Empreintes fraîches, branches cassées et traces de frottement de panache sur des arbustes. Pas de doute : des orignaux habitent cette forêt et tout laisse croire qu'ils sont nombreux. Pour les faire sortir de leur antre, notre guide empoigne son cornet d'écorce et lance quelques beuglements imitant la femelle en chaleur. Malgré les «calls « incessants, aucun animal ne répond. À notre ruse, le noble gibier n'a pas l'intention de succomber. Histoire de chasse.

Chasser l'orignal, même avec le meilleur «calleur» du monde, ne s'avère pas une tâche facile. Michel Therrien, notre guide, en sait quelque chose. Ce réputé chasseur est une célébrité dans son domaine au Québec. En plus de donner des cours de chasse, il est l'un des collaborateurs-vedettes de la revue Sentier chasse-pêche. Trois mois par an, ce géant de 6 pieds 2 prend congé de son travail pour arpenter les bois, en quête de bêtes empanachées.

Début octobre, l'an dernier, nous avons accompagné ce passionné et son client, José-Henri Eblin, vigneron fraîchement débarqué d'Alsace, à un safari à l'orignal. L'objectif de ce Français: ajouter à son tableau de chasse, qui comprend sangliers, faisans et cerfs d'Écosse, un grand élan d'Amérique. «On n'est pas ici pour rigoler», déclare à l'arrivée notre voyageur d'outre-mer. Son panache, il le veut et il est prêt à travailler fort pour l'obtenir.

Nous nous trouvons à 400 km de Montréal, à la pourvoirie Fer à cheval, située pas trop loin de Parent, en Haute-Mauricie. Pourquoi se rendre si loin? C'est que dans ce paradis de chasse de 238 km2, les orignaux abondent. Le propriétaire des lieux, François Thouin, estime son cheptel à 90 bêtes. De ce nombre, 15 pourraient être prélevées cette saison-là par les chasseurs.

La stratégie de notre homme des bois: se déplacer constamment à pied, à la recherche du moindre indice de présence de la bête, afin de la débusquer. «Avec moi, pas question de s'enfermer dans une cache pour espérer l'apparition d'un orignal. Nous partons à ses trousses», clame M. Therrien. Avec ce guide, l'expression chasse sportive prend tout son sens.

La quête du «gros buck»

Samedi, 6h du matin, notre partie de chasse commence. Dehors, le mercure frôle le point de congélation et le jour commence à poindre. Le 4X4 emprunte un dédale de chemins forestiers cahoteux pour se rendre au lac Jeannine Sud. M. Therrien, qui en est à sa 25e journée de chasse en 2010, sait qu'un énorme spécimen coiffé d'un superbe panache vit là. Le trophée parfait pour le Français en visite.

En marchant, notre guide scrute la forêt. Les traces de cervidés ne manquent pas, d'où le surnom de l'endroit: le chemin de Compostelle. Le hic, pas de pèlerins à quatre pattes en vue! «Les orignaux, c'est comme des fantômes. C'est très difficile de les apercevoir. Parfois, seule une ligne horizontale, entre deux arbres, trahit leur présence», dit M. Therrien.

Avec un panache en main, le guide frappe des branches, espérant convaincre un mâle d'engager le combat pour défendre son territoire. En imitant la bête, M. Therrien peut attirer un orignal à quelques pieds de lui. Encore faut-il qu'un animal daigne répondre à ses appels.

Soudain, un nouveau signe évident de la présence dans les environs d'un mâle en rut: une souille. Les orignaux creusent des trous avec leurs pattes, urinent dedans pour ensuite y frotter leur panache, s'imprégnant de cette odeur «irrésistible» pour les femelles. «Le truc, quand la souille est fraîche, est d'enduire nos vêtements de cette boue, afin de se parfumer», dit Michel. Pardon?

Heureusement, la souille n'est pas fraîche...

La journée de traque passe aussi vite que l'éclair. Malgré nos kilomètres de marche en forêt, à la tombée de la nuit, aucun panache n'a été aperçu. On a bien vu deux femelles, mais elles ne peuvent être abattues afin de favoriser la reproduction de l'espèce. Cette règle du ministère des Ressources naturelles et de la Faune est bénéfique: la population d'orignaux ne cesse de croître, malgré l'augmentation de la pression de chasse.

Le lendemain matin, la traque recommence. Sauf que les conditions se dégradent. Le vent propage nos odeurs dans la forêt, ce qui permet aux cervidés de nous détecter, et empêche les sons de voyager. Dans ces conditions-là, inutile d'appeler. Pour camoufler les odeurs, rien de mieux qu'un parfum à l'odeur de sapinage. Résultat: on sent le sapin de Noël.

Entre-temps, on profite du calme de la forêt. Quand la fatigue s'installe, on fait une sieste sur un tapis de mousse. La nature, si tranquille à l'automne, permet une détente maximale. Les heures défilent. Mais les orignaux demeurent toujours invisibles. Est-ce déjà la fin de la période du rut? Possible.

Face à face

Jour 3. L'heure de la récolte a sonné pour l'Alsacien. À 8h du matin, en roulant, un gros buck fait son apparition sur le chemin. Un cadeau du ciel. Michel lâche un appel. La bête s'immobilise. M. Eblin n'a que quelques secondes pour sortir de la voiture, armer sa carabine et faire feu. Dans l'énervement, il cafouille, prend trop de temps pour viser. Au moment où il appuie sur la détente, l'orignal plonge dans un fossé. Loupé!

Orignal 1, France, 0.

La suite des événements a prouvé qu'une telle occasion ne se présente pas deux fois dans un voyage de chasse. D'autres orignaux se promènent bien devant nous, mais seulement des femelles ou des faons. Malgré tout, M. Eblin n'a pas été déçu de son immersion en forêt boréale. «Attachez-moi ce buck, je reviens le chercher l'an prochain», a-t-il plaisanté.

Les frais de ce reportage ont été payés par la pourvoirie Fer à cheval.

Les plus et les moins de la chasse à l'orignal

Plus

1. Sentiment de détente, mais aussi d'excitation, dans l'attente de la bête lumineuse.

2. On n'apporte pas son savon à la chasse? Faux, à la pourvoirie Fer à cheval, non seulement on mange très bien, mais aussi, on se douche tous les jours! Pas besoin de retourner à l'époque des hommes des cavernes pour chasser.

3. En pourvoirie, la forêt n'est pas submergée de chasseurs, comme c'est souvent le cas en forêt publique. Pas de chicane de territoire.

4. Comme le dit notre guide, il est aussi intéressant de trouver des indices de la présence de l'orignal que d'en abattre un.

Moins

1. En circulant en forêt, on emprunte surtout des chemins forestiers qui mènent, bien évidemment, à des coupes forestières. Les paysages s'en trouvent souvent dévastés. Cependant, les orignaux profitent des coupes, car ils raffolent des jeunes repousses d'arbres.

2. La quasi-nécessité pour plonger au coeur de la forêt boréale de posséder ou de louer un 4X4.

3. La prolifération des gadgets pour la chasse: caméra infrarouge, appeaux électroniques (appareils imitant l'appel des animaux), GPS, etc. Est-ce que ces outils brisent l'équilibre entre l'homme et la nature?

4. La quête du buck trophée: évidemment, tous les chasseurs veulent se pavaner avec un gros panache, mais à long terme, cette pratique risque de nuire à l'espèce. On prélève ainsi les animaux les plus en santé, les mieux capables de survivre à l'hiver. Une réflexion s'impose là-dessus.

Qu'est-ce qu'une pourvoirie?

Quand on n'a jamais vu un orignal de sa vie, il peut être utile de partir à la chasse avec un minimum d'encadrement, ce qu'offrent la plupart des pourvoiries du Québec. Selon les forfaits, il est possible d'obtenir les services d'un guide qui aidera les chasseurs dans leur quête de viande bio. Ce guide sera aussi d'une aide précieuse si la chance vous sourit et que vous n'avez jamais éviscéré un animal de votre vie!

Sur place, il sera également possible de profiter des installations telles que caches, sentiers, chemins forestiers. Selon vos besoins, les pourvoiries offrent de l'hébergement en chalet ou en auberge, avec repas inclus. Plusieurs, mais pas toutes, gèrent un territoire qui leur est exclusif. Donc, seuls leurs clients peuvent y chasser.