De la cuisine vietnamienne, tous connaissent les rouleaux de printemps, les soupes aux vermicelles et les sautés aux légumes et au porc. Des mets aisément exportables, car compatibles avec les moeurs gastronomiques du palais occidental. Mais le lointain pays d'Asie garde pour lui quelques denrées pour le moins... exotiques. Dans son périple de l'autre côté du globe, votre humble goûteur a voulu les découvrir. Coeurs sensibles s'abstenir.

Le relais gastronomique a commencé dans un fin restaurant de Hanoï. La spécialité? Le serpent. Pour nous accompagner, deux habitués de la place, Long et sa femme, Phuong.

 

Histoire de mettre les clients en appétit, s'entassent dans le vaste hall d'entrée du restaurant des cruches de différentes dimensions. Dans les cruches, des serpents fermentant dans l'alcool de riz vous regardent, parfois accompagnés d'autres bestioles entières (lézards, corbeaux, foetus de chiens, hippocampes) ou dépecées (pénis de cheval et têtes de chèvre).

Ragoûtant? Poser la question, c'est y répondre. Les comparses s'amusaient déjà de mon regard médusé. Et le goût? Celui d'un tord-boyaux. Mais les vertus médicinales de ce nectar que l'on retrouve partout dans le pays lui conféreraient sa valeur. Certaines bestioles sont bonnes pour le pancréas, d'autres pour la perte de cheveux, d'autres encore pour les performances de monsieur au lit. «Good for men!» Les vertus sont innombrables. Et plus ou moins consensuelles, le guide alimentaire vietnamien ne les ayant pas encore homologuées...

Une fois franchi le musée des horreurs, on s'attable. Un serveur s'approche aussitôt avec un serpent bien vivant. En un tournemain, le garçon zigouille le reptile d'un mètre et demi en faisant une incision au-dessous de sa mâchoire. Le sang est versé dans un verre, puis on fait de même avec la bile. Pour quoi faire? Eh bien, pour boire. Avec le fameux alcool de riz.

Mais je n'étais pas au bout de mes peines, puisque le garçon a ensuite déposé devant moi le coeur encore battant de l'animal. «Make men strong!» À ce rythme, j'allais sortir de table en véritable étalon. Un brin dédaigneux, j'ai toutefois tendu l'assiette à Long, on ne peut plus heureux de laisser le petit coeur entier descendre le long de son oesophage. Il paraît qu'on le sent battre...

Le serpent est ensuite arrivé sous différentes formes dans de multiples petites assiettes. Dans des nems frits, dans un sauté de légumes, dans une soupe gluante. Sans oublier la peau de serpent frite et les os écrasés et sautés dans la poêle, que l'on mange sur des craquelins de riz. Le goût? Grosso modo, celui du poulet, mais avec la consistance caoutchouteuse du calmar. Tout à fait acceptable.

Rex au menu

Pour la suite du relais, une spécialité du nord du pays pratiquement réservée aux hommes s'imposait : le chien. Pourquoi est-ce une affaire de mâles? «Make men strong!» Évidemment...

Suong, une jeune Hanoïenne qui m'avait confessé son appréciation pour la viande de canidé, m'a indiqué qu'il ne fallait pas en manger pendant les trois premiers jours du mois lunaire. «Ça porte malchance!» Sa voisine s'est immédiatement interposée pour spécifier que la période était plutôt de cinq jours. Après quelques échanges, les deux ont convenu que... ça dépendait. Comme pour l'alcool de riz ou pour tout autre objet de superstition, innombrables chez les Vietnamiens, les règles ne sont pas toujours très claires.

Les restaurants de chiens pullulant dans le nord-ouest de Hanoï, j'enfourchai mon vélo pour m'y rendre. Mais avec la chaleur, l'humidité et, disons-le, mes réticences «culturelles», mon appétit déjà incertain a flanché en cours de route. Une amie québécoise m'a cependant certifié que, à son avis, je n'avais pas loupé le festin de Babette. Le chien, riche en protéines, dégage une odeur assez forte en plus d'être coriace et d'avoir un goût prononcé. Voilà sûrement pourquoi la bête se mange arrosée de plusieurs bières ou d'alcool de riz.

Au retour de la randonnée, j'ai cependant eu une vision passablement commune dans les rues de Hanoï. Sur l'étal d'un boucher, un chien de petite taille - comme ils le sont toujours pour la consommation - avait été laqué et coupé en trois.

Mais n'allez pas croire que le chien n'a pas aussi le statut d'animal de compagnie au Viêtnam. Seulement, il n'est pas impossible que le gentil toutou finisse ses jours au milieu de la table, entouré de ses maîtres, baguettes à la main.