Le soleil s'acharne sur la Piazza Grande. Mais malgré la chaleur, le garçon de café porte une épaisse camisole sous sa chemise blanche. Comme en Italie. Le menu est en italien. Et tout le monde parle italien dans cette ville aux édifices de style lombard. Mais pourquoi alors les voitures ont-elles une plaque suisse?

Réponse simple: parce qu'on est en Suisse! Dans le Tessin, plus précisément, ce canton helvétique collé sur l'Italie où le risotto et la polenta remplacent la fondue et la raclette.

Sur le haut des montagnes, on aperçoit de la neige la plus grande partie de l'année. Mais en bas, à une petite demi-heure des glaciers, ce sont des palmiers, des oliviers, des châtaigniers qui occupent l'espace. Avec, en prime, une douceur de vivre, une luminosité qui rappellent la Méditerranée.

«Nous sommes très fiers de notre héritage italien, de notre culture, de notre langue. Mais en même temps, on se définit d'abord comme Suisses. En réalité, le Tessin, c'est une Italie où tout fonctionne», explique Tosca Zanotta, avec un sens de la formule propre à ces latins organisés.

Les italophones ne forment que 6,5 % de la population suisse. Mais leur petite région, la plus au sud du pays, est l'une des plus convoitées. Notamment par les Suisses allemands et les Allemands, qui ont acheté de nombreuses propriétés le long des lacs Majeur et de Lugano, poussant les prix à la hausse. Pour le visiteur de passage, cela ne change pas grand-chose, sinon qu'on entend beaucoup la langue de Goethe dans les lieux touristiques. Ce qui n'empêche pas d'être servi en français un peu partout, notamment à Locarno et à Lugano.

Riche... et très riche

Des villes aux noms qui accrochent l'oeil lorsqu'on prépare un voyage dans le Tessin. Deux belles italiennes aux couleurs ocre, pastel, deux villes diablement efficaces malgré leurs placettes, leurs ruelles et leurs arcades qui jouent à vous déboussoler. Mais aussi deux soeurs bien différentes.

Locarno, c'est la ville du cinéma, où 8000 personnes se réunissent, les chaudes soirées d'août, pour visionner les films en compétition sur la Piazza Grande. La ville devient un haut lieu international du septième art, où les critiques et le public se côtoient face à un écran géant monté sous les étoiles.

Locarno, c'est aussi une ville plutôt familiale, conviviale, où on parle avec les mains et où les garçons regardent les filles d'un oeil appuyé. Il y a décidément bien de l'Italien chez ces Suisses-là.

Lugano, c'est autre chose. Une ville riche elle aussi. Encore plus riche, en fait. Les banques et les boutiques luxueuses se succèdent dans son centre historique où de nombreuses sculptures - souvent très modernes - contrastent avec l'âge vénérable des placettes qu'elles agrémentent. Cette présence appuyée de l'argent et des gens qui font métier de s'en occuper n'empêche toutefois pas la ville de tomber endormie les après-midi d'été, le temps de laisser la chaleur se dissiper. Lugano est peut-être la troisième place d'affaires suisse, mais ce n'est pas une raison pour ne pas profiter de la vie...

Une bonne façon de le faire est d'embarquer à bord d'une des nombreuses croisières sur le lac de Lugano, qui est à la ville ce que le lac Majeur est à Locarno: une bouffée d'air frais agrémentée d'arrêts dans de petits ports manucurés, au milieu de montagnes géantes auxquelles on accède en téléphérique, histoire d'avoir une vue spectaculaire sur la région. Et aussi sur l'Italie, distante d'à peine 5 km de Lugano.

Coup de coeur

Locarno et Lugano ne sont qu'à une cinquantaine de minutes en train l'une de l'autre. Entre les deux: Bellinzona, pour beaucoup le coup de coeur d'une visite au Tessin. Et pour cause. Nous voici dans une ville du Moyen Âge qui a conservé ses trois châteaux, inscrits au patrimoine mondial de l'humanité.

De grosses forteresses qui dominent la ville. Ils ouvraient, jadis, la porte de l'Italie aux nordistes et verrouillaient l'accès des Alpes aux envahisseurs venus du sud. Le plus ancien de ces châteaux, le Castelgrande, a été restauré de façon très imaginative. C'est à la fois moderne et fonctionnel, tout en respectant l'esprit des lieux.

Au pied de ses châteaux, la capitale administrative du Tessin semble endormie dans sa splendeur passée. On se croirait dans un film italien des années 50, dans un décor de cinéma presque trop parfait pour être vrai.

Mais il n'y a pas qu'au cinéma que les apparences sont trompeuses: ce soir-là, l'escouade antiémeute occupait la gare, en prévision d'une importante finale de soccer à laquelle Bellinzona participait. Ce ne fut pas un luxe: Bellinzona a gagné et, toute la nuit, la belle endormie a été drôlement réveillée...

Les frais de ce voyage ont été payés par Suisse tourisme. Swiss International, Air Lines a assuré le transport aérien et Swiss Travel System, la portion terrestre.

 

Le secret bien gardé des grotti

Dire qu'on mange bien dans le Tessin est un euphémisme. On entre ici dans un monde où dominent le fromage de chèvre, le salami, la mortadelle, la polenta, le risotto. Le tout arrosé d'un excellent petit merlot local, un cépage en pleine renaissance dans la région. Le meilleur endroit pour goûter à tout cela, c'est dans un traditionnel grotto tessinois, un type de resto invariablement situé dans un lieu privilégié et où on sert une cuisine familiale très goûteuse et à des prix raisonnables. Celui situé à Giornico est particulièrement attirant: la rivière coule à vos pieds, entre deux ponts datant de l'époque romane et face à une église aux riches fresques gothiques. Que demander de plus, sinon de pouvoir y passer une semaine, un mois?

Dans les entrailles du plus long tunnel au monde

Qu'on se balade en train ou en auto, une chose surprend en Suisse: la quantité invraisemblable de tunnels. Leur longueur aussi, souvent fort impressionnante. Mais on n'a encore rien vu: on en construit actuellement un sous le Saint-Gothard qui, quand il sera complété, fera pas moins de... 57 km, le plus long tunnel ferroviaire au monde!

Ce projet est à ce point gigantesque qu'il est devenu une attraction touristique. Depuis 2003, un quart de million de personnes ont visité les travaux de ce qu'on qualifie de plus grand chantier d'Europe. Elles sont d'abord accueillies dans un édifice très design, construit avec des pierres extraites de la montagne. Film, exposition, explications de la guide. Puis vient le temps de plonger. Presque littéralement.

On enfile combinaison, bottes, casque de construction, kit de survie. Puis on monte à bord d'un autocar qui ne fait pas que nous mener au chantier, il y entre carrément. On se retrouve vite sous la montagne, à rouler cahin-caha dans un univers sombre, gris, poussiéreux.

Tout est gigantesque, d'autant plus qu'il y a en fait deux tunnels: une galerie dans chaque sens, et les deux sont reliées entre elles par des couloirs de communication. Pour réaliser des travaux ou... en cas d'évacuation forcée des passagers. Les trains de voyageurs circuleront à des vitesses de 200 à 250 km/h dans ces longs tubes. Un projet de 35 milliards, qu'on prévoit terminer en 2017.

Le hic: sans le changement de quart, on n'aurait pas vu un seul ouvrier de toute la visite. Pas l'ombre d'un tunnelier non plus, cette immense machine qui grignote la montagne. Pas un bruit, pas une vibration. Une visite presque pépère, finalement, dans un univers pourtant bien singulier.

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Les frais de ce voyage ont été payés par Suisse tourisme. Swiss Internationa, Air Lines a assuré le transport aérien et Swiss Travel System, la portion terrestre.