À l'extrême sud de la Colombie, en Amazonie, les visiteurs affluent, attirés par le retour à la nature et la découverte des traditions indigènes, mais la manne touristique n'est pas du goût de tous: à Nazareth, l'entrée leur est interdite, pour préserver une culture ancestrale.

L'Amazonie colombienne, qui partage des frontières avec le Brésil et le Pérou, attire de plus en plus d'étrangers, intéressés par un «écotourisme» à l'écart des sentiers battus et la découverte d'une faune et une flore parmi les plus variées de la planète.

En 2010, ils étaient 35 000. Mais les touristes ne peuvent plus, entre une observation de singes et une baignade au côté des dauphins roses du fleuve Amazone, visiter la réserve indigène de Nazareth. Ce village situé en bordure de l'Amazone à une vingtaine de minutes en bateau de la ville de Leticia (1200 km au sud de Bogota), leur est interdit depuis deux ans.

À l'entrée, deux Indiens munis du traditionnel bâton de la garde indigène barrent la route aux intrus. Toute visite, même autorisée, est répertoriée, pièce d'identité à l'appui.

«La décision a été prise par une importante assemblée d'habitants», explique à l'AFP le «Curaca» (porte-parole de la communauté) Isaïas Julian Pereira, représentant 800 habitants, à 80% des Indiens Ticuna. La mesure, dit-il, a été longuement discutée dans le respect de la coutume, en vertu de laquelle les décisions doivent être prises collectivement, puis elle a été soumise au «conseil des anciens».

«Nous avions beaucoup de problèmes. Les gens venaient, laissaient des déchets, des sacs-poubelle, des bouteilles en plastique. Maintenant les touristes ne peuvent pas entrer comme cela. Il faut une autorisation de l'assemblée», explique-t-il.

«Les touristes viennent et nous brusquent avec leurs caméras», témoigne un habitant, Grimaldo Ramos.

«Imaginez que vous êtes assis chez vous et que des étrangers viennent prendre des photos. Cela vous déplairait», explique-t-il.

En plus, «nous y gagnons très peu. Ils achètent quelques pièces d'artisanat et s'en vont. Ce sont les agences de voyages qui gagnent de l'argent», affirme aussi Juvencio Pereira, l'un des gardes. Les Ticuna, peuple en danger d'extinction qui compterait encore quelque 30 000 membres selon les Nations unies, ont peur de voire leur culture transformée par les visiteurs.

Dans leur tribu, la vie doit se dérouler en harmonie avec la nature et les «trois mondes» - supérieur, inférieur (le royaume des eaux) et intermédiaire, où vivent les hommes et certains démons. Ils disent vouloir éviter que leurs enfants adoptent le langage et les coutumes vestimentaires des étrangers. «Si nous ne conservons pas (notre culture) d'ici trente ans, tout sera fini», explique le Curaca.

Pour les touristes, poser des questions aux locaux relève de la curiosité polie. Pour les indigènes, il s'agit d'une intrusion ou d'indiscrétion. «Nous n'aimons pas qu'ils interrogent des membres de notre communauté sur nos savoirs traditionnels», en particulier les pratiques médicinales, explique le garde.

À Leticia, ville dont dépend la réserve de Nazareth, on affirme qu'«aucune étude ne prouve à ce stade un impact négatif sur l'environnement de la hausse du tourisme». Mais la décision appartient aux Indiens. Juan Carlos Bernal, en charge à la mairie de l'environnement et du développement, assure que la loi colombienne permet aux indigènes de réglementer comme ils l'entendent l'accès à leur communauté. Selon lui, si ses habitants ne veulent pas être observés comme des animaux sauvages, la communauté ne vit pas pour autant coupée du monde qui l'entoure: son école primaire est tenue par des religieuses catholiques. Et tous les jours ses membres vont travailler à Leticia.