Randonnée au pays des cactus
La nature du sud-est de l’Arizona est belle et inquiétante. On s’en rend compte dès le départ.
À Ajo, au sud de Phoenix, l’hôtelier recommande aux visiteurs de faire bien attention en ouvrant la porte de la chambre d’hôtel pour ne pas laisser entrer un serpent impertinent. Le Sonoran Desert Inn est installé dans une ancienne école primaire et chaque chambre donne sur une vaste cour intérieure ornée de cactus. Pendant la nuit, j’entends des coyotes. Au petit matin, après avoir visité la grande plaza d’Ajo, avec ses églises blanches et sa station de train de style renouveau colonial espagnol, je vois un géocoucou traverser la rue à toute vitesse. Roadrunner ! C’est Roadrunner !
Ajo se situe aux portes de l’Organ Pipe Cactus National Monument, un immense parc qui protège la seule population de cactus orgue des États-Unis. Une très belle route panoramique de 34 km permet de circuler dans un véritable jardin de cactus.
On y voit le cactus orgue, bien sûr, une sorte de bouquet qui, avec beaucoup d’imagination, ressemble aux tuyaux d’orgue. Mais on retrouve aussi le fameux saguaro, ce cactus géant avec un ou deux bras qui évoque les westerns de notre enfance, le figuier de barbarie, qui ressemble à un buisson d’oreilles de Mickey Mouse, et le teddy-bear cholla, un cactus qui semble recouvert de douce fourrure, mais qu’il ne faut surtout pas câliner.
Pour admirer ce désert vert à son aise, il est préférable de descendre de la voiture et de parcourir l’un des nombreux sentiers de randonnée pédestre du parc. On peut y faire des rencontres intéressantes. C’est ainsi que dès le début du sentier d’Arch Canyon, je tombe sur un superbe lézard aux motifs noir et ocre, qui rappelle la vannerie amérindienne. J’apprendrai plus tard que c’est un monstre de Gila, l’un des deux seuls lézards venimeux d’Amérique du Nord. C’est un détail que j’aurais préféré connaître avant de m’accroupir tout à côté de l’animal pour prendre son portrait.
Le reste de la rando se poursuit sans évènement fâcheux et je me permets d’emprunter un autre beau sentier, Bull Pasture, qui circule entre de grands murs de roche avant d’aboutir sur un plateau qui offre une vue inégalée sur le parc et sur le Mexique, au sud. La frontière est toute proche, des affiches nous recommandent de ne pas entrer en contact avec d’éventuels immigrants illégaux. Il est donc préférable d’éviter les sentiers non officiels. D’ailleurs, ces sentiers sont étroits et nous font frôler les cactus. Je passe une partie de ma pause-midi pour enlever les épines de cactus qui se sont fixées dans mon genou.
Choisir son désert
À Tucson, le désert n’est jamais bien loin, notamment avec l’Arizona-Sonora Desert Museum. Il s’agit en fait d’un grand jardin botanique doublé d’un parc zoologique qui permet de passer des heures à jouer à « chercher Charlie » : essayer de trouver le boa mexicain ou le serpent-taupe dans un vivarium ou de détecter le pécari (un petit animal qui ressemble à un cochon très poilu) ou le coyote dans de grands espaces plus ou moins clôturés. Avec un peu de patience, la traque est couronnée de succès.
Le musée organise tous les matins un atelier où il est possible de voir voler des oiseaux de proie à très basse altitude. En fait, ces superbes oiseaux rasent carrément la tête des spectateurs. C’est une bonne idée de se placer à côté de quelqu’un qui fait deux mètres pour diminuer les risques.
La ville de Tucson est située entre deux secteurs du Saguaro National Park. Ça tombe bien, le secteur ouest se trouve tout à côté de l’Arizona-Sonora Desert Museum. C’est le temps de se lancer dans un vrai désert. Il y a un grand choix de sentiers pédestres et le parc fournit un petit guide très pratique qui permet de choisir la randonnée idéale en fonction de la distance et du dénivelé désirés. Je choisis ainsi une boucle de 11 km, qui emprunte notamment une crête (le sentier Hugh Norris) avant de redescendre dans la vallée par des wash trails, soit des sentiers qui suivent des lits de rivière asséchés.
C’est le début de l’après-midi, il fait chaud, le soleil tape, il n’y a pas d’ombre, des vautours (des urubus à tête rouge, pour être plus précise) me survolent… Heureusement, la température se rafraîchit alors qu’on prend de l’altitude, un petit vent fait du bien, les majestueux saguaros font place à de plus petits cactus, le désert se déploie tout en bas. Le retour sur les wash trails est un peu plus difficile : il faut marcher dans du sable et de la petite gravelle, ce qui nécessite des arrêts fréquents pour vider les chaussures. Je respecte les directives du parc : ne pas mettre les mains ou les pieds là où l’on ne voit pas. Il y a des serpents à sonnettes dans le coin, mieux vaut ne pas les chatouiller par mégarde.
Le sud-est de l’Arizona ne se limite pas aux cactus. Avec le Chiricahua National Monument, on accède à ce qu’on appelle ici une « île dans le ciel » : un écosystème de haute altitude composé notamment de forêts de chênes et de pins, isolées au milieu du désert.
Mais ce qui caractérise Chiricahua, ce sont des colonnes de rhyolite, une pierre volcanique rosée ou grise, qui s’élancent autour de profonds canyons. Une route panoramique traverse le parc et permet notamment d’accéder aux plus beaux sentiers de randonnée de Chiricahua, Echo Canyon Trail et Heart of Rocks Loop (la boucle au cœur des roches). Les roches qui bordent ces sentiers sont particulièrement esthétiques, couvertes en partie par du lichen vert. Elles s’empilent les unes sur les autres en prenant les formes les plus diverses. L’équilibre semble parfois précaire. C’est donc en faisant le moins de bruit possible que je termine la randonnée.
Retour vers le Far West
Le sud-est de l’Arizona, c’était le pays des cowboys et des prospecteurs d’or. Mais bien avant, c’était le territoire des Apaches.
Les montagnes Dragoons constituaient le refuge du grand chef apache Cochise, qui a mené une guerre ouverte contre les Blancs pendant une décennie.
Il était donc logique d’installer au cœur des Dragoons, et de ses grands rochers arrondis de couleur ocre, un musée consacré aux cultures autochtones, baptisé Amerind.
L’Arizona s’est par la suite bâti sur la prospection et l’exploitation minière. Au XIXe siècle, bien des hommes ont quitté leur région natale à la recherche d’or ou d’argent. Certains ont fait fortune. Ils ont créé des mines, bâti de petites villes. L’or ou l’argent épuisé, un grand nombre de ces villes champignons sont devenues des villes fantômes. L’exploitation du cuivre demandait plus d’investissement, mais offrait une production plus stable, plus permanente, et de petites villes ont pu survivre plus longtemps. Comme Bisbee.
Les diverses mines ont fini par fermer au cours des années 1970, mais Bisbee a su se renouveler en misant sur l’art, la culture et le tourisme.
C’est donc une jolie ville qui m’accueille, condensée dans une vallée ensoleillée, aux rues étroites qui gravissent ses versants, aux escaliers qui relient les demeures aux rues commerciales.
Le passé minier est à l’honneur. Je loge dans un ancien immeuble qui hébergeait les mineurs et leur famille, l’Eldorado Suites Hotel, rénové et redécoré avec beaucoup de goût. Je me fais un devoir de visiter le Musée de l’histoire et des mines de Bisbee, particulièrement bien présenté.
L’établissement est affilié au musée Smithsonian de Washington DC. Au cours des dernières années, l’institution a remis à des musées régionaux des parties importantes de sa collection et les a aidés à les mettre en valeur. Le petit musée de Bisbee a profité de ce traitement de faveur.
Je me fais un plaisir de visiter la mine Queen : on y pénètre en prenant place à bord d’un petit train qui descend dans les profondeurs. Notre guide, David Austin, descendant d’une lignée de mineurs, nous explique les différentes techniques utilisées au cours des années pour extraire le précieux métal.
Située à une trentaine de minutes de route de Bisbee, Tombstone est aussi une ville minière. Mais ce ne sont pas vraiment les mines qui ont fait sa renommée. C’est plutôt une terrible fusillade qui a fait trois morts et deux blessés graves à O. K. Corral, en octobre 1881. Wyatt Earp, ses frères Virgil et Morgan et son ami Doc Holliday ont affronté quatre cowboys peu soucieux des lois, les frères Billy et Ike Clanton et les frères Frank et Tom McLaury.
En seulement 30 secondes, près de 30 coups de feu ont été échangés. Seul Wyatt Earp est demeuré debout, indemne, ce qui l’a fait entrer dans la légende.
Tombstone joue à fond cette carte historico-touristique. La rue principale du vieux centre-ville, couverte de poussière, parcourue par des diligences, est bordée de bâtiments de style western qui abritent maintenant diverses boutiques. Des cowboys armés de six-coups et des dames aux longues jupes se promènent sur les trottoirs de bois.
Après avoir passé la nuit à la Russ House, un bâtiment d’adobe qui date de 1880, j’assiste à une reconstitution de la fameuse fusillade au site même d’O. K. Corral. C’est un spectacle gentiment familial : il faut acclamer les bons (les frères Earp) et huer les méchants (les cowboys). Plus sérieusement, le site présente divers artefacts qui datent de l’époque de Wyatt Earp. L’ancienne cour de justice de Tombstone, un bâtiment de 1882, s’est également transformée en musée.
C’est toutefois le théâtre Bird Cage qui donne l’image la plus fidèle du Far West. Le bâtiment n’a pas été touché par les grands incendies de 1881 et 1882. À sa fermeture, en 1889, on l’a placardé et personne n’y a mis le pied avant 1934. Tout y est encore authentique : les rideaux fanés, le vieux piano, les 140 marques de balles dans le plafond et les murs. Au sous-sol, on y retrouve les petites chambres utilisées par les dames de la nuit et les tables de poker et de faro où se sont succédé les Earp et leurs ennemis.
Le voyage se termine au vieux cimetière de Tombstone, où se reposent pour l’éternité Tom et Frank McLaury, Billy Clanton, et un grand nombre d’autres cowboys tués lors de disputes. Les planches qui servent de pierres tombales ne sont évidemment pas authentiques, mais elles ont été soigneusement reconstituées à partir de photos d’époque. La lecture de ces épitaphes est fascinante : « Geo. Johnson. Hanged by Mistake » (pendu par erreur) ou encore « 3-Fingered Jack Dunlap. Shot by Jeff Milton » (tué par Jeff Milton).
Le cimetière s’appelle Boothill (la colline des bottes). Le nom a été choisi à dessein. Parce que c’est avec les bottes aux pieds que meurent les cowboys.
Les frais de ce voyage ont été assumés en partie par l’Office de tourisme de l’Arizona et par Visit Tucson, qui n’ont exercé aucun droit de regard sur le contenu de ce reportage.