Le DIX30 est devenu une destination touristique. Les Québécois des régions, tout comme les Montréalais, sont attirés par son charme aseptisé, son stationnement souterrain, son hôtel-boutique Alt, son spa urbain Sky Spa et sa salle de spectacle L'Étoile. Pendant ce temps, les centres commerciaux des environs poursuivent leur déclin.

«Si j'ai tout au DIX30, pourquoi j'irais à Montréal?» lance, avec franchise, Isabelle*. Cette Drummondvilloise de 43 ans a trouvé la réponse. Pour ses week-ends entre amies, elle préfère s'épargner heures de pointe et parcomètres gourmands. «Je choisis le DIX30 pour mes virées avec les copines. Il y a tout: un spa, des restos à tomber par terre, et même un cinéma!» s'enthousiasme-t-elle.

Le Cinéplex Odéon Brossard, l'un des premiers bâtiments à avoir poussé au bord de l'autoroute 30, domine aujourd'hui une vaste mer de stationnements et magasins. Van Houtte, Bedo, H&M, Calvin Klein, Dormez-vous et bientôt Birks: on trouve au DIX30 les enseignes de toute artère commerciale québécoise qui se respecte. Et plus encore: le premier centre «lifestyle» du Québec ambitionne de séduire les jeunes couples comme les retraités dynamiques grâce à ses prochains projets de condos. Les sièges des petites et moyennes entreprises devraient également leur emboîter le pas. À Brossard, ce centre commercial ne cesse de grandir.

Le centre, sans la ville

Le succès du DIX30? «Peu de gens y croyaient il y a cinq ou six ans», se souvient Éric Fournier, directeur général de Tourisme Montérégie. Et pourtant, 15 millions de personnes fréquentent le DIX30 chaque année. Les gens venus des régions du Québec représentent de 15 à 20% du chiffre d'affaires des commerces du quartier. Signe qui ne trompe pas, la maison de Tourisme Montérégie vient de s'y installer.

«Le DIX30, c'est une destination», affirme Julie Brisebois, directrice générale de l'hôtel Alt. Lancé par le groupe Germain - propriétaire d'hôtels en vue à Montréal, Québec, Toronto et Calgary -, cet hôtel est l'un des plus performants de la région.

Avec sa décoration contemporaine et urbaine rappelant les hôtels-boutiques, et ses chambres à prix fixe, il fait des émules, tant auprès des jeunes couples de la banlieue montréalaise, avides de bon temps à bon marché, qu'auprès des professionnels de la grande région de Montréal, qui peuvent y organiser leurs congrès et conférences sans se soucier des bouchons. «On vient chercher la classe moyenne, pour les affaires et l'agrément», dit Mme Brisebois.

L'hôtel Alt communique par des couloirs intérieurs avec les deux autres attractions fortes du DIX30, le spa urbain Sky Spa et la salle de spectacle L'Étoile, qui, en quelques années, s'est établie comme une salle importante de la scène culturelle. «On voit du vrai tourisme pur, mais aussi beaucoup de gens de la Montérégie, et même de la Rive-Nord et de L'Île-des-Soeurs», constate Patrick Rake, propriétaire de ce spa urbain qui entend rivaliser avec les autres spas de la région de Montréal. Avec sa terrasse extérieure offrant une vue imprenable sur les montagnes, les autoroutes et le DIX30, le spa tourne à plein régime, été comme hiver.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Bienvenue à la jet-set... populaire



Dans l'esprit des restaurants clinquants qui ont fait les beaux jours de la Main au début des années 2000, le DIX30 a aussi vu s'installer des restaurants festifs, visant une clientèle aisée qui saura apprécier le confort des stationnements souterrains des restaurants. Et ça marche: la grilladerie L'Aurochs exhibe les assiettes signées par les personnalités qui le fréquentent: Maxime Bernier, Chantal Lacroix, sans oublier les joueurs du Tricolore qui, dans le sillon de leur nouveau centre d'entraînement, prennent leurs quartiers à Brossard.

Un étage au-dessous de L'Aurochs, le bar à vin Vestibule espère être au DIX30 ce que la brasserie L'Express, rue Saint-Denis, est au Plateau: un incontournable après les représentations de la salle de spectacle de L'Étoile.

Montréal a beau être renommé en Amérique et partout dans le monde pour son faible taux de criminalité, il continue à faire cauchemarder bien des Québécois. «Stationner à Montréal, c'est épouvantable, déplore M. Fournier. Il n'y a pas de places dans les rues, et presque pas de stationnements. Il y a bien des terrains vagues, mais les jeunes femmes craignent pour leur sécurité. Stationner dans un coin lugubre, pas toujours propre, se faire demander de l'argent par un mendiant, ce n'est pas accueillant.»

Les nouveaux habits du centre commercial

L'avènement du centre «lifestyle» de Brossard comme destination touristique va de pair avec l'appétit grandissant pour la consommation comme loisir. «Une grande partie du tourisme s'oriente autour de la consommation. Même Montréal fait la promotion de sa ville souterraine, dit Daniel Gill, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal. Le DIX30 offre une structure urbaine recherchée par le touriste. Mais on est dans un tourisme purement mercantile, d'où la culture est évacuée.»

L'avènement du DIX30 accompagne un changement majeur dans le paysage des banlieues de la rive nord et de la Rive-Sud. «Rapidement, le DIX30 va devenir un centre-ville. Tout le monde veut être là. Les rendements au pied carré battent tout ce qui existe ailleurs. Les centres commerciaux ne pourront plus concurrencer cette formule», note M. Gill. Le DIX30 est un centre-ville d'un genre nouveau, puisqu'il est entièrement privatisé.

Les centres commerciaux des environs poursuivent leur déclin. «La Place Champlain est en train de mourir, comme le boulevard Taschereau. Les Promenades Saint-Bruno résistent, mais je ne donne pas cher de leur peau», poursuit le professeur.

Pendant ce temps-là, de l'autre côté du pont

Et Montréal? Difficile d'attribuer le déclin de certaines de ses artères commerciales (Saint-Denis, Saint-Laurent, Mont-Royal) à l'essor du DIX30. «Mais il ne faut pas se faire d'illusions: quand ça coûte 10$ pour se garer sur le boulevard Saint-Laurent, les clients ne viennent plus aussi facilement. Les rues commerçantes sont en train de tomber dans l'oubli», croit M. Gill.

Le centre-ville de Montréal est-il menacé d'obsolescence? Tourisme Montréal rappelle que sa clientèle cible est internationale, et donc fidèle au centre-ville et à ses infrastructures culturelles. La manne touristique de Montréal et sa force d'attraction ne sont pas prêtes de s'éteindre. «La ville connaît des coups durs, mais elle se repositionne sur d'autres échelles. Lady Gaga n'ira pas au DIX30, mais au centre Bell», conclut M. Gill.

* Isabelle tient à garder l'anonymat.

Photo: Hugo-Sébastien Aubert, La Presse