À la fin du XIXe siècle, la raquette est le sport le plus en vue à Montréal. Ses adeptes, surtout des anglophones de la haute société, considèrent la pratique de ce sport d'origine amérindienne comme une activité noble. Toutefois, l'arrivée d'immigrants en provenance de la Scandinavie changera la donne. Et lancera le ski de fond en Amérique du Nord. Retour sur une belle histoire des Pays-d'en-Haut.

Quelques hurluberlus, chaussés de fines lames de bois recourbés, font alors leur apparition sur le mont Royal. En peu de temps, les raquetteurs réalisent que cette importation norvégienne surpasse les semelles de babiche quant à la rapidité et permettent, ô bonheur, de dévaler les pentes. Il n'en faut pas plus pour que tout le Québec connaisse, en quelques années, un énorme engouement pour le ski, reléguant les raquettes au rancart.

Dans les Laurentides, la fièvre du ski aura d'énormes répercussions. Des milliers de sportifs prennent alors le P'tit Train du Nord pour débarquer à la gare de Sainte-Agathe, Mont-Rolland ou Sainte-Marguerite, pour s'amuser dans ce qu'on appellera la «Suisse du Canada», sous le regard éberlué des habitants.

«À leur retour en ville, les excursionnistes vantent les mérites des Laurentides, immense territoire rocailleux, rude et montagneux, où la neige est abondante, l'air pur, et où l'on trouve à profusion de longues pentes pour glisser», relate l'auteure Danielle Soucy, dans son livre Des traces dans la neige, qui raconte 100 ans de ski au Québec.

Dans les années 30, Herman Smith-Johannsen, dit Jackrabbit, crée, sous l'impulsion de la Laurentian Resort Association, un vaste réseau de sentiers reliant tous les villages des Pays-d'en-Haut en ski. Ces pistes historiques, dont font partie la Maple Leaf, la Fleur de Lys, la Johannsen et la Gillespie, sont toujours tracées.

Ce qui fait qu'aujourd'hui, on peut encore voyager en ski de Val-David à Morin Heights, en passant par Sainte-Adèle, comme dans les années 30. Selon l'historien Denis Chabot, du Musée du ski des Laurentides, ces pistes historiques, continuellement menacées par le lotissement, sont un patrimoine à sauvegarder. «Les interconnections entre les réseaux de ski et les pistes patrimoniales sont les caractéristiques qui distinguent les Laurentides des autres régions du Québec en matière de ski de fond. C'est le seul endroit, en Amérique du Nord, où l'on peut faire du ski à l'européenne», dit-il.

Présentement, il n'existe aucune carte régionale permettant de localiser ces pistes. «Il faut juxtaposer les brochures des différents réseaux pour retracer leurs parcours», explique Claude Chapdelaine, bénévole chez Plein Air Sainte-Adèle, organisme qui s'occupe du ski de fond dans cette localité. Résultat: seuls les connaisseurs s'y aventurent.

Malgré des décennies de désintéressement, ce patrimoine peut encore être préservé. C'est que beaucoup de ces pistes traversent des forêts demeurées intactes. «Depuis deux ou trois ans, on sent une réelle volonté des gens de protéger l'héritage de Jackrabbit. La mise en valeur des pistes historiques sera l'une de nos prochaines priorités», affirme Manon René de Cotret, directrice des opérations au Regroupement ski de fond Laurentides (RSFL), qui réunit 20 centres de ski de fond de la région.

La tradition continue

Bien que des pistes aient été sacrifiées sur l'autel du développement économique, les Laurentides demeurent sans contredit La Mecque québécoise du ski de fond. Quelle région peut en effet se vanter de receler encore plus de 1000 km de sentiers, praticable en pas classique, en pas de patin ou en ski nordique, de compter près d'une trentaine de centres de ski offrant une foule de services (salle de fartage, restauration, refuges, etc.) et de posséder neuf clubs et écoles de ski.

Malgré la concurrence récente de la raquette, qui prend sa revanche un siècle plus tard, le sport d'Alex Harvey maintient sa popularité. «L'achalandage augmente partout et les cours pour les jeunes sont plus populaires que jamais», affirme Manon René de Cotret.

Pour maintenir la flamme des Vikings, les centres de ski ne font pas du surplace. Face aux grandes exigences des clients, ils investissent de plus en plus dans l'entretien des pistes. «Les conditions de glisse se sont grandement améliorées au fil des années», soutient Mme René de Cotret. Des dameuses avec reconditionneur à neige arrivent dans les centres, ce qui permet d'offrir une excellente qualité de glisse, même après un épisode de verglas.

À quand des canons à neige pour le ski de randonnée? Ce n'est qu'une question de temps. Daniel Charbonneau, directeur de Ski de fond Mont-Tremblant, qui gère un vaste réseau de 90 km, revient tout juste d'un voyage au Vermont où il a étudié les systèmes de fabrication de neige du Trapp Family Lodge et du Craftsbury Outdoor Center, deux centres de ski réputés.

Pour lui, il est clair que la neige artificielle sera appelée en renfort pour lutter contre les changements climatiques. «La neige de culture permettrait de sécuriser les sentiers les plus populaires et de transporter de la neige, au besoin, dans les pistes les plus exposées au soleil», explique M. Charbonneau. Avec cet arsenal, les centres pourraient s'assurer de leur ouverture avant la période cruciale des Fêtes, où se réalise un grand pourcentage de leurs revenus annuels.

Imaginez si dès maintenant, les centres de ski de fond possédaient déjà leurs canons à neige. Avant même la première tempête, on aurait déjà les skis aux pieds!

Pour connaître les conditions de ski dans les Laurentides, vous pouvez consulter le site internet du RSFL: www.skidefondlaurentides.com