Les grêlons commencent à tomber en fin d'après-midi. Comme si des travailleurs de la construction s'étaient mis à piocher sur le toit du camion.

«Merde. Merde. Merde. Merde», dit Bill Reid, notre guide, en penchant la tête.

Il attrape son talkie-walkie sur le tableau de bord et donne des ordres. «On s'en va d'ici. On s'en va. Il faut penser aux camions. On ne veut pas de pare-brise éclaté.

- Parfait, réplique Chuck Doswell, chef du second camion. Ouvrez la voie. On vous suit.»

À travers la fenêtre du véhicule, les plaines du Nebraska défilent à 120 km/h. Un poteau de téléphone toutes les trois secondes. Des chemins de terre qui mènent nulle part à toutes les 15 secondes. Une maison abandonnée - fenêtres placardées, parterre envahi de ronces - à toutes les 20 secondes. Des éclairs. Un ciel noir. Un champ infini qui s'assombrit.

À la radio, une voix informatisée lance un avertissement. «Une alerte de tornade a été émise pour le comté de Cherry. Restez calmes. Si vous le pouvez, trouvez refuge au sous-sol, loin des fenêtres, sous un objet solide, tel un banc de scie. Si vous êtes à l'extérieur, cherchez à vous rendre dans le creux d'une vallée et allongez-vous...»

Le camion file en ligne droite pendant de longues minutes. Le vacarme sur le toit a cessé. La tempête est derrière nous. Le chauffeur se range le long d'une route déserte. Bill défait sa ceinture de sécurité et ouvre sa portière.

«On s'arrête ici quelques minutes, jusqu'à ce que la pluie nous rattrape, lance-t-il, en empoignant son caméscope. Bonne tempête.»

Ne pas crier pour rien

Nous sommes au Nebraska pour courir après les tempêtes, pour franchir des centaines de kilomètres chaque jour à bord de camions high-tech dans le seul but de trouver un endroit où le temps est si mauvais que des tornades peuvent se former devant nos yeux.

Les résidants croisés sur notre chemin n'en croient pas leurs oreilles.

«Vous êtes ici pour faire quoi?» demande, incrédule, le caissier d'une station-service perdue dans le centre de l'État. Il est en train de calculer l'addition de notre dîner: des sacs de chips et des cheeseburgers enveloppés dans du papier aluminium.

«Les tornades, répète Chuck Doswell en montrant le ciel bleu à travers la fenêtre. Nous chassons les tornades.

- Hé hé! Je ne sais pas si je devrais être heureux de vous voir ici!»

Chuck est un homme dans la mi-soixantaine qui rit souvent et prend son temps pour parler. Il n'a plus un cheveu sur le sommet du crâne et porte un chapeau d'aventurier en permanence. Pas grand-chose ne semble l'énerver dans la vie. Il a commencé à chasser les tornades en 1972, quand son service au Vietnam a pris fin et qu'il a réuni des amis pour aller photographier des tempêtes près de chez lui, en Oklahoma. Il a terminé son doctorat en météorologie et chasse les tornades chaque année depuis.

Cette semaine, Chuck est notre guide. C'est lui qui décide quand on mange, quand on boit, où on dort, à quelle heure on se lève le matin.

C'est lui qui regarde les cartes météo sur l'écran de l'ordinateur portable et décide de traverser le Dakota-du-Sud cette journée-là parce que les risques de tempêtes semblent plus grands à 600 kilomètres d'ici.

«Quatre-vingts pour cent des tornades durent moins de 10 minutes, explique Chuck. C'est pour ça qu'il faut être au bon endroit, au bon moment.»

Aux États-Unis, chasser les tempêtes est une activité à laquelle on s'inscrit. Comme un cours de flûte ou une croisière dans le Sud. Une semaine de chasse dans le Midwest ressemble à ceci: 4500 kilomètres de route, du McDo deux fois par jour, des motels bon marché avec des portraits de loups sur les murs, très peu de sommeil et la mâchoire qui tombe devant une tempête en formation.

L'activité est sécuritaire, mais demande une certaine discipline. Il y a des limites à ne pas franchir, des règles à respecter. Ne pas crier pour rien. Ne pas courir. Ne pas se tenir sur la route ou trop près de la route. Ne pas tenir pour acquis que les conducteurs nous ont vus. «Quand il y a une tornade, les conducteurs ne regardent pas devant eux, prévient Chuck. Ils regardent la tornade.»

Il faut faire attention aux inondations éclair. Il ne faut pas toucher aux clôtures métalliques. Il faut tenir à deux mains la porte du camion en l'ouvrant. Les bourrasques l'ont déjà fait s'envoler. La carrosserie est encore endommagée. «Durant une tempête, rappelez-vous que votre environnement est modifié. Le son est ahurissant. Vous ne vous entendez pas crier.»

Qui paie pour aller chasser les tornades? Étonnamment, très peu de kamikazes ou d'amateurs de sensations fortes. Les chasseurs de tempêtes sont d'abord des amateurs de météo. Pour eux, un cumulonimbus bien structuré avec une belle base rotative est un joyau à photographier. Un souvenir qu'ils montreront ensuite fièrement au beau-frère ou aux collègues lors du prochain barbecue de la compagnie.

Le meilleur endroit

Notre chasse commence par un beau lundi de juin, dans la petite ville d'Alliance, dans l'ouest du Nebraska. La veille, nous avons roulé cinq heures depuis Denver pour pouvoir entamer la journée «sur le terrain», c'est-à-dire au milieu de nulle part.

Notre groupe se compose de Danny, 16 ans, venu avec son père Andy, patron d'une entreprise de télécommunications ; Angela, infirmière du Tennessee et bachelière en météorologie ; Liz, mère de famille et conseillère pédagogique dans une école du Massachusetts ; Peter, technicien de la BBC à Londres; Christophe, journaliste suisse, et Don, amateur de plantes et de photographie qui habite au Missouri.

Ce matin-là, nous nous réveillons au motel American Inn, dont la vue donne sur l'arrière d'un centre commercial. Le stationnement est rempli de camionnettes et de semi-remorques. Une note sur la porte des chambres se lit comme suit: «Il est interdit de nettoyer son arme à feu avec les serviettes de l'hôtel. Prière de demander une guenille à la réception.»

Après un café et des toasts, le groupe se réunit dans l'une des chambres. Assis sur le lit, Bill pianote sur son ordinateur portable relié à un projecteur portatif. Une carte des États-Unis apparaît sur le mur blanc.

«Comme vous pouvez voir, la météo est pas mal tranquille ce matin», dit-il, en zoomant sur le Nebraska. Il clique sur un onglet. Le nord-ouest de l'État est couvert d'une tache aux couleurs vives qui se déplace de manière mécanique et répétitive.

«On voit ici que la température va grimper en fin d'après-midi. Elle devrait dépasser les 35 degrés, ce qui est bon pour la formation de tempêtes. Les vents sont favorables, et le point de rosée devrait être au-dessus de 15 degrés, ce qui se présente bien. Je propose donc qu'on se déplace dans ce coin-là aujourd'hui. Chuck?

Ça m'apparaît raisonnable, répond celui-ci en lissant sa moustache. Il n'y a rien dans le ciel là-bas pour l'instant, mais ça va frapper plus tard aujourd'hui. C'est sans doute le meilleur endroit où aller.»

Dans la «Tornado Alley»

Il y a en moyenne 1000 tornades par année aux États-Unis. La quasi-totalité se forme dans les champs et les plaines, où elles ne font aucun dommage. Seule une vingtaine de tornades cause des dégâts. Chaque année, 150 personnes meurent à cause des tornades aux États-Unis, selon l'Organisation météorologique mondiale.

Surnommé «Tornado Alley», le Midwest est le meilleur endroit pour voir des tempêtes en Amérique du Nord. Le paysage est plat comme une allée de quilles. Le regard porte loin, et aucun bâtiment ne vient bloquer la vue.

La saison des tornades arrive avec les belles journées d'avril. Les chasseurs sillonnent les routes du Texas et de l'Oklahoma, où se manifestent les premières grosses tempêtes. Les tornades du printemps sont rapides: elles peuvent se déplacer à 100 km/h. Plus la saison avance, moins elles sont puissantes. Celles de la fin juin avancent à 40 km/h, souvent moins.

Chuck Doswell explique que chasser les tempêtes nécessite un mélange de science et de chance. «J'ai fait toutes les erreurs possibles au cours de ma carrière. Je me suis trompé de route, j'ai suivi la mauvaise tempête. J'ai déjà filmé une tornade avec une caméra qui n'avait pas de cassette.»

Il dit s'être déjà trouvé à 300 mètres d'une tornade. «Ce qui m'a surpris, c'est le son. C'était comme une grosse chute. Le lendemain, c'est l'odeur qui m'a frappé. Ça sentait la laine isolante mouillée, la nourriture avariée, le bois pourri... Une odeur très désagréable. En mai 99, je suis tombé sur une série de tornades extrêmes au Kansas. L'odeur était si forte qu'elle m'est restée dans le nez pendant trois semaines.»

La qualité la plus importante des chasseurs de tornades est la patience. Comme dans une partie de chasse ou un voyage de pêche, quelques minutes d'action nécessitent des heures d'attente, des centaines de kilomètres de route et d'ennui.

Faire de 10 à 12 heures de camion par jour pour se rendre dans un lieu propice aux tempêtes n'est pas toujours réjouissant. Plus d'une fois, au cours de la semaine, des participants se sont endormis sur la route, un sac de chips sur les genoux, des écouteurs d'iPod dans les oreilles.

La croyance populaire veut que la force destructrice des tornades rende leur observation dangereuse. Rien de plus faux, soutient Chuck, qui n'a jamais senti sa vie menacée. «Ça fait 36 ans que j'observe les tornades et je n'ai jamais frôlé la mort. On peut s'approcher des tempêtes, mais jamais trop près.»

Sur la route

Dans le nord-ouest du Nebraska, la grêle sur le camion et l'avertissement officiel à la radio font monter la tension d'un cran. Le nuage de la tempête au loin commence à prendre un mouvement circulaire.

Caméras en main, Bill et Chuck courent sur une colline et installent leur trépied en silence. Peu à peu, les membres du groupe les rejoignent. Au loin, les éclairs fendent le ciel et frôlent les champs. Le tonnerre retentit.

Devant nous, la tempête prend la forme d'une pyramide inversée. De petits vortex ressemblant à des doigts s'en détachent et pointent vers le sol, sans toutefois l'atteindre. Le soleil disparaît sous l'horizon, nous laissant seuls avec nos caméras et l'impression d'assister à un moment unique. Ici, la nature domine, le reste n'existe plus.

Un éclair fulgurant traverse le ciel.

«O.K., j'en ai assez, dit Danny. - Moi aussi», répond son père.

Ils dévalent la pente et disparaissent dans le camion blanc.

Chuck hausse les épaules. «Je reste encore un peu. Le bon côté, quand on se fait frapper par la foudre, c'est qu'on n'a pas le temps d'entendre le tonnerre!»

Il se penche pour regarder dans l'objectif de son appareil. La tempête est de plus en plus difficile à observer. L'horizon est noir par endroits. Des collines nous cachent la vue maintenant, nous obligeant à deviner ce qui se passe au-delà. Une pluie froide tombe.

«Cette tempête a la capacité de produire des tornades, estime Chuck. Dommage que nous ne puissions nous en approcher. Il n'y a aucune route qui va dans les champs par là. Je crois que nous allons devoir lui dire adieu.»

Après une autre heure de route, Chuck propose de s'arrêter pour observer l'orage qui éclate. Le camion tourne à droite au sommet d'une côte et s'arrête dans un chemin de terre. «On va rester ici un bout de temps, dit Chuck. Le spectacle risque d'être impressionnant. En sortant, faites attention à la clôture de barbelés.»

Une bourrasque de vent chaud nous souffle au visage. Il est 22h, et le ciel est complètement noir. Devant nous, les éclairs explosent à toutes les cinq secondes, déchirent l'horizon. Le ciel infini du Nebraska comme un écran IMAX. La foudre comme un bombardement à haute altitude. Je n'ai jamais vu autant d'éclairs de ma vie. Rarement se sent-on aussi petit. Comme une poussière que les éléments tolèrent. Un témoin devant le spectacle du chaos.

Personne ne s'en va cette fois. Personne ne dit mot. Des trépieds apparaissent. Chuck Doswell hurle de joie, le visage collé contre l'objectif de sa caméra.

Comment les tornades se forment-elles ?

Les tornades sont un vortex de vents extrêmement violents qui descend d'un cumulonimbus. Pour se former, elles nécessitent des conditions météorologiques précises : un taux d'humidité élevé, du temps chaud, un courant ascendant, et une grande quantité d'énergie disponible.