Montréal a dit non à la cuisine de rue dans les années 60. Dommage. Car l'expérience new-yorkaise nous montre à quel point les camions qui se baladent dans la ville ainsi que les stands de nourriture injectent une dose de vitalité gourmande dans la vie urbaine. À quand une réflexion de l'administration Tremblay sur le sujet?

On pourrait croire que LE journaliste culinaire du magazine New Yorker butine de pays en pays, de restaurant étoilé en restaurant étoilé, à la recherche des meilleures huîtres et du foie gras le plus fin. Pas du tout.

Calvin Trillin n'irait jamais dans un étoilé Michelin par choix. Pour lui, le bonheur, c'est le street food, la bouffe de rue.

«Pour moi, c'est la façon rêvée de manger», explique le vénérable journaliste, interviewé récemment. «Pas besoin de s'asseoir formellement durant une longue période. On choisit ce qu'on veut. On mange à sa guise. J'adore.»

Il aime tellement que même si depuis des décennies il refuse systématiquement toutes les invitations à être juge dans des manifestations culinaires ou gastronomiques, il a accepté cette année celle des Vendy Awards à New York. Vendy comme dans vendors, le nom donné aux marchands ambulants qui peuplent plus que jamais le paysage new-yorkais.

Car s'il y a maintenant un concours pour couronner la meilleure cuisine de la rue, c'est parce que ce type de restauration est en train de devenir vraiment très populaire dans la métropole américaine. En fait, depuis deux ou trois ans, cet univers connaît une véritable explosion. Gaufres haut de gamme, crèmes gla-cées bios aux chocolats grands crus, dumplings chic et schnit-zels réinventés prennent maintenant leur place dans la ville aux côtés des falafels et des plats riz-légumes halal traditionnels.

Ajoutez à cela une généreuse dose de tables et chaises Fermob - fabricant de mobilier de parc en métal français - disposées maintenant un peu partout dans des espaces publics de plus en plus piétonniers, et vous avez une ville où on se plaît plus que jamais à manger dehors. Entre les gens d'affaires scotchés à leurs cellulaires, les piétons stressés et les taxis aux klaxons hurlants, il y a maintenant des gens qui font des pique-nique au milieu de Times Square, à quelques pas de Rockefeller Centre ou au coeur de Broadway.

New York a des airs de cafétérias à ciel ouvert. Et ça nous plaît.

Zach Brooks, qui écrit un blogue portant uniquement sur les endroits où manger un lunch sympa dans Midtown (midtownlunch.com), une zone jadis réputée pour ses éternels deli ennuyants et ses comptoirs à salades défraîchis, passe maintenant une bonne partie de ses heures de lunch à chercher les perles parmi les stands à roulettes et les camionnettes-cuisines qui viennent se garer aux carrefours cruciaux. «Depuis deux ou trois ans, je dirais, c'est devenu vraiment central», explique-t-il. Sur son site, il a d'ailleurs installé une application qui centralise tous les messages Twitter envoyés par les camions ambulants pour annoncer où ils ont réussi à se garer. Car une grande partie de l'intérêt de ces nouveaux vendeurs est dans la quête. On ne les trouve pas toujours, ils bougent. On les cherche. On les découvre. Et on a l'impression d'avoir frappé le gros lot.

Des falafels aux biscuits

À New York, explique Brooks, la cuisine de rue a toujours existé. «C'est une façon pas chère, pour les immigrés, de préparer de la bouffe pas chère pour d'autres immigrés.» On a connu les hot-dogs et bretzels des immigrés d'Europe de l'est du siècle dernier. Maintenant, partout, on trouve des combinaisons de riz et de viande, avec sauce au yaourt et sauce piquante. Le plat est à la fois indien, pakistanais, bengalis, un peu moyen-oriental aussi. L'assiette, préparée la plupart du temps avec des ingrédients hallal, est devenue une sorte de dénominateur commun. «Le soir, à minuit, il y a des files d'attente interminables», raconte Brooks, en parlant d'un des arrêts les plus classiques, le Halal Cart à l'angle de la 6e Avenue et de la 53e Rue. «Les chauffeurs de taxi changent de quart de travail. Ils s'arrêtent pour manger.»

Mais à tous ces stands classiques s'est ajoutée une nouvelle génération de jeunes restaurateurs, parfois fraîchement sortis de l'école de cuisine et incapables d'avoir pignon sur rue vu les prix trop élevés de Manhattan. Ils préparent des biscuits comme Kim Ima, la femme de théâtre devenue pâtissière de Treats Truck, ou Grant Di Mille, l'ancien publicitaire qui vend maintenant des croissants farcis au gianduja et autres délices avec son camion Street Sweets.

Il y a aussi les gens de Cravings, qui proposent des dumplings, tout comme ceux de Rickshaw. Pour la friture, il faut suivre la route de Schnitzels and Things, et pour la crème glacée très classe, c'est le camion de Van Leeuwen qu'il faut chercher. Et aux fourneaux de Kwik Meal, on trouve un ancien du Russian Tee Room.

«Quand je suis arrivée, en juin 2007, on n'était pas si nombreux dans notre catégorie, raconte Kim Ima, rencontrée durant sa journée de congé, devant le camion à café du Mud Truck. Mais je suis arrivée avec mes biscuits et j'ai été très bien acceptée par les vendeurs de crème glacée, qui ne m'ont pas vue comme de la concurrence car je proposais autre chose.

«Mais on ne s'improvise pas vendeur de rue, dit-elle. C'est beaucoup plus compliqué qu'on pense.»

Et moins payant qu'on le croit, ajoute Zach Brooks, qui se demande d'ailleurs si le phénomène des vendeurs haut de gamme va durer. «Pour que ça marche, il faut beaucoup d'achalandage et peu de frais. Les vendeurs qui réussissent le mieux sont là durant de très longues heures. Pas les nouveaux. C'est beaucoup plus difficile qu'on se l'imagine.»

Cela dit, tout le monde s'entend pour dire qu'il y aura quand même toujours de la cuisine de rue à New York, sous une forme ou une autre. «C'est juste tellement New York», dit Kim en riant. C'est juste tellement cool.

 

Quelques idées pour une bouchée en plein air

Le classique

Le Halal Cart, angle 6e Avenue et 53e Rue. Tellement populaire que certains copient ses sacs, les pulls jaunes des cuisiniers et son style en général. Pour la véritable expérience, il faut y aller tard le soir. La file peut alors s'étendre sur tout un pâté de maisons. Important à noter: le jour, le véritable kiosque est du côté sud-est et le soir, il est au sud-ouest. Qu'est-ce qu'on y mange? Le fameux et indéfinissable plat au riz, avec agneau ou poulet, sauce à la crème sure ou au yaourt, et sauce piquante. On peut aussi prendre la version enveloppée: viande et sauce dans un pain pita.

L'asiatique cool

New York Cravings n'a pas de place fixe et il faut donc suivre ses déplacements sur Twitter, de jour en jour. Je l'ai trouvé sur la 38e, près de Broadway. Mon plat préféré: le poulet frit et les dumplings au porc, que je suis ensuite allée manger au milieu de Broadway, où la Ville a aménagé des zones piétonnes avec des tables à pique-nique. www.nyccravings.com

Pour de bons biscuits

Le Treats Truck, dont le slogan est de servir des choses délicieuses mais pas trop chichi. Lui aussi, on doit le chercher sur le site web ou sur Twitter, car le camion bouge. À essayer: le biscuit sandwich au caramel. Kim, la cuisinière, a un sourire contagieux. www.treatstruck.com

Pour des gaufres comme en Belgique

Wafels and Dinges. Là encore, si on veut le trouver, on peut regarder sur l'internet ou sur Twitter. Mais cet excellent gaufrier - essayez les gaufres de style brugeois sans garniture, juste avec du sucre - a aussi parfois des stands fixes, dans le parc de Madison Square ou alors au marché de Union Square. www.wafelsanddinges.com

Pour de super hamburgers

Le Shake Shack. Ce n'est pas un comptoir ambulant, mais ce casse-croûte mis en place par l'équipe du célèbre restaurateur Danny Meyer (Union Square Cafe, Eleven Madison Park) au coeur du parc de Madison Square, donne une bonne idée de ce qui peut être fait de super bien avec un simple stand dans un parc. On y sert des hamburgers de qualité, de la bière, des sundaes haut de gamme. Là aussi, files d'attente garanties.

Pour plus d'information de dernière minute, aller sur www.midtownlunch.com, où toutes les allées et venues des camions sont centralisées et où l'on retrouve les dernières nouvelles sur ce monde en mouvement, rempli, évidemment, de départs et d'arrivées. Cela dit, il y a des vendeurs ambulants dans d'autres zones de New York, de SoHo à Park Slope dans Brooklyn, en passant par Wall Street, un autre quartier à forte concentration de bouffe de rue.