Le camping en hiver n'est pas à la portée de tous. Notre collaborateur Simon Diotte vient de faire son baptême en compagnie d'un adepte de la tente sur la neige. Direction réserve naturelle des Montagnes-Vertes.

Jean-Sébastien Tougas est diplômé du baccalauréat en plein air de l'Université de Québec à Chicoutimi. Pour lui, camper en hiver n'est pas inusité. «J'en fais une demi-douzaine de fois par saison et j'adore cela», dit-il. Pourquoi? «Il n'y a pas meilleure façon de se retrouver seul en nature et de prolonger les sorties en hiver», ajoute-t-il.

Hypothermie ou engelure, il ne s'en inquiète même pas. «Le froid, ça ne me fait pas peur du tout. J'ai vécu un an à Iqaluit, au Nunavut, où je faisais régulièrement du camping à - 35º», confie-t-il.

Cette drôle de bibitte sera mon guide. Sa spécialité, me dit-il pour me rassurer: les petits trucs pour rendre l'expérience agréable. Ça commence bien. Jean-Sébastien est coordonnateur de la formation pour les boutiques Mountain Equipment Coop du Québec. Sa collègue Noémi Labelle, passionnée d'escalade, nous accompagne dans cette aventure. Pour elle aussi, c'est une première expérience en camping d'hiver.

Notre itinéraire: parcourir un peu plus de 5 km en raquettes, sur les sentiers de l'Estrie, pour accéder à une plate-forme de camping dans la zone du mont Écho, près du mont Singer. Pendant cette ascension, il faut trimballer tout notre équipement pour la nuit: la tente, les sacs de couchage, la vaisselle, les brûleurs, les vêtements de rechange, la bouffe, etc. Résultat: nous sommes chargés comme des mulets.

Les deux novices transporteront de lourds sacs à dos de 80 et 90 litres et l'expert porte un petit sac à dos en plus de tirer un traîneau débordant de matériel. C'est si forçant que nous finissons par faire la randonnée en t-shirt. En plein hiver!

Chemin faisant, nous contemplons des paysages merveilleux ensevelis de neige, dont la Passe du Diable.

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Le groupe de campeurs avait pour objectif de parcourir un peu plus de 5 km en raquette, sur les sentiers de l'Estrie, afin d'accéder à une plate-forme de camping dans la zone du mont Écho, près du mont Singer.

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La nuit s'installe, après trois heures d'ascension. Toujours aucune trace de notre plate-forme de camping. L'avons-nous dépassée? Peut-être.

Plan B: dresser le camp à l'improviste. C'est justement l'un des bonheurs du camping hivernal, il est possible de dresser la tente n'importe où. Pas de roches ni de racines embêtantes et les campeurs n'endommagent pas la nature. C'est finalement face à un étang à castor gelé, situé dans un décor enchanteur, que nous allons bivouaquer. Le bonheur. Il n'y a personne!

La tente est montée sur un tapis de neige compacté avec nos raquettes. Cette tâche accomplie, Jean-Sébastien sort sa pelle - indispensable en camping hivernal- et commence à construire une cuisine... de neige! «On ne va quand même pas cuisiner à quatre pattes puis se faire mal au dos», explique-t-il. Il creuse un trou, se sert de la neige pour se bâtir un comptoir, sur lequel il dépose les brûleurs. Un matelas de sol nous servira de banquette.

Le maître du camping d'hiver a même prévu un sentier pour aller aux toilettes, un trou dans la neige, dans un petit coin isolé.

Dehors en pantoufles

Pour survivre à la soirée à la belle étoile, il faut enlever tous les vêtements mouillés, incluant les chaussettes et les bottes, pour remettre du linge sec, car le pire ennemi du campeur est l'humidité qui accélère la perte de chaleur. Il faut donc absolument éviter le coton. Cet avertissement s'applique même pour les sous-vêtements.

Ensuite, il faut s'habiller comme des ours, enfilant plusieurs couches de vêtements synthétiques ou en laine, et des... pantoufles! Eh oui, il existe des chaussons rembourrés, avec semelles antidérapantes, qui gardent les pieds au chaud, dans la neige, même sans bouger.

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Simon Diotte (à gauche), Noémie Labelle et Jean-Sébastien Tougas ont dû trimballer tout l'équipement nécessaire pour ce cours de camping d'hiver en forêt.

Le Ricardo du plein air



C'est le repas du soir. En entrée, Jean-Sébastien nous prépare des craquelins de saumon fumé au fromage de chèvre et de la soupe asiatique aux légumes et au poulet en plat principal. Pour se faciliter la vie, il a préparé la soupe en scellant les aliments sous vide. Il suffit de réchauffer les sachets dans l'eau bouillante. Nos bols en plastique diffusent la chaleur sur nos doigts, ce qui les garde au chaud en mangeant. Il fait si bon à l'extérieur que nous veillons jusqu'à 22h, malgré l'absence d'un feu de camp (interdit dans la réserve) pour nous tenir au chaud.

Conseil de pro: mangez, mangez, mangez. «Une des erreurs fréquentes en camping hivernal est que les gens ne mangent pas assez, le froid coupant l'appétit. Pourtant, une collation peut régler un problème de pieds gelés en quelques minutes, car la digestion augmente la température de notre corps», dit-il.

Alerte, une bibitte! Un insecte, de la taille d'un moustique, rôde près de notre repas. Nous sommes pourtant au mois de février! Qu'est-ce qui se passe? Est-ce le fruit d'une hallucination provoquée par l'hypothermie? Eh bien non. J'ai pris en photo notre étrange visiteur. Michel Leboeuf, biologiste et rédacteur en chef de la revue Nature Sauvage, a reconnu le plécoptère, un insecte dont le développement est exactement à l'envers des autres: sa larve grossit en automne et l'adulte émerge au milieu de l'hiver. Conclusion: les monts Sutton sont habités par d'étranges bibittes en hiver.

Chaude était la nuit

C'était ma peur suprême: vivre une nuit d'enfer, à grelotter, dans une tente, au milieu de nulle part, sans possibilité de me réchauffer. Or, ce fut tout le contraire. Dans nos sacs de couchage momie, avec une cote de température de -20º, sur d'épais matelas de mousse, jamais nous n'avons ressenti le froid. Même le port de la tuque, normalement requis en camping hivernal, n'a pas été nécessaire. Côté confort, l'hôtel de glace peut aller se rhabiller!

Pendant la nuit, chose inusitée, nous entendions la neige s'accumuler sur le toit. C'était si relaxant et confortable que nous nous sommes réveillés à 9h! La grasse matinée, une bénédiction! En m'extirpant de la tente, j'ai vu qu'un bon café chaud m'attendait. J'étais aux anges.

Bilan

Seule étape plus difficile: chausser les bottes froides lors de notre départ le lendemain matin. Pour éviter ce choc thermique, plusieurs campeurs réchauffent des gourdes qu'ils insèrent dans les bottes quelques minutes avant de les mettre. Je reviens de ce séjour frisquet sans engelure, avec du plaisir à profusion et une expérience inoubliable. Je suis maintenant converti à ce mode d'hébergement.

Y a-t-il des volontaires pour m'accompagner?

Faire du camping hivernal est un véritable plaisir, à condition d'être bien équipé. Dans le cas contraire, l'expérience peut vite se transformer en cauchemar. Voici les indispensables pour partir et revenir bien au chaud.

Tente

À la différence des tentes trois saisons, les tentes hivernales possèdent moins de moustiquaires, ce qui conserve davantage la chaleur à l'intérieur, et possèdent une armature plus solide et une toile plus épaisse afin de résister au poids de la neige (minimalement 30 cm). Elles sont également plus spacieuses, car les campeurs hivernaux doivent remiser leur équipement à l'intérieur. Leur désavantage: elles sont plus lourdes.

Matelas de sol

Le spécialiste Jean-Sébastien Tougas recommande l'utilisation de matelas de sol Evazote (ils sont de couleur jaune), d'une épaisseur de 15 mm, car ils possèdent une mousse plus isolante que les matelas de sol bleus. Il conseille également l'utilisation d'un matelas plus large, de 25 pouces, plutôt que le standard de 20 pouces, afin de réduire au maximum les risques de contact avec le sol, qui, ne l'oublions pas, repose directement sur la neige.

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Jean-Sébastien Tougas s'est servi de la neige pour bâtir son comptoir.

Sac de couchage



Plus léger et plus compressible, le sac en duvet est le meilleur choix pour une excursion de courte durée. Cependant, s'il se mouille, il est difficile à sécher. Pour une longue expédition, notre expert suggère donc un sac de couchage avec un isolant synthétique. La cote de température de - 20º suffit généralement pour passer une agréable nuit. D'autant plus que l'on peut ajouter une doublure en laine polaire à l'intérieur.

Vaisselle

Coup de coeur pour le bol et la tasse Squishy de Guyot Designs, des récipients en silicone flexible que l'on peut compresser. L'hiver, la chaleur du contenu se diffuse sur les doigts, permettant de les maintenir au chaud.

Bottillons isolés

Pour augmenter le confort, rien ne vaut ces pantoufles avec semelles rembourrées qui permettent de marcher dans la neige. Les essayer, c'est les adopter. Autre atout: facile à enfiler la nuit pour aller faire un petit pipi à l'extérieur...

Les conseils d'un pro

Quelques conseils de Jean-Sébastien Tougas, coordonnateur de la formation à la boutique de plein air Mountain Equipment Coop. À considérer avant de tenter, pour la première fois, l'aventure du camping hivernal.

1. Partez avec une personne expérimentée.

2. Prévoyez une solution de rechange à la nuitée en tente en louant un refuge à proximité, ou testez votre savoir-faire dans votre cour.

3. Bien connaître son équipement. «Apprenez à monter votre nouvelle tente avant l'expédition. Si vous avez froid, ce n'est pas le temps de chercher le manuel d'instruction.»

4. Pendant l'activité, oubliez le concept des trois repas par jour. Pour nous garder au chaud, mangez et buvez constamment.

5. Essayez de transpirer le moins possible. Si vous avez chaud, enlevez des couches de vêtement. Si vos vêtements sont trempés, changez-les pour porter des vêtements secs.

Où aller?

Pour une première expérience, le parc national d'Oka s'avère une destination de choix, car les campeurs, en cas de pépin, peuvent se réfugier à n'importe quelle heure dans la salle communautaire, chauffée jour et nuit.

Savoir reconnaître l'hypothermie

Le principal danger qui guette le campeur hivernal est l'hypothermie, un état qui peut entraîner la mort. Le grelottement, les frissons, les engelures, les lèvres et les yeux bleutés en sont les signes précurseurs. Si ça dégénère, la victime d'hypothermie peut commencer à bredouiller, à manquer de coordination et à adopter un comportement bizarre. «Il faut que les autres campeurs soient attentifs à ces indices», explique Jean-Sébastien Tougas.

Plusieurs techniques existent pour secourir une personne atteinte d'hypothermie. La plus connue, le corps à corps, où les personnes se collent nues sur la victime, n'est pas recommandée, sauf en cas d'extrême urgence, car elle met en danger les gens qui participent au sauvetage. M. Tougas privilégie la technique du «burrito», où la victime est plongée dans un sac de couchage avec des vêtements secs et des gourdes chaudes, le tout enveloppé d'une couverture d'aluminium. «Si la personne est encore consciente, on peut lui donner de la boisson chaude ou tiède», ajoute-t-il.

Règle générale, en respectant des principes de base (manger et boire constamment, porter des vêtements secs...) les campeurs d'expérience se tiennent facilement à l'écart l'hypothermie. «Mais il arrive que des gens expérimentés, mais trop téméraires, en soient victimes», dit-il.

Un aventurier averti en vaut deux.

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale