Le 31 décembre 2007, le village d'Aylmer Sound, situé à mi-chemin entre Chevery et Tête-à-la-Baleine, sur la Basse-Côte-Nord, a été «fermé» par le gouvernement du Québec. Cette communauté fondée il y a 150 ans par des pêcheurs venus de Terre-Neuve comptait 170 habitants à la fin des années 70. Il n'en restait plus qu'une vingtaine lorsque les autorités ont démantelé ses infrastructures.

Depuis, une question revient sur les lèvres de tous les habitants des 14 villages de la Basse-Côte: «À quand notre tour?» Car, à l'exception des deux communautés innues de Saint-Augustin et de La Romaine, la population décroît pour cause de dénatalité et, depuis le moratoire imposé à la pêche à la morue, en 1994, d'exode. «Quand l'école a été construite ici, en 1976, il y avait 131 élèves; il n'en reste plus que 19, soupire Nicole Monger, de Tête-à-la-Baleine. Nous étions 750 habitants dans les années 70. Il en reste moins de 200 aujourd'hui. S'il ne se passe pas quelque chose d'ici cinq ans, il ne restera plus personne sur la Basse-Côte-Nord.»

Route 138

Ce «quelque chose», que bien des gens espèrent, ce sera peut-être le prolongement de la route 138 qui, actuellement, vient mourir à Pointe-Parent, réserve innue voisine de Natashquan, à plus de 150 km à l'ouest de Tête-à-la-Baleine et à 400 km de Blanc-Sablon, dernier village avant le Labrador. Mais tout le monde n'est pas de cet avis. «Construire une route de 400 km pour desservir 5000 habitants, cela ne correspond à aucune logique économique pour le gouvernement, estime Wilson Evans, agent de conservation de la faune à Harrington Harbour. En Gaspésie, ils ont la route depuis des décennies, mais la population continue à décroître et l'économie à péricliter. Nos jeunes vont étudier à Montréal, à Québec ou dans les Cantons-de-l'Est. À peine trois sur dix reviennent, car il n'y a pas d'emploi ici pour ceux qui ne sont pas pêcheurs, infirmiers ou enseignants.»

D'ailleurs, la route siphonne autant qu'elle alimente la région. Les commerçants de Natashquan s'en sont rendu compte lorsqu'elle a été prolongée jusqu'à leur village, en 1999. Les habitants n'hésitent pas à faire des heures de route pour aller s'approvisionner dans les grandes surfaces de Sept-Îles, à 380 km de là.

Parc national

Il est question de harnacher la rivière Petit-Mécatina, où des travaux préparatoires sont en cours. Mais les autochtones de La Romaine s'y opposent et, d'ailleurs, les emplois créés ne seraient que temporaires. Un autre projet gouvernemental risque de voir le jour bien avant: la création d'un parc national, ce qui, croit-on, stimulerait le tourisme. Il engloberait un territoire de plusieurs milliers de kilomètres carrés et cinq villages, Harrington Harbour, Chevery, Tête-à-la-Baleine, Mutton Bay et La Tabatière. L'ennui, c'est que dans la région, personne n'en veut. «La majorité des gens vivent ici pour les grands espaces et la liberté que cela leur procure, observe Wilson Evans. En hiver, ils peuvent faire de la motoneige où ils le veulent et couper du bois où ça leur chante. Un parc national, cela signifie des sentiers, des règlements et des restrictions. En plus, cela ne créerait qu'une trentaine d'emplois.» Ceux qui sont favorables au projet n'osent pas s'afficher. «Moi, je suis d'accord avec la création d'un parc national, mais je n'ose pas le dire tout haut, car ici les gens se montent la tête avec ça, murmure un habitant de Tête-à-la-Baleine. Ils disent qu'ils ne seront plus chez eux et qu'ils ne pourront plus sortir de leur maison. Même les jeunes dans la vingtaine sont contre.»

À Aylmer Sound, on a démoli l'église, l'école et la plupart des résidences, démantelé les installations électriques et l'aqueduc, ne laissant debout qu'une dizaine de maisons, dont celles de deux familles qui s'accrochent aux lieux. Les autres maisons, on songe à les louer aux touristes, en été. Dans 20 ans, la Basse-Côte-Nord sera-t-elle devenue un grand village de vacances aux installations éparpillées sur un territoire grand comme la Belgique? Ils sont de plus en plus nombreux, là-bas, à le croire.