Les temples d'Angkor, site emblématique du Cambdoge, souffrent de nombreux maux modernes comme le tourisme de masse, la pollution... et l'absence de décisions cruciales sur la meilleure manière de préserver ces merveilles.

Jusqu'à 3000 touristes peuvent escalader chaque jour la colline pour grimper sur les temples déjà fragiles et assister au spectacle du coucher du soleil sur Angkor Vat. Plus bas, les guides décrivent le site dans des hauts parleurs bruyants, en plusieurs langues, alors que des cars tournent autour de ce qui serait le plus grand édifice religieux du monde, construit comme des centaines d'autres par les rois d'Angkor entre le IXe et le XIVe siècles.

«Personne ne devrait être autorisé à marcher sur des pierres vieilles de mille ans», souligne Jeff Morgan, directeur exécutif du Fonds pour le patrimoine mondial, basé aux États-Unis. La limitation du nombre de touristes sur les temples a pris des années de retard selon lui.

Cet afflux accélère la détérioration des édifices déjà malmenés par la végétation tropicale envahissante et les pluies de la mousson. Le piétinement incessant et les fumées de la circulation automobile érodent la pierre de grès, les doigts endommagent les bas-reliefs. Mais le tourisme n'est pas la seule plaie d'Angkor.

Le site classé, patrimoine mondial par l'agence onusienne de l'UNESCO, et la ville la plus proche, Siem Reap, souffrent du développement anarchique, de la corruption et des projets sans cesse repoussés quant à la meilleure manière de protéger les temples à l'avenir.

Abandonnés pendant plusieurs siècles, envahis par la jungle et isolés pendant les guerres, ces temples khmers sont devenus en une vingtaine d'années la destination-phare du tourisme en Asie, et une manne financière vitale pour un pays très pauvre. Le ministre cambodgien du Tourisme Thong Khon table sur six millions de visiteurs par an d'ici 2020 à Angkor.

En 1980, peu après la chute du régime des Khmers Rouges, l'auteur de cet article était le seul touriste sur le site. L'inauguration de vols internationaux directs pour Siem Reap en 1998 a marqué un tournant, tout comme le tournage du film Tomb Raider avec Angelina Jolie en 2001.

Le nombre de touristes est passé de 60 000 en 1999 à 250 000 en 2001, pour atteindre 2,5 millions cette année.

«Le tourisme de masse constitue le défi à relever. Les temples vont connaître une fréquentation pour laquelle ils n'ont pas été construits», prévient Anne Lemaistre, qui dirige la branche cambodgienne de l'UNESCO. «Il n'est plus temps de parler. Il nous faut agir.»

Plusieurs projets ont été piétinés ou sont devenus obsolètes. En 1994, l'instauration d'une zone protégée autour des temples n'a pas été respectée: la grande artère menant à Angkor Vat, auparavant encadrée par de grands arbres, est désormais bordée d'hôtels de prestige et de petites boutiques bon marché.

Vann Mollyvann, un architecte qui dirigeait une agence cambodgienne indépendante gérant Angkor, s'est battu pour que l'aménagement du site soit accompagné d'autres mesures et empêcher l'avènement d'un «Angkor Disneyland». Il a fini par être licencié pour avoir fait obstruction et son agence, Apsara, a été placée sous le contrôle direct du vice-Premier ministre Sok An.

Peu de temps après, une entreprise appartenant au fils de Sok An a remporté le marché de l'illumination des temples. Le contrat a finalement été annulé car le projet était accusé de dégrader le site mais l'un de ses plus fervents détracteurs a été condamné à la prison en 2009 pour désinformation.

La collecte du droit d'entrée soulève également des questions. La concession a été attribuée sans appel d'offres à Sok Kong, un magnat proche du Premier ministre Hun Sen. Pour le député de l'opposition Son Chhay, une partie de l'argent va directement dans les poches des parties au contrat, et non au gouvernement et au fonds de restauration d'Angkor. Ce que nie le ministre du Tourisme, maintenant que «c'est un bon mécanisme» qui «peut rapporter beaucoup d'argent».

Autre sujet d'inquiétude: la population de Siem Reap, qui devrait doubler pour passer à 250 000 personnes d'ici à 2020. Le pompage non réglementé des eaux souterraines laisse craindre un effondrement du sol sous les temples. Et la ville compte désormais 320 hôtels et maisons d'hôte.

Les défenseurs d'Angkor estiment qu'il est temps de limiter strictement le nombre de touristes autorisés sur le site chaque jour, à l'image de L'Alhambra en Espagne ou du Machu Picchu au Pérou, ou d'imposer le port de chaussons et de délimiter précisément le parcours des visiteurs.