder Dragon.» Bienvenue au pays du Dragon tonnerre.

Photo: André Désiront, La Presse

Les femmes s'habillent d'une grande pièce de tissu drapée en robe.

La petite ville de Paro -25 000 habitants - a beau être la deuxième agglomération urbaine du pays, elle ressemble à un gros bourg. On n'y trouve aucune construction de plus de trois étages et tous les édifices sont de style traditionnel bhoutanais, avec leurs colombages aux poutres ouvragées et aux couleurs vives.

Avec ses 60 000 habitants, Thimphu, la capitale, a davantage l'air d'une ville. Mais on n'y trouve aucun feu rouge. Au milieu du carrefour principal, un kiosque de bois abrite le policier en uniforme bleu qui règle la circulation. La ville est d'ailleurs une invention récente, au Bhoutan. Voici 50 ans, il n'y avait que des fermes éparpillées dans les vallées et il y avait le dzong local. Thimphu a commencé à se développer dans les années 60. L'urbanisation de Paro date de 1985, deux ans après la construction de l'aéroport.

Photo: André Désiront, La Presse

Le pont couvert qui mène au dzong de Paro.

Le touriste qui arrive au Bhoutan pénètre dans un autre univers, à peine effleuré par le souffle de la mondialisation. Ce petit royaume himalayen, grand comme la Suisse et 10 fois moins peuplé (635 000 habitants) parviendra-t-il à rester une «société distincte» ? Les Bhoutanais le souhaitent ardemment, mais commencent à en douter.

La télévision, introduite en 1999, influe sur les mentalités. Les films et les téléséries produits à Bollywood déclenchent des passions.

Mais le grand vecteur du changement, c'est le téléphone cellulaire, introduit en 2003. Au grand désespoir de leurs aînés, les jeunes - ceux qui ont moins de 22 ou 23 ans - passent des heures à tripoter leur téléphone «intelligent». Alors que j'allumais mon micro-ordinateur de voyage pour lui montrer des photos que je venais de télécharger, un jeune moine m'a demandé si j'avais des jeux vidéo là-dedans. Et mon guide - un «vieux» traditionaliste de 30 ans! a levé les yeux au ciel en signe de découragement.

Photo: André Désiront, collaboration spéciale

Lopen Dondon, professeur au monastère de Phajoding, et ses élèves.

REPÈRES

Y aller

Un seul transporteur atterrit au Bhoutan: la compagnie nationale, Druk Air, qui exploite deux Airbus A319 et dessert Delhi, Bangkok, Dacca et Calcutta. Au départ de Montréal, le trajet le plus court consiste à voler vers Delhi (15 heures de vol sans compter l'escale de correspondance en Europe) et à prendre Druk Air, qui décolle de Delhi vers 5h du matin pour Paro (deux heures de vol, car il y a une escale à Katmandou).

Formalités

Le visa est délivré sur place après approbation préalable. Il faut en faire la demande par l'entremise d'une agence locale ou de son correspondant canadien (ou américain). Malheureusement, les voyageurs qui passent par l'Inde doivent aussi obtenir un visa pour ce pays. Il est délivré par le Haut-Commissariat de la république de l'Inde à Ottawa.

Langue

La langue nationale est le dzongkha, apparenté au tibétain. Mais aujourd'hui, l'enseignement est bilingue: dzongkha et anglais. Si bien qu'une grande partie de la population parle anglais.

Monnaie

Le ngultrum, dont le cours est aligné sur la roupie indienne, qui est aussi accepté dans tous les hôtels et commerces. On obtient 42 ngultrums pour 1$.

Nourriture

Le plat de tous les jours est une assiette de riz rose accompagné de viande en sauce (boeuf, poulet ou porc), et de plusieurs variétés de légumes, dont une préparation à base de têtes de fougères (nos têtes de violons) cuite dans une sauce au fromage très épicée.

Coût de la vie

Sur place, le coût de la vie est remarquablement bas. Un repas au restaurant coûte rarement plus de 10$, et une grande bouteille (600 ml) de bière locale (excellente) coûte entre 80 cents et 1,50$. Mais les services touristiques coûtent cher: un peu plus de 300$ par jour, ce qui comprend les trois repas, les services d'un guide et d'un chauffeur privé pour deux ou quatre personnes, et ceux d'une équipe de soutien lors d'un trek. Les tarifs sont fixés par le gouvernement. Un forfait de neuf jours (le plus courant, incluant des visites et des randonnées) coûte environ 5200$, avion compris.

Photo: André Désiront, La Prese

Que faire au Bhoutan?

Le forfait traditionnel est un circuit de neuf jours au cours desquels on visite les dzongs et les temples des trois vallées les plus peuplées, celles de Paro, Thimphu et Punakha. Il est agrémenté de quelques randonnées, notamment au temple le plus spectaculaire et le plus sacré du pays, celui de Taktsang, à une quinzaine de kilomètres de Paro. Il est accroché à une falaise à 3000 mètres d'altitude, au-dessus d'un précipice de 800 mètres. Pour l'atteindre, il faut grimper un étroit sentier. L'aller et le retour prennent environ cinq heures. Quelque 300 personnes - touristes et Bhoutanais - entreprennent l'ascension tous les jours, à pied et, pour une minorité, à dos de mule.

La moitié des touristes qui entrent au Bhoutan font un trek. Les agences locales proposent une dizaine de parcours d'une durée de deux à 24 jours. Hormis pour le Snowman Trek (le plus long et le plus exigeant, à des altitudes comprises entre 4500 et 5300 mètres), qu'il vaut mieux entreprendre entre juin et août, les périodes les plus favorables pour la marche en montagne sont le printemps (de la mi-mars à la mi-juin) et l'automne (septembre et octobre). En été, la mousson détrempe les chemins jusqu'à les rendre impraticables.

Les frais de ce voyage ont été payés par l'agence de voyages Uniktour, de Montréal.

Photo: André Désiront, collaboration spéciale