Pas besoin de chercher loin pour trouver des traces de vie préhistorique. Même le centre-ville montréalais en regorge. Petit voyage dans le temps, à une époque où Montréal était sous les tropiques.

Des édifices du Vieux-Montréal, des églises ou le chalet du Mont-Royal recèlent des secrets que peu observent: des fossiles dans leurs murs de pierre. Là, un gastéropode, une sorte de gros escargot. Ici, la coquille d'un céphalopode, un parent éloigné des pieuvres et des calmars. Plus loin, un arrière-arrière-cousin de la crevette, des éponges ou des coraux. Et ces autres pierres regorgent de coquillages, animaux de la famille des brachiopodes.

«Tellement de gens ignorent qu'il y a des fossiles à Montréal. Ils sont toujours surpris de l'apprendre», dit Albert Cornu, directeur de la paléontologie au Club de minéralogie de Montréal (CMM). M. Cornu approfondit le sujet dans deux livres, Les fossiles de Montréal et des environs, édités par le CMM.

Il y a 450 millions d'années, Montréal se situait sous les tropiques, au niveau de l'Équateur. Une mer peu profonde inondait les basses terres du Saint-Laurent. Elle foisonnait d'organismes marins qui, en mourant, se déposaient au fond de l'eau. Les carcasses d'invertébrés et les sédiments se sont accumulés, formant des dépôts calcaires. C'est dans ces roches sédimentaires que des blocs de pierre ont été taillés à Montréal, dès le XIXe siècle. Aujourd'hui, on peut observer les cadavres fossilisés de ces organismes sur des édifices montréalais.

Montréal «la Grise»

«Au début du siècle, on surnommait Montréal, «la Grise» «, dit Albert Cornu. Prisé en architecture, le calcaire du sous-sol montréalais est d'une couleur caractéristique gris-bleu. Il porte le nom de «pierre grise de Montréal».

Cette roche sédimentaire a notamment servi lors de la construction du musée Redpath (859, rue Sherbrooke Ouest). Sur le mur de pierre du côté ouest, un coquillage blanc avec de fines stries, semblable à une coquille Saint-Jacques de la grosseur d'une pièce de 10 cents, se distingue. D'autres fossiles de mollusques se démarquent sous une fenêtre de la maison Atholston (1172, rue Sherbrooke Ouest). Avec un peu d'observation, on en perçoit rapidement sur les murets du chalet du Mont-Royal. La cathédrale Marie-Reine-du-Monde, l'église Saint-Édouard de Rosemont et la gare Windsor montrent aussi des silhouettes de fossiles. En général, mieux vaut chercher sur les murs latéraux: les constructeurs considéraient comme imparfaites les pierres sur lesquelles figuraient des traces de fossiles et les dissimulaient.

Les roches sédimentaires du sous-sol montréalais se sont formées il y a entre 450 et 490 millions d'années. Elles ne sont pas uniformes. Leur période de formation, leurs fossiles ou leur composition chimique les distinguent, explique Albert Cornu. Elles témoignent chacune à leur façon d'une page de l'histoire. Les géologues divisent les strates par groupe, formation, etc. À Montréal, le sous-sol se compose en majorité du calcaire du groupe Trenton, concentré dans le centre et l'est de l'île. On reconnaît le groupe Trenton jusqu'à Québec.

Une ville trouée

«Montréal, c'est un paquet de trous!», affirme M. Cornu. Il ne parle pas des fameux nids-de-poule, mais bien de la centaine de carrières d'où l'on exploitait le calcaire. La rue des Carrières, dans Rosemont-La Petite-Patrie, rappelle d'ailleurs que nombreuses d'entre elles se situaient de part et d'autre de ce chemin. Elles ont fourni la majorité de la pierre grise de Montréal utilisée entre 1800 et 1880, avant d'être supplantées par d'autres sites d'exploitation.

Les plus anciennes carrières ont disparu. Remblayées, elles se terrent sous des espaces verts, comme les parcs Père-Marquette, Lafond, Sir-Wilfrid-Laurier, etc. Le Jardin botanique, où s'observent tant des fossiles que des traces de dynamitage dans certains murets, comprend une ancienne carrière. Le complexe environnemental de Saint-Michel trône sur la carrière Miron. Et 60% de la neige de Montréal est déversée dans une partie de l'ancienne carrière Francon.

Le développement de Montréal s'est d'abord appuyé sur la pierre de taille locale. Puis, elle a été importée de Saint-Marc-des-Carrières (à mi-chemin entre Trois-Rivières et Québec), de Winnipeg ou de l'Alabama, etc. C'est ainsi que des restes de crinoïdes, ou «lis de mer», se profilent dans un calcaire provenant de l'Indiana sur l'édifice Holt Renfrew (1300, rue Sherbrooke Ouest).

À Montréal, on peut aussi observer des fossiles sur le bord de routes, du pont Champlain ou du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Ou encore sur le site naturel fossilifère de la Coulée verte du ruisseau De Montigny, dans le nord-est de Montréal, dont l'eau coule sur du roc calcaire. Une promesse de voyage dans le temps, pour qui sait observer.

Club de minéralogie de Montréal, www.clubmineralogiemtl.com

Musée Redpath, www.mcgill.ca/redpath

Repères

Où aller?

Chalet du Mont-Royal (1196, voie Camillien-Houde): cherchez des mini reproductions de coquilles Saint-Jacques dans les murets du chalet construit en 1932.

Club Mont-Royal (1175, rue Sherbrooke Ouest): près du trottoir, des moules d'escargots sont visibles sur cet édifice de 1905, dans le calcaire de Trenton, exploité à Saint-Marc-des-Carrières.

Édifice square Dominion (1010, rue Sainte-Catherine Ouest): des lignes foncées dans le calcaire de l'Alabama témoignent des mouvements de la croûte terrestre. Ce calcaire ne contient pas de fossiles. L'édifice date de 1928.

Appartements Le Château (1321, rue Sherbrooke Ouest): des coraux et des ancêtres d'escargots, de pieuvres et de calmars pimentent le mur qui longe la rue de la Montagne. Le calcaire a été extrait près de Winnipeg pour construire cet édifice de 1925.

Le musée Redpath répertorie, dans un guide publié en 2002 et sur son site internet, 14 édifices d'intérêt où l'on peut notamment observer des fossiles.