Léger, désinvolte, facile, estival, le rosé de Provence? Peut-être, mais pas seulement. Lors d'un récent séjour gastronomique et vinicole dans le sud de la France, j'ai rencontré des vignerons du Var, pour qui le rosé est une couleur parfaitement légitime. Le rose n'est peut-être pas la plus automnale des teintes, mais ce n'est pas une raison pour bouder notre plaisir, toute l'année durant. Voici en quelques escales, un circuit dans le Var du vin.

Oustau de Baumanière

C'est le traitement royal dans ce deux-étoiles Michelin des Baux de Provence, qui a ouvert ses portes en 1946.

À notre arrivée dans les jardins d'Oustau de Baumanière, il y a d'abord les arômes de romarin, de lavande, de cyprès qui nous émoustillent. Puis, nous découvrons les chic et chaleureuses chambres, le spa invitant et, bien sûr, la sublime cuisine du chef Jean-André Charial. Assez pour rendre inoubliable ce séjour dans les terres de Cézanne et Van Gogh.

 

Comme les étoiles attirent les stars, les bouches fines les plus célèbres du monde ont dîné chez Baumanière. Potin mondain, juste en passant: Carole Bouquet était à la table d'à côté, lors de notre passage. L'ex-égérie de Chanel s'ajoutait ainsi à un aréopage de clients prestigieux comptant la reine Élisabeth d'Angleterre, Bono et Hugh Grant.

Le chef Jean-André Charial, qui a entre autres séjourné chez Paul Baucuse et Alain Chapel, est aussi vigneron. Occupant l'AOC des Baux-de-Provence, une des plus chaudes et arrosées de Provence, les vignes de l'Affectif sont conduites en biodynamie. En d'autres termes, cela signifie que le rendement est limité et seuls les cépages reflétant au mieux le terroir sont travaillés.

La Bastide Blanche

Entre deux rangs de vignes, Michel Bronzo raconte son histoire d'amour avec l'appellation de Bandol, qui perdure depuis 1973. Dans les terres argileuses de son domaine de Sainte Anne du Castellet, il fait pousser du mourvèdre, du grenache et du cinsault qui font des rouges et des rosés, et de la clairette, de l'ugni blanc, du bourboulenc et du sauvignon pour les blancs.

Ambassadeur du Bandol le mieux connu des habitués de la SAQ, La Bastide Blanche compte 28 hectares de vignes qui s'étendent dans ce territoire aux teintes délavées, si caractéristiques de la Provence. Les vendanges ont été hâtives en 2009 (le coupable étant le réchauffement climatique) chez ce vigneron, qui qualifie son vin de «capricieux, caractériel, irrégulier».

«Pourquoi je me suis installé à Bandol? Par passion. Par folie. Parce que je suis né à une trentaine de kilomètres d'ici. Mais aussi pour la rigueur de ses vignerons, la typicité et l'authenticité de l'appellation», raconte avec son «acceng» ce producteur qui fait depuis toujours dans le bio. «Nous sommes bio, parce que c'est comme ça dans notre tête, c'est notre façon de travailler. Comme Bandol est un micromarché, nous pouvons commercialiser à des prix qui nous permettent de bien travailler.»

«Puissants, pleins de matière et dotés d'un potentiel de vieillissement», sont les trois attributs que Michel Bronzo colle aux vins de La Bastide Blanche. Sa cave est ouverte tous les jours, pour les amateurs qui veulent goûter sur place. On peut prendre rendez-vous pour une dégustation privée.

 

Photo: Sylvie St-Jacques, La Presse

Le domaine de ToascÀ Nice, à cinq minutes de l'aéroport, des vignerons aux mollets d'acier font pousser de la vigne dans les collines escarpées qui surplombent la ville. Cette appellation s'appelle le Bellet. Sa notoriété mondiale a reçu un beau coup de pouce du président Thomas Jefferson, qui appréciait les vins de cette région.

Il y a un siècle et demi, Bellet comptait 2000 hectares de vignobles (il en reste aujourd'hui 220). La culture de l'oeillet a eu raison de la vigne jusque dans les années 50, époque de l'émergence de l'industrie de la fleur coupée aux Pays-Bas. Aujourd'hui, autour de Nice, les condos poussent plus vite que la vigne, à ce qu'il paraît...

Bernard Nicoletti m'a fait monter en jeep pour une promenade en zigzag de sa terre verticale qui compte sept hectares de vignobles et deux hectares d'oliviers. «Il y a 250 mètres de dénivelé entre les vignes les plus hautes et les plus basses», raconte le jovial ex-industriel, converti en vigneron depuis une dizaine d'années.

Dans la salle de séjour du domaine de Toasc, où des dégustations sont offertes sur rendez-vous, plusieurs oeuvres des artistes de «l'École de Nice» (Arman, César...) sont mises en valeur. «Quand on reçoit des touristes, on leur parle des vins, de l'huile et de l'École de Nice, qui sont les trois principales attractions du comté de Nice, depuis les 10 dernières années», dit le vigneron, avant de nous faire goûter son rosé. «La Provence a encore une connotation de vins d'été, faciles, simples. Mais dans le Bellet, nous sommes dans une autre typologie, du fait que nous produisions en quantité restreinte.»

Domaines Bunan

Un univers de préretraités, la vigne? Pas chez les Bunan, qui exploitent un domaine niché dans le petit village provençal La Cadière d'Azur.

Exportateur de rosés, de rouges et de blancs dans 30 pays, ce luxuriant domaine de l'AOC Bandol jouit d'une belle notoriété chez les amateurs de vins et touristes viticoles québécois. «Nous recevons de plus en plus de familles et de jeunes voyageurs qui s'intéressent au vin», fait valoir Laurent Bunan, un vigneron dans la trentaine qui a suivi les traces de son père Pierre et de son grand-père Paul.

Laurent Bunan travaille en étroite collaboration avec l'oenologue Laurence Minard, celle qui veille aux dégustations de grain qui déterminent le moment où seront déclenchées les vendanges. «Le jour J, il faut être prêts», dit la jeune femme, qui a fait une école du goût avant d'être embauchée par ce vignoble acheté par la famille Bunan en 1961.

Alors, c'est difficile, la vie de vigneron? «Non. J'habite dans un endroit exceptionnel, je fais un métier exceptionnel et je m'entends très bien avec mon père, qui est quelqu'un de très ouvert», assure Laurent Bunan, qui utilise notamment Facebook comme outil de promotion du vignoble familial.

Ayant récemment réussi le passage au bio, les Domaines Bunan sont une excellente porte d'entrée sur le Bandol, pour qui s'intéresse à la production viticole à l'échelle humaine. «Nous sommes un petit domaine, ce qui est bien pour les gens qui recherchent le contact avec le vigneron. Derrière l'étiquette, il y a une place pour la rencontre avec les hommes», dit le fils Bunan.

Photo: Sylvie St-Jacques, La Presse

Château TriansEn prenant l'apéro devant le feu de foyer, dans le séjour de ce château de Néoules acquis à la fin des années 80 par Jean-Louis Masurel, j'ai eu le sentiment d'enfin toucher à l'âme de la culture du vin en Provence. En après-midi, j'ai même eu droit à mon «baptême» des vendanges, lorsqu'on m'a confié un sécateur et un sceau et qu'on m'a expliqué comment «attaquer» la grappe de grenache. Le soir venu, j'avais pleinement mérité mon verre de rouge!

Un amas de livres sur l'histoire romaine, l'architecture provençale et même la Chine encombre la table à café. Des planchers qui craquent. Une ancienne et défraîchie tapisserie enveloppe les murs de la salle à manger. Et surtout, un propriétaire gentleman farmer aux cheveux blancs, aussi aimable que passionnant. À sa table, nous avons causé vin, théâtre et voyages en Asie, en appréciant une simple mais savoureuse daube maison.

Mieux, il est possible de séjourner dans le vignoble de 80 hectares du Château Trians, puisque Jean-Louis Masurel, qui cultive grenache, syrah, cabernet, sauvignon, cinsault blanc, rolle, sémillon, ligni blanc et viognier, loue un appartement dans un corps de ferme du XVIIIe siècle. Les chambres sont sobres, confortables, et l'environnement délicieusement paisible.

La douce France, comme on l'aime, quoi!

Château Saint Julien d'Aille

Maria-Luise et Bernard Fleury m'accueillent dans la «boutique» de leur vaste et faste domaine de Vidauban. Une musique «boum boum» en sourdine tranche avec la solennité de l'endroit. La charmante dame du château, sosie allemand de Pauline Marois, a préparé de délicieux cakes aux olives, pour accompagner la dégustation des vins du Château Saint Julien d'Aille. M. Fleury, converti en vigneron après une prospère carrière d'industriel, ne nous épargne aucun détail sur l'histoire du terroir, qu'il a acquis au début des années 2000.

«Ici, les Romains ont élaboré tout un système d'irrigation servant au maraîchage. Il reste un aqueduc en pierres joliment dessiné. Si vous voulez, nous irons le voir plus tard. Mais il n'y avait pratiquement pas de vignes, à l'époque romaine. Or, vers 900 à 1100, les cisterciens s'ont venus s'établir ici et ont planté quelques vignes pour leur vin de messe», relate Bernard Fleury, pendant que dernières nous, des banquiers de la région brassent des affaires dans l'ancienne chapelle cistercienne convertie en salle de réception.

Ce somptueux Château Saint Julien d'Aille, situé en AOC Côte Provence, n'est pas vraiment le petit domaine intime où l'on peut goûter une production artisanale. Les Fleury se sont payé une Ferrari avec ces 80 hectares de vignes qui avoisinent aussi quelque 1300 oliviers.

«On a beaucoup investi, on a replanté, on a acheté des tracteurs. Quand je suis arrivé ici, j'ai vu les sommets blancs des Alpes maritimes, c'était beau. J'aimais le vin, mais je n'y connaissais rien. J'ai donc pris des cours d'oenologie pour apprendre comment travailler la vigne. Ç'a été une aventure familiale», évoque Bernard Fleury.

Les Fleury, dont la devise est «Vigor et fides» (Force et fidélité) rêvent d'annexer un hôtel-spa à leur domaine, qui serait administré par leurs trois grandes filles. En attendant, on trouve de charmantes auberges dans la commune de Vidauban, à quelques kilomètres du domaine.

Château MinutySaint-Tropez évoque la plage, les nanas en bikinis, les parasols. Mais quand on s'aventure dans les routes sinueuses de la presqu'île, on découvre que 2000 hectares de vignes y sont cultivés. La vigne a été implantée dans cette région par les Romains. Disparue pendant plusieurs siècles, elle a été réintroduite dans cette AOC Côte de Provence à la fin du XIVe siècle.

Le Château Minuty, l'un des domaines les plus importants de Saint-Tropez, se spécialise dans le rosé depuis les années 80, époque où le rose était une couleur qui rebutait plusieurs amateurs de vin. «On a réussi à faire aimer ce qu'on fait. Aujourd'hui, 95% des touristes boivent des produits locaux alors qu'il y a 20 ans, ce n'était que 50%. Le rosé, tout autant que la cuisine provençale, fait la force de l'identité de notre région», dit le vigneron Jean-Étienne Matton, dans le jardin du domaine familial qu'il a hérité de ses parents et de ses grands-parents. Aujourd'hui, Minuty produit 1,9 million de bouteilles par an. Une grande partie des récoltes de grenache et tibouren est destinée à la production d'un rosé «sérieux».

Les touristes qui affectionnent le bon rosé peuvent goûter aux vins de Minuty dans les restaurants de la presqu'île. Même si le Château ouvre ses portes pour des dégustations, il ne met pas encore en valeur le créneau «tourisme viticole».

Jean-Étienne Matton souligne que ce sont surtout les femmes au palais averti qui donnent au rosé la reconnaissance qu'il mérite. «Elles adorent sa délicatesse, sa simplicité, son côté naturel», assure-t-il.