Au Pérou, on ne s'ennuiera pas ! Après une dizaine de minutes de ciel en mode «SPIN», durant lesquelles nous nous demandons franchement si les ailes vont tenir le coup, l'avion plonge dans les nuages. Il bondit sur les cumulonimbus à deux ou trois reprises, avant de réussir à pénétrer la dépression.

Durant les 30 longues secondes suivantes, c'est la basculade dans les ténèbres : la tête tourne, les oreilles bouchent-débouchent-bouchent-débouchent, et nous avons l'impression affolante de nous enfoncer dans les eaux tumultueuses du Rio Inferno. Puis, la piste apparaît, dans la lumière crue des Andes, à 4000 mètres d'altitude.Bienvenue à Juliaca, aéroport officiel du lac Titicaca.

Là où les avions se posent, parfois.

***

«Vous avez été chanceux d'atterrir», nous dit avec un grand sourire le préposé aux sacs à vomi, en entrant dans l'avion pour ramasser les dégâts.

Tu parles.

Juste le temps de sortir de l'appareil, d'entrer au pas de course dans l'aéroport et, dehors, c'est la tempête de grêle qui éclate.

Sur le toit de tôle du hangar qui sert de terminal, un vacarme assourdissant nous accueille. Rataclatataclatata ! Comme une rafale de mitraillette. Comme un paquet de claques sur la gueule.

Dans l'aire d'arrivée, on se les gèle solide. Il doit faire 4 ou 5 degrés Celsius, au maximum. Évidemment, comme j'arrive de la forêt amazonienne, je suis en t-shirt et en short. Et LE sac à dos, celui avec mon polar et ma tuque dedans, sera le dernier à sortir de la soute. Je rage. J'enrhume. Pourtant, avec le temps, je devrais y être habitué ! Parce que je suis l'incarnation de la loi de Murphy : lorsqu'un système est apte à faillir, il faillira, devant moi.

Gaston Lagaffe peut aller se rhabiller !

Je vous le jure. Vous voulez être le dernier à passer à la douane ? Vous voulez être le dernier servi à la caisse ? Rien de plus simple : placez-vous derrière moi, dans la file d'attente que j'aurai choisie en croyant qu'elle serait la plus rapide... Dernier garanti ou argent remis ! Je suis tellement chanceux que, dans les faits, si je souhaitais gagner à la loterie un jour, il s'agirait simplement que je perde mon billet.

Heureusement, à côté du carrousel à bagages, un groupe de musiciens, The Huevos Locos, nous réchauffe le coeur, avec une guitare, un tambour et des jolies flûtes de Pan.

«Bienvenido !

- Viva el Peru !

- Muchas gracias !»

Génial ! C'est le début du cauchemar. Dans le minibus qui nous conduit à la ville de Puno, le conducteur profite d'une pause dans la conversation pour augmenter le volume de la radio.

Juste à temps pour le super méga-mix de DJ Banane, avec 30 minutes non stop de musique de flûte de Pan.

Nous arrivons à l'hôtel. Un chic établissement, au centre-ville, avec une grande boutique de souvenirs, de cartes postales, de figurines de lamas en poil de lama, de ponchos en poil d'alpaga, et de flûtes de Pan en trous de bois. Dans le hall, surprise, on joue la musique des Beatles.

À la flûte de Pan.

«Tuuu Tuuu tuuuuu....Tu tuu tuuu tuuu tu tuuuuuu tuu tu tuuuuuuu...».

Yesterday.

Nos hôtes nous servent un mate de coca, une infusion de feuilles de coca censée nous aider à supporter les malaises liés à l'altitude. J'enquête.

«Avez-vous quelque chose pour nous aider à endurer la flûte de Pan ?

- Disculpe, señor ?

- Comprenez : je suis allergique aux vieux chats quand ils me lèchent. Je suis allergique aux maringouins quand ils me piquent, et aux fraises, quand j'en mange trop. Mais je suis allergique à la flûte de Pan tout le temps ! À la flûte de Pan, je préfère le son d'un camion qui recule sur un chantier de construction. À la flûte de Pan, je préfère entendre deux voitures se foncer dedans ! À la flûte de Pan, je préfère le bruit de la pluie pendant une journée de vacances.

- Disculpe, señor ?

- ... Un mate de coca, s'il vous plaît.

- Si, señor.»

Au moins, je croyais que je n'aurais pas le mal de l'altitude.

J'ai tellement de choses à apprendre...