Un an plus tard. Mon fils est resplendissant. Heureux, souriant, droit comme un i! Et il a de quoi être fier, mon beau grand insignifiant... Parti seul en Australie sans aucune connaissance du terrain et sans véritable plan, il a réussi à se trouver du bon travail et à économiser une belle somme d'argent. Et cela, même si la vie au pays du koala est terriblement chère.

D'abord, parce qu'il a été sérieux, dans la mesure où c'est possible quand on fait partie de la famille Blanchet du côté de Bruno. Mais aussi grâce à certains boulots qui offrent aux jeunes migrants un logement bon marché - une habitation désignée chez nous sous le nom de «pas pire grande boîte en carton» - ou de la bouffe gratuite. Ou les deux. À 19$ de l'heure? Même en dollars australiens, c'est pas mal! Parce qu'en plus, t'apprends. T'apprends à travailler et à vivre en pays étranger, avec tout ce que cela suppose d'adaptation, d'isolement et de solitude; et rien que ça, ça vaut une grosse session de cégep. En plus de t'exercer à la maîtrise de l'anglais, avec un comique accent australien... Dans le cas de Boris, mêlé à son accent de Saint-Jérôme, c'est troublant! Personne ne prononce le mot kangourou comme lui! Mais il ne le sait pas. Et c'est trop drôle...

- Dis «kangourou», Boris.

- Kahingnguaeuroueuuuu...

- Ha ha!

- Quoi?

- Rien...

Sans oublier l'exotisme! À Monkey Mia, Boris devait chaque jour chasser les émeus qui entraient au resto pour essayer de voler de la bouffe; tous les matins, une bande de dauphins s'amenait à côté de chez lui, au bord de la plage (sa «boîte de carton» était à 10 mètres de l'océan) pour se faire flatter; et un après-midi, après une piqûre d'araignée monstrueuse, il a été forcé de prendre congé, parce que la tête lui tournait trop...

«Elle était plus grosse que ma main! Mais, j'ai été chanceux: ce sont les petites qui sont les plus venimeuses.»

Et l'aventure! En cuisine pour la première fois, Boris s'est électrocuté sur du 230, et il est entré d'urgence à l'hôpital pour vérifier si son coeur n'allait pas exploser.

«Méchant choc... J'ai eu le bras full engourdi pendant une semaine. J'avais de la misère à m'en servir!»

Une nuit, après un beach party, il a «piqué» la voiture du patron pour amener à la clinique un ami qui venait de se fouler la cheville en sautant du quai; et ils ont crevé, au milieu du désert.

«Sans lampe de poche! J'ai changé le pneu tout seul, dans le noir. Pas facile! Trouver le cric, poser le cric, trouver les outils... Surtout avec un bras engourdi.»

Puis, il s'est éclaté la lèvre en jouant au... cricket!

«C'est plate à regarder, mais c'est vraiment tripant à jouer. Faut juste pas recevoir la balle dans la face.»

Et une kyrielle d'autres péripéties, que je ne dévoilerai pas ici, parce que je sais que sa mère, inquiète, lit la chronique... Enfin, j'espère qu'elle la lit. Ça va, Barrette? Ton gars s'est mis à faire du portrait en noir et blanc. Il est plutôt doué, pour quelqu'un qui n'avait jamais tenu d'appareil photo. Je me demande bien de qui il tient ça! Pas de moi, en tous les cas. Faudrait l'encourager. Donne un gros bisou à Cécilia.

Finalement, le bonus pour Boris, c'est que grâce à ses quelques semaines passées à travailler bénévolement sur une ferme, il pourra légalement renouveler son visa de travail-vacances australien et y retourner, après son grand voyage en Asie. Il a maintenant prévu de partir, sac au dos, pour un an, le nouveau routard! Il a déjà traversé la Malaisie et m'a longuement parlé d'une expérience de plongée en apnée mémorable avec requins à Pulau Perhentian et d'une randonnée fort réussie dans le Taman Negara: seulement 12 morsures de sangsues.

Franchement, je suis impressionné. Il est beaucoup mieux organisé que son père, au même âge. Moi, à 22 ans, j'avais ramassé le tabac en Ontario et j'étais sitôt parti avec sa mère, dépenser les 2000$ au Mexique. Neuf mois plus tard, on s'était retrouvés avec un bébé sur les bras, un appartement sans chauffage angle De Maisonneuve et Bleury, et plus une cenne noire.

Mais le temps passe. Le bébé est devenu grand.

Et c'est accompagné de son vieux papa qu'il est allé virer dans l'île de Koh Chang, dans la baie de Thaïlande. Ensemble, ils ont vécu une autre singulière équipée, entre un million de méduses, un Big Pete déchaîné et des motos plein le fossé...

Bref, je vous le raconterai peut-être la semaine prochaine, parce qu'avec ma grande gueule, on a encore pris du retard, beaucoup de retard; et aujourd'hui, c'est sans mon fils, à 285 km/h, dans le Shinkansen, entre Tokyo et Kyoto que je vous écris tout ça.

En écoutant Travel is Dangerous, de Mogwai.

Dangereux?

Bien sûr. Quand on commence, impossible de s'arrêter.

Photo: Bruno Blanchet

Les souliers de Boris.