Je savais que j'allais m'amuser. La visite des gorilles au Rwanda est un cirque. Et qui n'a rien à voir avec les gorilles.

Résumé de l'opération : chaque jour, 56 visiteurs sont divisés en sept groupes. Ces 56 visiteurs, qui marchent entre une et cinq heures dans la montagne avec un guide, à la recherche des primates, ont payé 500 $ chacun pour passer une heure avec les gorilles.Le trek est qualifié de moyen à difficile.

L'organisation aussi.

À Ruhengeri, la ville de départ, il n'y a pas la moindre indication du bureau de l'ORTPN, l'office de tourisme qui gère l'aventure.

Une fois trouvé l'introuvable, on joint au téléphone le responsable absent dont le numéro de téléphone personnel est gribouillé sur une photocopie de face de gorille jaunie épinglée sur une porte de bécosse. Et on apprend qu'il n'existe pas de transport pour ceux qui veulent aller au camp de base, mais «ne font pas partie d'un groupe».

«Mes 500 piastres me donnent droit à quoi, au juste ?

- Une heure avec les gorilles.»

Mon transport, pour 80 $, ce sera donc le beau-frère du gars qui travaille à la réception de l'hôtel ; il arrive le lendemain matin avec 45 minutes de retard, dans un vieux RAV-4 dont la fenêtre du passager ne ferme plus qu'à moitié.

Nous parcourons 15 kilomètres.

Il fait frisquet. Mais rien pour écrire à sa mère. Pourtant, devant le camp, des dizaines de voyageurs sont vêtus comme s'ils allaient à la conquête du K2...

C'est un joli défilé de mode de trekkers.

On appelle mon nom. Je m'avance, on m'indique le groupe au fond, à gauche : un quatuor d'obèses australiens (ils sont quatre, obèses et australiens), fringués en « trekking 2009 dernier cri » flambant neuf de la tête aux pieds, qui me scrutent avec méfiance. Et un soupçon de mépris, ma foi...

Parce que je suis seul.

Je porte un imper en caoutchouc.

Et je suis en sandales.

Du coin de l'oeil, j'en vois un signaler au guide le fait que je ne suis pas chaussé de bottines... C'est pas sérieux !

J'imagine qu'il a peur que je retarde le groupe. Parce qu'on est pressé, of course ! J'ignore encore pourquoi, mais on a été pressé toute la maudite journée...

Alors que le guide s'apprête à souligner mon impertinence, une grande Américaine hystérique me sauve de l'opprobre lorsqu'elle débarque en état de crise et pleure à chaudes larmes, poursuivie par son copain qui essaie vainement de la consoler.

Le guide, inquiet, lui demande ce qui ne va pas. Entre deux sanglots, elle explique qu'elle est en voyage depuis deux semaines avec un groupe de 21 personnes, bou hou, et que maintenant, elle et son copain ont été séparés du groupe...

«C'est injuste ! Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas vivre l'aventure avec nos amis ?»

Le guide, très calme, lui explique une règle de mathématique très simple : 21, c'est plus que huit.

«Donc, votre groupe, madame, il faut le diviser.

- Oui, mais pourquoi moi, moi, moi ! Gnagnabouhou !»

La femme repousse son copain et court bouder dans le stationnement.

C'est troublant.

***

Le voyage en groupe crée parfois ce terrible sentiment d'insécurité chez certains individus, aussitôt qu'ils en sont isolés. Et c'est complètement farfelu lorsqu'on y songe bien : parce que d'être en tas n'a jamais empêché d'être atteint par une météorite, victime d'un tremblement de terre ou écrasé par un camion rempli de jouets chinois.Être en tas, ça empêche seulement d'être montré du doigt.

Parlant de camion, vous verriez (si ce n'est déjà fait) à bord de quoi se déplacent la plupart de ces groupes, en Afrique... Des vrais de vrais TRUCKS ! On les appelle les Overlanders. Comme les Transformers, ce sont de formidable «dix-roues» modifiés, métamorphosés en monstrueuses cabines de bronzage blindées avec plateforme à bronzage en avant et sur le dessus de la cabine, et tout le tour des fenêtres sans vitre, pour mieux bronzer. D'extraordinaires véhicules tout-terrain transformés en forteresses, avec des meurtrières assez hautes pour pouvoir prendre des photos sans demander la permission ; des Club Matante sur roues dans lesquels vous vous faites très organiser, du réveil au dodo. Tout ce qu'il vous reste à faire, c'est appliquer de la crème solaire. Ou presque.

«Steve ?

- Oui, mon monsieur le guide ?

- T'as mis tes souliers

en envers !

- Ah non ! Haut les mains ! Haut les mains...»

Et le meilleur dans tout ça, c'est qu'en voyageant à bord de ces chars d'assaut, vous n'aurez absolument aucun souci à vous faire avec les étrangers parce que vous ne rencontrerez personne.

***

Puis, un Japonais vient compléter notre joyeux groupe de huit, avec son coton ouaté turquoise du groupe Wham et ses pantalons «corduroy baggies» des années 90.

«Mon sac s'est perdu entre Tokyo et Kigali, et hier, j'étais à l'aéroport, en short et en t-shirt... Heureusement, j'ai rencontré des compatriotes japonais, qui avaient apporté des vêtements pour donner aux pauvres !»

Voilà.

La bande des huit. The Inglorious Bastards. Les Charlots au Rwanda.

C'est les gorilles qui vontse marrer. 

Photo: Bruno Blanchet, collaboration spéciale

Une famille de gorilles, au Rwanda.