Il n'y a pas meilleure façon de comprendre l'histoire que de s'engager sur ses chemins et de rencontrer ses acteurs. C'est ce que nous permet le voyage, parfois mieux que tous les livres et que toutes les écoles.

Sur le terrain, l'histoire se présente comme un théâtre vivant et son scénario diffère souvent des versions officiellement acceptées dans les écrits. C'est du moins ce que j'ai découvert lors d'un séjour en Saskatchewan qui m'a permis de lever le voile sur une période déterminante de l'histoire de l'Ouest canadien et de ses véritables pionniers : les Métis et les Cris.

 

Le dernier discours du Trône en Saskatchewan a consacré 2010 «année des Métis», en lien avec la grande commémoration qui se mettra en branle cet été et qui nous fera revivre la rébellion ultime de ce peuple fondateur, parallèlement au conflit qui mettait aux prises au même moment les Indiens Cris et les Habits rouges. Sous le thème Trails of 1885, les voyageurs férus d'histoire découvriront des horizons parsemés d'élévateurs à grains, qui les conduiront de sites historiques en musées locaux, de communautés francophones en réserves autochtones, de festivals en reconstitutions de batailles, de la ville jusqu'à l'arrière-pays des plaines et des grandes rivières qui coulent vers la baie d'Hudson.

Le plateau sur lequel se déroulent les nombreuses péripéties de cette remémoration s'étend du Manitoba jusqu'en Alberta. Le synopsis, le décor, les enjeux et les personnages de la tragédie qui culmine en 1885 en Saskatchewan semblent relativement complexes à mettre en place, c'est pourquoi, pour ma propre compréhension, j'ai situé l'action dans la chronologie et au fil des routes, dans une trame théâtrale qui m'a permis de disposer tous les pions sur l'échiquier de l'histoire.

Trails of 1885

À compter de juin, la Saskatchewan, de concert avec l'Alberta et le Manitoba, invite ses visiteurs à s'engager sur un circuit touristique qui permettra de revivre un moment déterminant de l'histoire des Prairies qui s'est déroulé en 1885 : la rébellion du Nord-Ouest.

À partir de 1880, la disparition progressive du bison accule les Indiens et les Métis à la famine. Cette situation est exacerbée en 1883 par la diminution de l'aide du gouvernement central et l'incapacité générale d'Ottawa à respecter ses obligations en vertu des traités existants.

Les Métis se tournent alors vers l'agriculture avec difficulté, d'autant plus qu'ils n'arrivent pas à faire reconnaître leurs droits de propriété, comme cela était arrivé précédemment au Manitoba. En 1884, devant cette situation qui contient tous les éléments déclencheurs d'une insurrection, une délégation ramène Louis Riel de son exil aux États-Unis.

Le leader métis incite alors la population insatisfaite (Métis, sang-mêlé anglophones et colons blancs) à présenter ses doléances à Ottawa, ce qui laisse indifférent le gouvernement conservateur de John A. Macdonald.

En 1885, le temps du soulèvement est venu, mais le conflit armé surviendra à la suite d'un enchaînement de quiproquos, d'erreurs de jugement et d'escarmouches qui dégénéreront en affrontements sanglants.

Duck Lake

Sur les chemins de 1885, on retient surtout deux batailles décisives : celles du lac aux Canards et de Batoche. Aujourd'hui, le lac aux Canards s'appelle officiellement Duck Lake et, dans cette région, deux étapes importantes du circuit Trails of 1885 évoquent la première altercation de la rébellion du Nord-Ouest.

Le Centre d'interprétation de Duck Lake est un incontournable lorsqu'il s'agit de mieux comprendre l'histoire et la vie des trois groupes qui composent la société locale : les Métis, les autochtones et les pionniers blancs. La concentration de francophones dans ce secteur est particulièrement élevée, avec la proximité de la communauté acadienne de Bellevue. La directrice, Céline Perillat, mène la visite guidée de ce musée qui s'articule autour de la galerie principale et d'un campanile de 24 mètres de hauteur.

Devant le Centre d'interprétation trône le symbole par excellence de l'histoire métisse, la fameuse charrette de la rivière Rouge. Il s'agit d'une voiture dotée de deux grandes roues et de ridelles, faite exclusivement de bois, ce qui en facilite l'entretien et le démontage durant la traversée de cours d'eau.

À l'intérieur du musée, les objets exposés ainsi que les panneaux explicatifs trilingues (français, anglais et cri) présentent la culture et les nombreuses symboliques culturelles ou religieuses des Amérindiens des Prairies.

Cette visite est idéalement complétée par celle du poste de traite de la Compagnie de la Baie d'Hudson, à Fort Carlton, à quelques kilomètres de là, où l'on relate la longue tradition de commerce de l'Ouest, qui diffère grandement de celle vécue dans l'Est.

Batoche

La rébellion engagée à Duck Lake en mars 1885 est étouffée en mai à Batoche, à quelques kilomètres de son point de départ (90 km de Saskatoon). De Duck Lake jusqu'à Batoche, il y a une demi-heure de route si l'on emprunte la traverse qui enjambe la rivière Saskatchewan-du-Sud. Une expérience en soi et un véritablement lien avec l'histoire, puisque ces bacs à câble sont utilisés au même endroit depuis les débuts de la colonisation.

Le lieu historique national du Canada de Batoche aborde l'histoire et le mode de vie des Métis à la fin du XIXe siècle dans ses salles d'exposition et avec une présentation audiovisuelle renouvelée cette année. Sur le terrain même de l'affrontement de 1885, le parc nous permet surtout de revivre avec beaucoup d'émotion le dénouement tragique de la rébellion du Nord-Ouest.

Plus encore lorsqu'on a le privilège d'être guidé par Ron Jobin, digne descendant Métis et passionné de généalogie, pour qui les événements de mai 1885 n'ont aucun secret.

La découverte de la superbe petite église de Batoche, qui a servi de quartier général pour Dumont et Riel, puis d'infirmerie pour les Anglais, est un moment fort de la visite. On peut encore voir les trous de balles laissés par la mitraillette sur le mur du presbytère.

Ron explique avec force détails le déroulement de la bataille, puis nous conduit au cimetière voisin où les Métis morts au champ de bataille ont été enterrés dans une fosse commune qu'on honore d'une forêt de croix et d'une ceinture fléchée nouée autour de l'une d'elles. Seul le doyen des combattants, Moise Ouellet, qui aurait été âgé de 93 ans lors de l'affrontement fatal, a eu droit à sa sépulture individuelle, puis à un monument funéraire qu'on lui a donné l'an dernier seulement.

La pièce de résistance est naturellement le monument de la sépulture de Gabriel Dumont, le grand chef Métis, véritable pilier de la rébellion que la popularité de Louis Riel a maintenu dans l'ombre.

Batoche demeure la conclusion incontournable de la portion est du circuit Trails of 1885.

 

Les acteurs de la rébellion

John A. McDonald est l'un des pères de la Confédération canadienne. Premier politicien à occuper le poste de premier ministre, il exerce cette fonction de 1867 jusqu'à son décès, en 1891. Cet alcoolique et colérique notoire s'investit d'une grande mission : établir un pays «from coast to coast» en reliant le Pacifique et l'Atlantique par un chemin de fer.

Son ennemi mortel est Louis Riel... Figure emblématique, personnage mythique et charismatique, le chef du peuple métis des Prairies est reconnu depuis peu comme le fondateur de la province du Manitoba. Il a dirigé deux mouvements de résistance contre le gouvernement canadien visant à protéger les droits et la culture des Métis. Après la rébellion de la rivière Rouge, de 1869 à 1870, il s'exile aux États-Unis où les Métis de la Saskatchewan vont le chercher pour mener leur rébellion, en 1885.

Toutefois, le véritable héros de cette révolte n'est pas Riel mais plutôt Gabriel Dumont, un chasseur de bison tenu en grand honneur, chef des Métis de Saint-Laurent et «adjudant général» de Louis Riel. À l'été de 1863, ses talents de chasseur lui valent d'être élu, à 25 ans, chef permanent des chasseurs métis de la rivière Saskatchewan. Jusqu'à l'extinction du bison, il conduit les Métis à la chasse, geste qu'il pose pour la dernière fois en 1881. On le dit combattant fort habile et chevaleresque ainsi que remarquable chef de guérilla.

Après l'exécution de Riel, Dumont se joint au Wild West Show de Buffalo Bill comme tireur d'élite puis rentre terminer ses jours chez lui, à Batoche. On trouve un monument à son honneur dans le cimetière de Batoche (photo), puis un monument équestre le long de la rivière Saskatchewan, au coeur de Saskatoon.

 

Repères

-Les célébrations historiques de Trails of 1885 s'amorcent à l'ouest de Saskatoon, du 28 juin au 2 juillet. Les Cris de la réserve Poundmaker (région de Battleford) commémoreront en grand les 125 ans de la bataille de Cut Knife avec un programme étoffé de festivités et de reconstitutions hautes en couleur.

-Sur l'épisode autochtone de la rébellion de 1885 : www.biographi.ca/009004-119.01-f.php?BioId=39905

-À cette époque, la Royal Canadian Mounted Police, vaincue par les Cris, était basée au fort Battleford, qui est aujourd'hui un lieu historique fort intéressant à visiter et une autre étape du circuit Trails of 1885.

-Au centre du circuit, Saskatoon offre de très nombreuses possibilités d'hébergement ainsi qu'un magnifique camping boisé, le Gordon Howe Campground, situé en pleine ville.

-Centre d'interprétation de Duck Lake : www.dlric.org

-Parcs Canada : www.pc.gc.ca/fra/index.aspx

-Trails of 1885 : www.trailsof1885.com

-Tourisme Saskatoon : www.tourismsaskatoon.com