Le Québec compte plus de 1300 km de pistes construites sur d'anciennes voies ferrées. Un réseau né d'une occasion unique qui a vite connu le succès... des sommets des Laurentides au littoral du Saint-Laurent, en passant par villes et villages.

Dans les années 80, rien ne va plus pour les sociétés ferroviaires. Face à la concurrence du transport routier, des centaines et des centaines de kilomètres de voies ferrées sont abandonnées aux quatre coins du Québec. Le Canadien National et le Canadien Pacifique veulent se débarrasser de leurs emprises, devenues pour eux une source d'encombrement. Que faire avec ce vaste réseau, vestige de l'industrialisation du Québec?

La réponse paraît évidente: en faire des pistes cyclables, voyons! Sauf qu'à l'époque, la solution rail to trail, comme on dit chez nos voisins du Sud, ne suscite pas de consensus. Chaque groupe d'intérêt avance sa propre solution.

>>> Des voies cyclables pour rouler

Les membres de l'UPA veulent procéder au remembrement du territoire agricole. Les propriétaires riverains en milieu de villégiature désirent s'emparer morceau par morceau de ces emprises. Les motoneigistes et les VTT veulent y circuler. Des entreprises y envisagent le passage de lignes de transport électrique, d'oléoducs, de gazoducs. Enfin, des militants préconisent la préservation de ce patrimoine industriel et veulent empêcher son morcellement.

Pour éclaircir la question, un comité de consultation sur les emprises ferroviaires abandonnées se met au travail en 1992, présidé par le député Yvon Lafrance. Son rapport, soumis l'année suivante, préconise l'achat des emprises par Québec et leur réaffectation en priorité à des fins publiques. La vocation future de chaque tronçon est évaluée: 11 emprises, totalisant 639 km, affichent un potentiel récréotouristique, sur un total de 1860 km d'emprises ferroviaires abandonnées.

Vingt ans plus tard, selon une compilation maison effectuée par La Presse, plus de 1300 km d'emprises ferroviaires ont été transformés en pistes multifonctionnelles (vélo, marche, ski de fond et motoneige) au Québec. Collées bout à bout, les pistes couvriraient la distance entre Montréal et Halifax! À l'évidence, les Québécois sont tombés amoureux des parcs linéaires.

L'une des toutes premières reconversions a fait date. En 1990, quatre municipalités - Bromont, Granby, Waterloo et Canton de Shefford - acquièrent un tronçon désaffecté pour le recycler en corridor vert. «C'est, à l'époque, un geste extrêmement audacieux, car le projet de 1 million de dollars est très coûteux pour ces municipalités», se rappelle Mario Chamberland, président-directeur général de Loisir et sport Montérégie, organisme impliqué dans le développement des parcs linéaires. Inaugurée en 1991 et baptisée l'Estriade, cette piste remporte immédiatement un vif succès, ce qui va créer un effet boule de neige.

À un train d'enfer

Au cours des années suivantes, le ministère des Transports du Québec procède à l'acquisition en masse de ces axes de transport abandonnés, tandis que les municipalités et les MRC s'occupent de leur donner une nouvelle vocation. Presque partout, la situation privilégiée est la création de pistes multifonctionnelles. Résultat: les reconversions s'effectuent à un train d'enfer.

Le parc linéaire du P'tit train du Nord et le parc interprovincial Petit Témis voient le jour en 1996. Suivront la Vélopiste Jacques-Cartier-Portneuf (1997), le Parc linéaire des Bois-Francs (1997), le Cycloparc PPJ (2000), La ligne du Mocassin (2001), etc. Et ce n'est pas fini. D'autres projets sont actuellement en cours (voir autre texte).

Cette fois-ci, on peut dire que le Québec n'a pas manqué le train. «Imaginez si on essayait aujourd'hui de créer des parcs linéaires de toutes pièces sur des dizaines de kilomètres, circulant à travers une région habitée. Avec les procédures et les coûts d'expropriation, ça serait carrément impossible. On a donc profité d'une chance en or», affirme Joseph Licata, directeur général de la Corporation du parc linéaire du P'tit train du Nord, le plus long parc linéaire du Québec (230 km).

Dans plusieurs régions, les chemins de fer désaffectés donneront naissance à un vaste réseau, comme en Montérégie, où à peu près 80% des pistes cyclables - à l'exclusion des tronçons en centre urbain - empruntent des chemins de fer désaffectés. C'est le cas du Sentier du paysan, de la Montérégiade, de la Route des champs, de la Campagnarde, etc. Résultat: on peut partir de Montréal et se rendre jusqu'à Drummondville, en passant par Granby, en circulant sur d'anciennes voies ferrées (sauf sur quelques petites portions).

Sûr et enchanteur

Pour les cyclotouristes, ce type de pistes cyclables possède de nombreux atouts: isolement de la circulation, nombre limité de traverses, faible dénivellation, l'accès à des paysages autrement inaccessibles et à des infrastructures, comme haltes et toilettes. En prime, plusieurs parcs linéaires possèdent, en été, des patrouilles effectuant du dépannage mécanique.

Alexandra Goyer, directrice générale de la Vélopiste Jacques-Cartier-Portneuf, a vu les impacts positifs de l'inauguration, il y a 15 ans, de son parc linéaire. «Avant, la pratique du vélo était inexistante dans la région. Aujourd'hui, les gens qui ne roulent pas sont des exceptions. On constate même une augmentation du nombre de déplacements en vélo pour se rendre au travail», dit-elle.

En plus d'avoir un énorme impact local, ces corridors verts constituent des attraits touristiques de taille. «Des gens de partout dans le monde fréquentent notre piste. C'est la colonne vertébrale des Laurentides», affirme M. Licata. Même constat dans la région de Portneuf. «Un flot de nouveaux visiteurs découvre notre région, qui attirait auparavant surtout des chasseurs et pêcheurs», dit Mme Goyer.

Une autre grande force des parcs linéaires, c'est leur grande diversité. Chaque piste possède ses traits distinctifs. À Lévis, le Parcours de l'Anse suit, sur une quinzaine de kilomètres, le littoral du Saint-Laurent, procurant des vues incroyables sur le Vieux-Québec. La Vélopiste Jacques-Cartier-Portneuf combine paysages agricoles, immersion en pleine nature et villages charmants, comme celui de Saint-Raymond. Le Petit Témis épouse les contours du majestueux lac Témiscouata sur 28 km, empruntant trois longues passerelles de bois surplombant les eaux. Sur le P'tit train du Nord, gares d'époque, villages pittoresques et vue sur la rivière du Nord procurent bonheur et plaisirs.

Certaines pistes sont même victimes de leur popularité. «Vu notre fréquentation très élevée, on étudie la possibilité d'élargir la surface de roulement dans certaines sections», affirme M. Licata, du P'tit train du Nord.

À l'opposé, certains corridors verts assurent encore une très grande tranquillité à ses utilisateurs. C'est le cas de la Ligne du Mocassin, une piste de 45 km reliant Ville-Marie à Angliers, en Abitibi-Témiscamingue. «En pédalant, vous avez plus de chance de croiser un ours qu'un humain», rigole Simon Laquerre, de la Société de développement du Témiscamingue.

Un réseau qui grandit

Plus de 20 ans après les premières reconversions, des emprises ferroviaires abandonnées attendent toujours l'arrivée des sportifs à deux roues. C'est le cas notamment en Montérégie, où il reste encore quelques secteurs à développer, surtout dans le Haut-Saint-Laurent.

Là-bas, deux obstacles retardent l'achèvement du réseau: l'opposition au passage des cyclistes par certains agriculteurs et l'éternelle question du financement. Malgré tout, le réseau continue de s'allonger. À l'été, la MRC du Haut-Saint-Laurent se dotera d'une nouvelle piste cyclable de 17 km qui reliera Sainte-Martine à Ormstown. L'année suivante, ce lien se prolongera jusqu'à Huntingdon, pour 14,9 km de plus. Et ce n'est pas tout: une autre ex-voie ferrée sera aussi aménagée prochainement en piste, unissant Très-Saint-Sacrement à Saint-Chrysostome (12,4 km).

Ailleurs au Québec, d'autres projets sont sur les planches à dessin. Le parc linéaire du P'tit train du Nord souhaite la constitution d'une boucle avec le parc du Corridor aérobique (parcours de Morin Heights jusqu'à Amherst). Dans la MRC de Montmagny, des pressions s'effectuent pour prolonger la Cycloroute de Bellechasse, qui s'arrête à Armagh, vers l'est. À suivre.

Photo fournie par Tourisme Chaudière-Appalaches