Le 18 décembre 2001, on annonce : «Gilbert Bécaud est mort sur sa péniche parisienne...» Au-delà du choc de la disparition, une réaction : «Quoi? On peut vivre sur ces bateaux?» Pour les touristes, la péniche signifie une croisière sur la Seine. Mais pour 1400 Français, c'est bien leur maison. Sur les 7500 km de voies navigables en France, les habitations flottantes s'accrochent au fil de l'eau. Et pas besoin d'être un chanteur à succès pour s'en payer une. Serge, un photographe amarré sur l'île Saint-Denis, tout juste au nord de Paris, ouvre son repaire de pirate (drapeau à l'appui!) au Soleil.

Pour arriver chez lui, on déambule sur la promenade longeant la Seine où le muret de ciment aligne les adresses et les passerelles. On arrive sur le pont, aménagé en terrasse ensoleillée avec chaises longues et plantes. Pour peu, on se croirait dans un pays chaud.

La péniche de Serge compte 200 m² habitables avec presque 39 mètres de long par cinq de large. Un espace à la limite de l'outrageant dans un Paris aux minuscules appartements et aux maisons hors de prix. Il y vit avec sa fille Océane et son chien Bouddha. Il a même de l'espace aménagé à l'avant du bateau pour deux locataires.

Cette superficie digne d'un cottage dans les environs de Paris s'offre pour l'équivalent du prix d'un appartement. Mais avant de s'aventurer dans la vie de marin urbain, plusieurs écueils se dressent. Bonne chance pour avoir une place dans les environs de Paris, où les listes d'attente s'étirent sur des années. Résultat : nombre de péniches errent sans domicile fixe ou s'amarrent illégalement...

Serge paie des taxes foncières à la Ville pour son emplacement, même s'il n'occupe pas de terrain, et un loyer pour le quai. «Je suis donc propriétaire et locataire, et on ne paie pas tous le même loyer. C'est un peu l'anarchie.»

Et l'achat d'une péniche pour y vivre n'est économique que si l'on est bricoleur. Serge a lui-même construit l'intérieur de sa maison. Isolement, escaliers, pont, divisions, fenêtres, tout est à faire quand on achète la coquille vide qui a servi au transport de marchandise - conteneurs, gravier, sable, etc.- sur les canaux. Sinon, pour une péniche aménagée, sortez les liasses d'argent!

Pour tenir en respect les voleurs, Serge a installé sur sa passerelle entre le bateau et le quai un grillage verrouillé. Du pont, un escalier descend dans la grande «salle à vivre» regroupant la cuisine, la salle à manger et le salon. Un léger grincement de caoutchouc se fait entendre selon les douces oscillations de la péniche sur l'eau. Les vagues des bateaux qui passent produisent une faible onde berçant les occupants.

La chambre de la fillette occupe la partie arrière, reliée au poste de pilotage par un petit escalier. Cet espace lui sert de salle de jeu où trône la grande barre de bois datant de l'origine de la péniche, en 1936. Que de merveilleux scénarios à imaginer là!

Dans la salle de toilette, le bain et la toilette sont juchés sur de hauts piédestaux. Pas pour le look, mais bien pour... faire écouler l'eau sans pompe. Il leur faut donc être plus hauts que la ligne d'eau, qui arrive à mi-corps.

Vivre sur une péniche n'équivaut pas à une vie de nomade. Si des familles profitent de leur navire pour voyager pendant les vacances, nombre de péniches n'ont plus le nécessaire pour se déplacer. Certaines habitations sont même construites dans une barge - l'équivalent d'un wagon alors que la péniche serait la locomotive - qui n'a jamais eu le pouvoir de se déplacer. Il faut alors remorquer la maison pour les déplacements obligatoires, comme l'entretien. La loi exige que la péniche soit inspectée aux 10 ans en cale sèche, «mais le bon sens commande que ce soit aux cinq ans», précise Serge, qui se retrouve alors sans maison pour quelques jours. Un détail pour cet amant de l'eau.

Fiche technique

Longueur : 38,7 m X 5,05 m

Superficie habitable : 200 m²

Étages : la cale, une mezzanine à l'arrière, une terrasse, le pont, et une chambre sous la terrasse

Coût à l'achat : à partir de 260 000 $ pour un bateau non aménagé

Frais à considérer : taxes foncières, loyer pour le quai, frais d'inspection et de réparation au maximum tous les 10 ans, permis de navigation au besoin