Il y a plus de 200 ans, un grand nombre de Canadiens français ont quitté la vallée du Saint-Laurent pour s’établir le long du Mississippi, notamment à St. Louis. Ne serait-il pas temps de rendre une petite visite à leurs descendants, nos cousins d’Amérique ?

Tout a commencé par un simple courriel à la rédaction de La Presse.

« Je m’appelle Robert Teson et j’habite dans la ville de St. Louis aux États-Unis. Je suis au cour d’apprendre le français pour m’aider rechercher l’histoire de mes ancêtres (je vous prie d’excuser mes erreurs). Dans le cadre de mon apprentissage je lis La Presse chaque jour et voilà, j’ai remarqué le nom d’un de vos journalistes, Marie Tison. En lisant ses articles je me demande si c’est possible qu’elle pourrait partager des ancêtres avec moi. Je suis un descendant de Jean Baptiste Tison qui, avec sa femme Marie Anne (née Normandeau), sont partis de Montréal dans le printemps de 1789. Avec trois enfants ils ont voyagé à travers les Grands Lacs ensuite le Mississippi jusque à ce qu’ils sont arrivés à St. Louis dans l’automne. »

Il donne quelques détails généalogiques que je reconnais. Son ancêtre Jean Baptiste est le fils du premier Tison à s’installer au Canada, aux alentours de 1756. Il s’appelait Jean Baptiste Joseph Tison et était aussi mon ancêtre. Je réponds donc en commençant par ces mots : Bonjour, cher cousin.

Commencent alors des échanges entre les deux branches éloignées de la famille. Bob Teson, professeur d’histoire à la retraite, et sa femme Susan visitent Montréal à deux reprises. Cette année, c’est à mon tour de me déplacer et de voir la région de St. Louis à travers les yeux de mon cousin. Notre but : retrouver les traces de la présence francophone.

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The Gateway Arch a été bâtie sur le lieu même du village français de St. Louis.

St. Louis et son passé français

Le symbole de St. Louis, c’est évidemment la Gateway Arch, le plus grand monument des États-Unis avec 192 mètres de hauteur. Cette arche symbolise la porte d’entrée vers l’Ouest américain. Bob Teson blague à moitié en disant qu’ici, l’histoire ne semble commencer qu’avec la grande expédition Lewis et Clark, qui a traversé l’Ouest américain pour atteindre le Pacifique entre les années 1804 et 1806.

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Le drapeau de la ville de St. Louis représente la confluence du Mississippi et du Missouri et rappelle l’origine française de la ville avec la fleur de lys.

Heureusement, un nouveau musée situé sous l’arche consacre une section entière au passé français de St. Louis. La ville a été fondée par le marchand français Pierre Laclède et son beau-fils Auguste Chouteau en 1764. Les deux venaient de La Nouvelle-Orléans, mais ce sont surtout des Canadiens français provenant de la vallée du Saint-Laurent qui se sont établis ici, pour s’impliquer notamment dans le commerce des fourrures.

Le petit musée parle justement de l’atelier de Jean-Baptiste Tison, un charpentier. Mais on retrouve aussi le magasin de Sylvestre et Pélagie Labadie et les maisons de William Hébert dit Lecompte et de Joseph Michel dit Taillon.

Il y a toutefois ici une triste ironie : pour ériger la Gateway Arch, achevée en 1965, il a fallu raser 40 pâtés de maisons aux abords du Mississippi, faisant disparaître ce qui aurait pu rester de l’ancien village colonial français.

L’histoire de St. Louis est compliquée. D’abord française, la ville est passée dans le giron espagnol après la guerre de Sept Ans, pour redevenir brièvement française avant de passer aux mains des Américains en 1803 lorsque Napoléon a vendu l’immense territoire de la Louisiane aux États-Unis.

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Robert Teson consulte des documents d’époque pour déterminer où se trouvait la maison et l’atelier de son ancêtre Jean-Baptiste Tison.

« Ce ne sont pas les Tison qui sont venus aux États-Unis, ce sont les États-Unis qui sont venus aux Tison », lance Bob Teson.

La quête de ses origines est liée à un besoin de se trouver une place dans la grande histoire américaine. « La présence française, ça n’entre pas dans la trame narrative américaine. »

L’ancien symbole de la ville, une imposante statue équestre de saint Louis, se trouve dans le Forest Park, l’autre grande attraction de la ville. On retrouve dans cet immense espace vert, plus vaste que le Central Park de New York, des institutions incontournables comme le Musée d’art de St. Louis, le Musée historique du Missouri et le Zoo de St. Louis.

À proximité du parc, le quartier Central West End compte de nombreux restaurants. Bob Teson recommande également des quartiers animés comme The Loop, Lafayette Square et South Grand, près de l’agréable parc de Tower Grove, pour se restaurer. C’est l’occasion de parler de nos ancêtres et de spéculer sur les raisons qui ont pu amener Jean-Baptiste Tison et ses compatriotes à effectuer un long voyage en canot pour s’établir à St. Louis et dans les environs. Parce qu’il n’y a pas que St. Louis. La petite ville de St. Charles vaut le détour. Les Canadiens français l’avaient appelée Les Petites Côtes.

  • La minuscule église de Saint-Charles-Borromée, dans l’ancien village Les Petites Côtes, a été construite selon la technique de poteaux-en-terre.

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    La minuscule église de Saint-Charles-Borromée, dans l’ancien village Les Petites Côtes, a été construite selon la technique de poteaux-en-terre.

  • Les noms de rues de Florissant, en banlieue de Saint Louis, rappellent son passé français.

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    Les noms de rues de Florissant, en banlieue de Saint Louis, rappellent son passé français.

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Retrouver les traces du passé

La ville est jolie, il est plaisant d’arpenter sa rue principale, et on y retrouve surtout un intéressant bâtiment d’origine française, la petite église Saint-Charles-Borromée. C’est un bel exemple de l’architecture créole française de type « poteaux-en-terre ». On parle de grandes poutres verticales plantées directement dans le sol.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Pour des raisons sentimentales, Bob Teson nous amène à Florissant, en banlieue de St. Louis, un ancien village français qui, comme son nom l’indique, était propice à l’agriculture. Il ne reste de ce passé francophone que quelques noms de rue et un cimetière qui abrite les restes de plusieurs Américains d’origine française, dont plusieurs Teson.

« Quand avons-nous perdu notre caractère français ? se demande Bob Teson. La mère de mon grand-père parlait français. Je suis déconnecté de ce passé. »

  • L’exceptionnelle église de la Sainte-Famille, à Cahokia. Les poutres sont installées sur un socle, selon la technique poteaux-sur-sol. Des poutres diagonales servent à renforcer les coins. Les murs sont légèrement inclinés vers l’intérieur pour plus de solidité.

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    L’exceptionnelle église de la Sainte-Famille, à Cahokia. Les poutres sont installées sur un socle, selon la technique poteaux-sur-sol. Des poutres diagonales servent à renforcer les coins. Les murs sont légèrement inclinés vers l’intérieur pour plus de solidité.

  • Il y a quelques années, Robert Teson ignorait l’existence de l’église de la Sainte-Famille. À ses yeux, cette petite bâtisse est un trésor.

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    Il y a quelques années, Robert Teson ignorait l’existence de l’église de la Sainte-Famille. À ses yeux, cette petite bâtisse est un trésor.

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Cette quête des origines l’a amené de l’autre côté du Mississippi, en Illinois, sur ce qu’on appelle le French Creole Corridor, qui recèle des trésors. Comme l’extraordinaire église de la Sainte-Famille, à Cahokia, fondée en 1699 par des jésuites du Québec. Le bâtiment actuel date de 1799 et a été restauré avec soin en 1949. On a utilisé ici la technique de poteaux-sur-sol : les poutres verticales reposent sur un socle.

Une pierre à l’arrière énumère les villageois qui se sont battus avec les Américains contre les Britanniques dans le cadre de la guerre de l’Indépendance, entre 1775 et 1783. Les noms sont pratiquement tous d’origine canadienne-française : Alarie, Baron, Beaulieu, Bissonet, Boyer, Brisson, Chenier, Chevalier, Dubuque, Ducharme, Gagnier, Germain, Girardin, Lacroix, Lambert, Langlois, Lefevre, Lepage, Pelletier, Roy, Saucier, Trottier...

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Ce petit bâtiment a servi de palais de justice, mais il s’agissait au départ de la demeure de François Saucier, un citoyen important de Cahokia.

D’autres bâtiments de style créole français se dissimulent entre les bungalows de Cahokia : un petit palais de justice, la maison Martin-Boismenu.

« J’aime cette maison parce que la demeure de mon ancêtre sur le bord de la rivière ressemblait probablement à ça », lance Bob Teson.

  • Le fort de Chartres original était un bâtiment de bois. Le roi Louis XV a ordonné la construction d’un fort de pierre en 1753.

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    Le fort de Chartres original était un bâtiment de bois. Le roi Louis XV a ordonné la construction d’un fort de pierre en 1753.

  • Le fort de Chartres a été nommé en l’honneur du duc de Chartres, frère du duc d’Orléans.

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    Le fort de Chartres a été nommé en l’honneur du duc de Chartres, frère du duc d’Orléans.

  • La poudrière est le seul bâtiment original du fort de Chartres. Les autres structures ont été recréées sur les fondations d’origine.

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    La poudrière est le seul bâtiment original du fort de Chartres. Les autres structures ont été recréées sur les fondations d’origine.

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Le French Creole Corridor se poursuit vers le sud, en passant par le fort de Chartres. Le bâtiment actuel est une reconstitution du fort de pierre de 1753. Seule la poudrière est d’origine, mais la reconstitution donne quand même une bonne idée de l’aspect original.

Dans le petit musée, on peut trouver les noms des artisans du fort de pierre, conçu par François Saucier. On y retrouve des Brunet, des Couturier, des Lupien.

  • La Green Tree Tavern est un autre bâtiment incontournable de Ste. Genevieve.

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    La Green Tree Tavern est un autre bâtiment incontournable de Ste. Genevieve.

  • La maison de Louis Bolduc, dans le village de Ste. Genevieve, a été meublée avec des morceaux d’époque.

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    La maison de Louis Bolduc, dans le village de Ste. Genevieve, a été meublée avec des morceaux d’époque.

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De retour au Missouri, à l’ouest du Mississippi, le temps manque un peu pour aller faire un tour à Kaskaskia et à Old Mines, où on parlait encore français dans les années 1930.

Par contre, pas question de manquer Ste. Genevieve, un pittoresque village qui remonte aux années 1720 et qui compte de nombreuses maisons d’origine française. Comme la très belle demeure de Louis Bolduc, qu’on a aménagée amoureusement avec des meubles d’époque.

Le Service national des parcs des États-Unis possède certains de ces bâtiments, le Centre for French Colonial Life en possède d’autres, les deux proposent des visites guidées.

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Robbie Pratte et Bob Teson discutent de la conception d’une pirogue. À l’époque, Jean-Baptiste Tison façonnait de telles embarcations.

Avant de repartir vers St. Louis, nous avisons un homme qui s’échine à creuser une pirogue dans un énorme tronc d’arbre. À l’époque, la pirogue était plus adaptée à la navigation sur le Mississippi que le fragile canot d’écorce.

Nous jasons quelque peu pour découvrir que le personnage, directeur de l’exploitation du musée du Centre for French Colonial Life, est aussi un descendant des premiers arrivants Canadiens français. Je lui demande son nom : Robbie Pratt.

Ciel ! Je suis peut-être tombée sur le cousin éloigné de mon camarade de la section des Sports, Alexandre Pratt !

Consultez le site web du Centre for French Colonial Life (en anglais) Apprenez-en plus sur le French Creole Corridor (en anglais)

Air connu

Le folkoriste américain Dennis Stroughmatt a appris cette belle version des Chevaliers de la Table ronde auprès de descendants de Canadiens français installés dans le petit village isolé d’Old Mines, au Missouri.

Regardez la vidéo au complet