De la bouffe de rue, il y en a depuis longtemps à Vancouver, mais un nouveau programme met en valeur la gastronomie locale et la créativité des chefs. De quoi faire saliver les touristes de passage.

Debout devant sa remorque, Josh Wolfe s'excuse auprès d'un dixième client de suite: «Désolé! Nous sommes fermés aujourd'hui. J'ai eu des problèmes avec ma bonbonne de gaz... Oui, s'il vous plaît! Revenez demain!»

Chaque fois, la réaction est la même. Tout le monde fait mine de se fâcher, puis promet en riant de revenir le plus tôt possible. «J'avais même convaincu mon amie de m'accompagner!», lance une cliente en tailleur. «Ça faisait trois semaines qu'elle m'en parlait», confirme l'amie en question.

Ancien chef du Coast, un restaurant en vue de Vancouver, Josh Wolfe tient aujourd'hui le Fresh Local Wild, une remorque de nourriture de rue qu'il gare chaque jour au pied des gratte-ciels, en plein centre-ville de Vancouver. Il y sert des fish and chips de saumon frais à 12$, des salades de poulet rôti avec légumes locaux à 9$, des sandwichs de thon albacore poêlé à moins de 15$... «Je m'approvisionne chez un pêcheur, près d'ici», explique le cuisinier originaire de Toronto.

Ces kiosques font fureur à Vancouver. Au cours des derniers mois, la Ville a émis une cinquantaine de nouveaux permis; elle prévoit en émettre encore davantage dans les années à venir. On ne parle pas de n'importe quel permis: ici, les hot-dogs et la crème glacée existaient déjà depuis longtemps. Cette fois-ci, c'est un programme de nourriture de qualité, locale et originale qu'on a mis sur pied.

Sur iPhone et iPad

Street Food Vancouver, une application pour iPhone et iPad, permet de voir l'offre répartie aux quatre coins de la ville. À l'angle des rues Thurlow et Cordova, le Feastro Rolling Bistro sert des bisques de crevettes, des huîtres et des frites de patate douce. Dans la rue Robson, le Chawalla vend du thé indien et des pitas fourrés de toutes sortes de viandes, légumes et épices.

Mark Cohen et Phyllis Sornacchia viennent d'ouvrir leur restaurant sur roues, le Mangal Kiss Mid-East BBQ. Leur spécialité: les shisliks, des shish kebabs d'entrecôte de boeuf de la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, cuits au barbecue et assaisonnés d'épices pakistanaises qu'ils font rôtir eux-mêmes. Un délice, à seulement 7$.

Pour obtenir son permis, le jeune couple a dû passer par un processus d'admission exigeant, échelonné sur plusieurs mois. Son projet devait répondre à une série de critères: qualité et originalité de la nourriture, approvisionnement local et biologique, utilisation d'énergies vertes, certifications d'hygiène... Un comité de juges formé de chefs, de gens de l'industrie et de représentants du public décernait des points pour chacun de ces critères.

Le chef et ses clients

Au terme du processus, les candidats qui cumulaient le plus de points ont été sélectionnés. Selon le score obtenu, ils pouvaient ensuite choisir le lieu où ils souhaitent établir leur restaurant sur roues. Les propriétaires du Mangall Kiss sont arrivés troisièmes sur un total de 120 candidats (pour une possibilité de 19 permis). Ils ont pu obtenir le lieu qu'ils convoitaient: en plein centre-ville, en face du Fairmont Hôtel Vancouver et de biais avec la Vancouver Art Gallery.

«Ce qui est vraiment bien avec ce programme-là, c'est que ça nous donne une visibilité, estime Phyllis Sornacchia. Les remorques sont remplies de gens comme nous, qui ont travaillé dans la restauration, mais qui n'ont pas l'argent pour ouvrir un restaurant eux-mêmes.»

«Ça permet de se faire un nom, les citoyens ont plus de choix... Tout le monde est gagnant.»

Pour Josh Wolfe, le plus gros avantage demeure celui d'être près des gens. «J'ai travaillé dans plusieurs grands restaurants, ici à Vancouver, à Toronto... Et jamais je n'ai eu autant d'interaction avec mes clients», explique celui qui a été formé par le chef Marc Thuet. D'un midi à l'autre, il dit servir entre 120 et 150 couverts.

«C'est cette connexion-là qui me stimule, dit-il. La nourriture, c'est une rencontre, c'est du partage. Ça n'a rien à voir avec un local qui coûte des dizaines de milliers de dollars ou de la décoration «fancy». Ici, il n'y a pas d'hôtesses, pas de serveurs... Juste moi et des clients qui goûtent à ce que je leur prépare.»

Autres villes

Vancouver n'est pas la seule ville à se lancer ainsi dans l'aventure. Elle emboîte notamment le pas à Portland, en Oregon, où plusieurs centaines de ces cantines gastronomiques bordent les rues. Calgary est aussi entré dans la marche et a lancé un projet-pilote cet été, accordant des permis temporaires à une dizaine d'entrepreneurs.

Même Montréal, où l'administration municipale est frileuse devant ce genre d'initiative, profite un tant soit peu de la tendance, comme en a témoigné la présence du camion de tacos Grumman 78 lors de certains événements au cours des derniers mois...

«En tout cas, s'ils veulent mettre un programme en place et qu'ils ont besoin d'un consultant, ça va me faire plaisir de débarquer à Montréal! lance Josh Wolfe à la blague. Je commence à m'y connaître un peu...»