Plus une table de libre au Palm Court Jazz Café. Sur la scène, le trompettiste et chanteur Lionel Ferbos entame When the Saints. Le souffle est puissant, la voix, solide et sans tremblement.

Étonnant? Oui, si on considère que Ferbos va bientôt célébrer ses 99 ans.

Chaque samedi, le plus vieux musicien actif de La Nouvelle-Orléans fait danser les clients du café-resto du Quartier français jusqu'à tard en soirée. Dans la salle, une autre légende locale, Uncle Lionel Baptiste, 79 ans, joue les séducteurs auprès des femmes (toutes!).

 

On les dirait infatigables tous les deux; ils reviennent pourtant de loin. Le premier a perdu presque tous ses biens dans les inondations provoquées par le passage de l'ouragan Katrina, en 2005. Le second a failli y perdre la vie; il s'est accroché à sa grosse caisse pour ne pas se noyer, avant de se réfugier sur un viaduc.

Mais the show must go on... Dans une ville qui a toujours vibré au son du jazz, du blues, du dixie, du zydeco, la résurrection post-Katrina devait forcément se faire en musique. Les boîtes de jazz de La Nouvelle-Orléans ont vite retrouvé leurs musiciens... Le public, lui, a mis plus longtemps à revenir.

 

Photo: Roebrt Skinner, La Presse

Lionel Ferbos: 98 ans et toujours autant de souffle.

Les touristes se sont faits rares dans les années qui ont suivi Katrina. Et ce, même si les quartiers touristiques - comme le Quartier français ou le Garden District - ont été peu touchés, parce quils sont construits au-dessus du niveau de la mer. «Les gens ont cru que la ville en entier était démolie, que La Nouvelle-Orléans était morte et enterrée, déplore Kim Priez, vice-présidente de l'Office de tourisme de la ville. Encore aujourd'hui, les gens gardent en tête les scènes de destruction qu'on a vues à la télévision.»Doreen Ketchens, bien nommée Reine de la clarinette, a installé son band de cuivres dans Royale Street. Tous les après-midi, la rue est envahie par les promeneurs, les amuseurs publics, les musiciens. «Les visiteurs sont revenus, comme avant, lance-t-elle. Pendant le Festival de jazz du French Quarter, au début du mois d'avril, il y avait tellement de monde qu'on ne savait plus où donner de la tête!»

Même sans festival, le quartier historique bouillonne avec l'arrivée du printemps. Sur la terrasse intérieure du bar Pat O'Brian, plus grand acheteur de rhum du pays, pas une place de libre en plein après-midi. Les rires fusent, les verres s'entrechoquent. Dans le piano-bar, ambiance plus feutrée, mais même constat: les deux pianistes jouent devant une salle comble. Le barman ne fournit pas à la demande de Hurricane - cocktail rose bonbon ultra-puissant - dont la recette est gardée secrète: «4 onces de rhum et 4 onces d'un mélange spécial», se contente de dire le menu.

Sans prévenir, un orchestre de cuivres surgit et traverse la cour dans un tourbillon de rythm and blues. Les tables se vident; les clients suivent la fanfare pour danser jusque dans la rue...

Une fête spontanée et improvisée, comme il en arrive chaque jour dans cette ville pas comme les autres.

Photo: Roebrt Skinner, La Presse

Le Quartier français se visite aussi en calèche.

Des Saints et des seins

En soirée, l'animation se déplace dans Bourbon Street, rue de tous les plaisirs version La Nouvelle-Orléans. Bourbon Street a retrouvé sa réputation sulfureuse et clinquante. Avec ses fêtards, ses néons et ses stripteaseuses qui vont chercher les clients jusque dans la rue. Puis ses touristes prêtes à montrer leur poitrine en échange d'un collier de perles de plastique lancé du haut des balcons en fer forgé.

Il faudrait plus qu'un ouragan pour venir à bout du sens de la fête de La Nouvelle-Orléans. «On sait ce qu'on a perdu ou ce qu'on a failli perdre, lance Doreen Ketchens entre deux solos de clarinette. Quand le matériel a disparu, il reste l'essentiel.»

Il reste la vie. Et la fierté d'avoir survécu au pire.

Depuis février, cette fierté s'est trouvé une puissante incarnation avec la victoire des Saints au Super Bowl. La victoire des négligés sur les Colts d'Indianapolis a été l'émission de télé la plus regardée de l'histoire des États-Unis, avec 106,5 millions de téléspectateurs.

«On est encore sur un high, lance Gerard C. Amato, propriétaire du restaurant Mother's. On en avait besoin, et pas seulement à cause de Katrina. Ça faisait 47 ans qu'on attendait, qu'on allait voir leurs matchs avec des sacs en papier sur la tête tellement ils étaient mauvais!»

Peu importe le prétexte, La Nouvelle-Orléans s'endort souvent en fêtant. Et se réveille en soignant son foie... avec un bon petit cocktail. Pas un restaurant ne pourrait faire commerce ici sans avoir au menu quelques eye openers (littéralement des ouvre-yeux), boissons alcoolisées censées vous remettre le cerveau en marche.

Chez Mother's, à l'extrémité du Quartier français, une cinquantaine de personnes font la file le dimanche matin devant le restaurant aux allures de binerie. L'endroit sert, dit-on, le meilleur jambon du monde (et on confirme!).

Pat, la serveuse, prend le temps de blaguer avec chacun, même si les commandes s'accumulent. Elle travaille ici depuis plus de 20 ans. Quand Katrina a frappé, le patron s'est rappelé la loyauté de ses troupes. Il a acheté neuf roulottes pour loger ses employés et leur familles, devenus sans-logis. Pat et les autres ont vécu neuf mois dans le stationnement du restaurant...

Depuis cinq ans, les Néo-Orléanais ont démoli, rebâti et vécu longtemps dans leurs valises. Le travail est loin d'être terminé. Mais ce n'est pas une raison pour ne pas célébrer.

Un petit Bloody Mary avec le jambon?

Les frais de ce reportage ont été payés par l'Office de tourisme de La Nouvelle-Orléans et New Orleans Hotel Collection

Marée noire: la ville épargnée

Si la marée noire provoquée par l'explosion d'une plateforme de forage dans le golfe du Mexique menace les fragiles écosystèmes des côtes de la Louisiane, La Nouvelle-Orléans risque peu d'être touchée. La ville est située à 160 km à l'intérieur des terres. «La marée noire n'aura pas d'impact direct sur les touristes et les habitants de la ville», a indiqué dans un communiqué l'Office de tourisme de la ville, qui «ne prévoit aucune perturbation quant aux services rendus aux visiteurs».

Repères

Quand y aller

À moins d'aimer vivre dans une étuveuse, mieux vaut éviter d'y aller en juillet et en août. La chaleur et l'humidité atteignent des records. Au printemps et à l'automne, il fait chaud, mais pas trop.

Comment y aller

Aucun vol direct entre le Canada et La Nouvelle-Orléans. Il faut obligatoirement passer par un aéroport américain. Dans notre cas: Detroit à l'aller, Atlanta au retour.

Sur place

La ville se visite très facilement à pied. À essayer: une des trois lignes de tramways historiques. Coût du billet: 1,25$.

Vivre pour manger et non l'inverse

Dire que les habitants de La Nouvelle-Orléans aiment manger est un euphémisme. Ils passent les repas à parler de ce qu'ils vont manger le lendemain! Mieux, il y a encore plus de restaurants aujourd'hui dans la ville qu'il y a cinq ans.

Carnet d'adresses gourmandes (appétits d'oiseaux s'abstenir).

Brennan's

417, Royale Street

Ici, l'eye opener se fait chic: lait au brandy, saupoudré de muscade fraîche. Le menu déjeuner aussi: soupe à la to rtue, huîtres bénédictines et bananes Foster flambées au rhum et à la liqueur de banane. Un classique inventé sur place.

7 on Fulton

700, Fulton Street

Le resto de l'hôtel Wyndham Riverfront propose un menu créole revisité. Et l'hôtel est juste assez près de l'action sans avoir à en subir le bruit.

Café du Monde

800, Decatur Street

Commencer la journée avec des beignets frits ensevelis sous le sucre à glacer et un café au lait coupé à la chicorée? Typiquement néo-orléanais. Un incontournable ouvert 24h sur 24.

August

301, Tchoupitoulas Street

Dans ce resto gastronomique, le chef John Besh propose une cuisine française contemporaine avec des ingrédients locaux.

Mother's

401, Poydras, Street

Pour déjeuner avec du «debris» (du boeuf cuit tellement longtemps qu'il s'effiloche), du gruau de maïs, des saucisses maison et du jambon. Le slogan de la maison: A whole lotta food... C'est tout dire.

Steamboat Natchez

Départ du quai de Toulouse Street

On ne fait pas ce dîner-croisière pour la bouffe, mais pour voir live les Dukes of Dixieland avec, comme toile de fond, les rives du Mississippi.

Gumbo Shop

630, Saint Peter Street

Gumbos et autre plats créoles, servis dans la cour d'un bâtiment de 1795.

Café Amélie

912, Royale Street

Pour boire un Bloody Mary décoré d'un okra mariné (exit le céleri!) sur une terrasse magnifique.

Photo: Robert Skinner, La Presse

Les cocktails se font arc-en-ciel dans les bars du Quartier français.