Les Québécois adorent le Maine, mais ont un faible pour Old Orchard, Ogunquit et ses environs. La côte du Nord de Portland, a pourtant aussi beaucoup à offrir, à commencer par la tranquillité.

Le bateau, qui file entre les îles et les centaines de bouées de cage à homards, transporte une douzaine de passagers. Deux ou trois semblent habiter l'île: pas de valises, juste des sacs d'épicerie et des glacières. Ils ont fait des emplettes «en ville» et rentrent chez eux.

C'est comme ça que la plupart des locaux et des touristes se rendent à l'Isle au Haut: par le petit bateau de la poste.

Nous devions nous y rendre en kayak. Une traversée d'une dizaine de kilomètres en zigzag entre les îles. Mais quelques minutes avant le départ, un vent de face avec des rafales de presque 20 noeuds s'est levé. «Je ne peux pas vous laisser partir», a tranché le «capitaine» Bill Baker, responsable de la location de kayaks chez Old Quarry Ocean Adventures, sur Deer Isle.

Nous nous sommes dépêchés d'aller acheter nos billets pour le traversier.

Au large du monde

À mesure que l'on s'approche de l'île, nommée par Samuel de Champlain en 1604, on peut voir un quai surélevé, quelques maisons sur le rivage et une petite église de bois blanc, un magasin général à côté.

Ils sont une quarantaine à y habiter toute l'année - la population atteint 200 personnes environ en été. Plusieurs vivent de la pêche. Le parc national Acadia couvre près des trois quarts de la superficie de l'île qui s'étend sur une vingtaine de kilomètres carrés. Le tourisme, donc, y joue aussi un rôle important, sans pour autant être omniprésent. Il n'y a qu'un seul gîte touristique sur l'île: The Inn at Isle au Haut. Sinon, ceux qui veulent y dormir ont le choix entre réserver une résidence pour quelques jours dont le phare de la pointe Robinson ou de camper dans le parc, à condition d'avoir réservé un emplacement.

Première destination: Black Dinah, une chocolaterie artisanale. Sur les murs de la petite boutique, des coupures de magazines et de journaux racontent comment les propriétaires ont décidé de réaliser leurs rêves en établissant ici leur commerce improbable.

Puis, tandis que nous marchons vers le Inn, la bouche pleine de chocolats au thé, au sel ou au caramel, deux ou trois curiosités attirent notre attention.

D'abord, les voitures n'ont pas de plaque d'immatriculation. On nous expliquera plus tard qu'elles ne sont pas nécessaires, puisque les routes, ou plutôt la route, est municipale.

Ensuite: les cages à homard et les bouées sont laissées un peu partout sur le bord de la rue, devant les maisons, dans les cours ou dans des granges aux portes grandes ouvertes. Ça donne une impression de désordre, un peu pittoresque.

Et ici, tout le monde se salue. Vous avez beau être un touriste, le conducteur du vieux camion rouillé ou celle de la familiale aux panneaux de faux bois vous fait signe de la main. On répond chaque fois. Après une heure de marche, ça donne presque une tendinite.

Les quartiers du capitaine

Le Inn at Isle au Haut fait face à la mer. Carrée, en bois blanc, la maison a été construite par un capitaine il y a plus de cent ans. Des fauteuils Adirondacks sont disposés deux par deux sur la pelouse qui surplombe la rive. Un gros quai de bois s'avance au dessus de l'eau. Deux bateaux de pêche sont amarrés sur des bouées, quelques mètres plus loin.

Diana Santospago, la propriétaire de l'auberge (en fait, elle loue la maison depuis 2003), nous accueille et nous conduit à notre chambre. La pièce est jolie, toute blanche, avec un plancher de brique rouge et un plafond de bois. On voit la mer par la fenêtre.

Quelques minutes plus tard, une rafraîchissante limonade aux bleuets est servie, tandis que nous faisons connaissance avec les quatre autres résidants de l'auberge: un couple du Massachusetts et deux Britanniques. Le repas qui suit est fait de saumon grillé, potage aux carottes et crème brûlée à l'espresso. Délicieux. On a presque envie d'applaudir.

Enfin, le kayak!

Le lendemain, je bois mon café du matin assis sur la véranda en observant un pêcheur de homards aller et venir entre les bouées. Enveloppé dans un mince brouillard, il remonte les cages une à une, les vide puis les remet à l'eau.

Un peu de calme avant une journée bien occupée: dans quelques heures, le capitaine Bill Baker laissera un kayak à deux places sur le quai principal du village.

En attendant, nous empruntons deux bicyclettes et partons explorer l'île. Dans le parc, de nombreux sentiers de randonnée pédestre partent de part et d'autre de la route. En tout, plus de 25 km de sentiers sillonnent le territoire. Certains longent la côte, d'autres mènent à de petites plages de roches ou à un étang. Les terrains de camping se trouvent au bout de l'un d'eux, à flanc de montagne, surplombant l'océan.

Un peu avant midi, le vent se lève. Il est moins fort que la veille, mais sa direction aussi a changé. Un vent de face? Nous décidons de partir le plus vite possible.

Tandis qu'Isle au Haut s'éloigne, les vagues grossissent un peu. La quantité de bouées, elle aussi, augmente. On se fraie un chemin entre les îles et ces centaines de points multicolores. Autour de nous, les pêcheurs continuent à travailler. Des bancs de goélands flottent autour de leurs bateaux.

Il y a bel et bien un vent de face, mais le kayak avance bien. Environ deux heures plus tard, nous nous arrêtons pour manger sur un banc de sable. Il fait soleil et ici, l'eau est presque verte. Assez froide, aussi. Pas de baignade aujourd'hui.

Un peu plus loin, des traces de campeurs ou de pêcheurs: des cages, des amarres, un feu, une veille chaise, des carapaces de crabe.

Avant de reprendre la mer pour une dernière heure, nous nous promettons de revenir, pour camper ou faire de la voile... Un jour.

Deux bonnes adresses sur Deer Isle

Goose Cove Resort

En haut d'une côte, la vue apparaît, spectaculaire: des îles vertes éparpillées dans l'Atlantique, dont Deer Isle, accessible par un pont suspendu.

Située entre le parc national Acadia et Camden, sur la Mid-Coast du Maine, l'île abrite un port de pêche très actif et quelques résidences secondaires.

On y pénètre comme on entre dans un univers presque parallèle. Étrangement, ici, il y a peu de touristes - en tout cas, beaucoup moins qu'ailleurs dans l'État dit «Vacationland». Des bateaux de pêche et des voiliers sont amarrés çà et là, un peu plus au large. En arrivant au Goose Cove Resort, au bout d'un chemin de terre, la mer s'étend devant nous, bordée d'une longue plage de cailloux et des falaises surmontées de forêts de conifères. À la réception de l'hôtel, deux gros cacatoès blancs chantent et dansent avec entrain. Mais malgré le spectacle, le plus surprenant demeure le prix: 125$ pour une chambre ordinaire, avec vue sur la mer et petit-déjeuner compris.

L'une des agréables surprises du voyage.

Whale's Rib Tavern

Dans le stationnement du Whale's Rib Tavern, à Deer Isle Village, les voitures viennent d'un peu partout... Mais chose rare dans le Maine, pas une plaque du Québec. «On ne voit vraiment pas beaucoup de Québécois dans le coin», confirme Melissa, une serveuse.

«Mais nous sommes vraiment à l'extérieur des sentiers battus, même pour les Américains.»

Le décor d'ancienne grange, tout en bois, est superbe et le repas, succulent. La salade de roquette avec pommes et canneberges, en entrée, est suivie par un flétan cuit à la vapeur et à la perfection, accompagné d'un risotto au homard et aux pois. La carte propose des vins pas trop chers et intéressants. Près de la moitié proviennent de Californie; quelques-uns sont de l'Oregon.

Après un gâteau au chocolat sans farine en dessert, on roule jusqu'à son lit, littéralement. Et on s'endort en écoutant le bruit des vagues et la sirène du phare.

Le route de Camden

La Mid-Coast du Maine, qui s'étend du parc national Acadia, au nord, et qui descend presque jusqu'à Portland, au sud, n'a pas les belles plages de sable blanc d'Ogunquit. L'eau est souvent un peu plus froide et la température imprévisible.

Mais la région n'est pas dépourvue de charme ni d'intérêt. La petite ville de Camden en témoigne et particulièrement le chemin qui y mène. La route 1, qui se faufile entre les collines de Camden et la baie de West Penobscot, est bordée de vignobles, d'antiquaires et autres vendeurs de vieilleries, où il est agréable de s'arrêter et de flâner quelques minutes ou quelques heures.

Premier arrêt La Cellardoor Winery, à Lincolnville

La ferme bicentenaire propose des dégustations tous les dimanches. Ses vins sont issus d'assemblages de différents cépages obtenus de producteurs d'un peu partout aux États-Unis. Seuls les vins de bleuets sont faits à partir de fruits cueillis dans la région.

Le vignoble fait partie de la Maine Wine Trail, comme une demi-douzaine d'autres sur la Mid-Coast. Il existe aussi une Beer Trail, une route de la bière, d'environ 25 adresses, dont deux à Bar Harbour, une à Lincolnville, une à Belfast et plusieurs autres dans les environs de Portland.

Deuxième arrêt Camden, souvent décrite comme la ville portuaire de Nouvelle-Angleterre par excellence.

Destination touristique populaire, elle regorge de pubs, de restaurants et de boutiques. Son port est rempli à craquer de bateaux de toutes sortes, dont de grands voiliers de bois, sur lesquels on peut partir en croisière pour quelques heures ou plusieurs jours.

En plein centre-ville, le Inn at Camden Place, une ancienne usine de fabrication de vêtements reconvertie en petit hôtel, est propre et agréable. Son plus grand atout: la rivière Megunticook qui passe sous les chambres. On s'endort le soir en écoutant le bruit de l'eau qui coule. Le matin, ce sont les canards qui nous réveillent.

La dernière escale La «Book Barn», un véritable capharnaüm de vieux livres entassés sur les étagères d'une grange, à l'arrière d'une maison de campagne.

Ça fait penser à l'émission américaine Hoarders. On y pénètre comme dans une caverne aux trésors, à la fois fasciné et inquiet: on dirait que la moindre secousse pourrait nous ensevelir sous des milliers de pages jaunies.

«L'internet a tué l'industrie du livre», déplore le propriétaire, Andrew MacEwen, entre deux bouffées de cigarette sans filtre. Le géant à la barbe blanche et aux épaisses lunettes se décrit comme un spécialiste du Moyen-Âge en Écosse. C'est sa mère qui a ouvert le Book Barn, dans les années 60.

«J'ai plusieurs amis qui ont fermé leur magasin. Moi, je suis là. Je me suis dit que je continuerais à faire ça tant que je peux...»