Critiqué pour ses files d'attente interminables, la logistique boiteuse de son Terminal 5 et ses corridors déprimants, Heathrow est certainement l'un des lieux les plus fascinants de la planète. Au troisième rang des plus fréquentés par les passagers internationaux, le gigantesque aéroport londonien est un carrefour où convergent chaque jour des milliers d'hommes d'affaires de Dubaï, des Africaines en boubou, des fashionistas suédoises, des backpackers australiens, des immigrants pakistanais...

En août dernier, l'essayiste Alain de Botton a séjourné une semaine à Heathrow, pour une résidence d'écriture peu banale. Cette semaine, il publie le fruit de ses observations.

 

«Heathrow, comme tous les aéroports majeurs, est le centre du monde moderne. C'est un lieu où l'on peut étudier le progrès technologique, la dégradation environnementale, le consumérisme, la mondialisation. Tout y est. Tous les concepts journalistiques abstraits prennent vie au moment où l'on franchit les portes de l'aéroport», s'épanche Alain de Botton dans une entrevue par courriel accordée à La Presse. Nous lui avons parlé le matin même où il déposait son manuscrit A Week at the Airport : A Heathrow Diary, qui sera remis à 10 000 exemplaires aux passagers de British Airways, à Heathrow.

L'auteur de L'art du voyage et des Consolations de la philosophie aime les aéroports pour leur potentiel dramatique, leur façon de réunir les extrêmes de la vie. Heathrow, comme tous les aéroports du monde, est chaque jour le lieu de séparations déchirantes, de retrouvailles émouvantes, d'anticipation, de rêves d'exotisme...

De Botton pressentait qu'une semaine passée à observer les voyageurs en transit serait riche en rebondissements. L'aéroport a généreusement abreuvé son inspiration.

«J'ai eu droit à de nombreux moments dramatiques : des pleurs, des cris, des crises et même deux morts ! Les aéroports sont une matière en or pour un romancier, puisqu'ils accueillent tellement de fragments d'histoires. Où vont tous ces gens ? Qui est ce couple en pleurs ? Que se passe-t-il dans la tête de ce stoïque businessman ? Il est impossible de s'ennuyer à l'aéroport, pourvu que vous n'ayez pas un vol à attraper !»

Des scènes dignes d'Hollywood, de « vraies « larmes, des dynamiques amusantes de couples («parfois, on sentait qu'un des deux était plus triste ou plus heureux»).

«Un homme d'origine indienne, qui s'apprêtait à prendre un vol pour le Canada, est subitement mort à l'extérieur de la barrière. Il n'avait que 51 ans et a subi une attaque cardiaque foudroyante. Cela n'était pas exceptionnel : Heathrow, comme n'importe quel grand aéroport, est chaque semaine le témoin de quelques décès.»

Tranquille et bien installé pour écrire à son bureau de travail temporaire, logé au centre des activités de l'aéroport, Alain de Botton a lui-même été un objet de curiosité. De nombreux passagers et membres du personnel de l'aéroport venaient le saluer. Le chef du service des bagages du Terminal 5 est venu passer son heure de déjeuner avec lui, pour lui confier des trucs fascinants sur lui-même, sa famille, ses rêves et ses peurs. «En général, les gens étaient incroyablement honnêtes avec moi, comme si j'étais un prêtre dans un confessionnal.»

De Botton a bien pris son pied, pendant cette semaine où toutes les portes de l'aéroport lui ont été ouvertes et où il détenait une liberté rédactionnelle complète (il s'est même offert un pique-nique au clair de lune, sur la piste d'atterrissage). Mais il y avait un prix pour ces vacances à l'aéroport : son contrat de résidence littéraire stipulait qu'il avait seulement trois semaines pour tout rédiger.

«J'aime travailler avec des délais serrés, mais ce projet m'a presque tué ! C'est bien de constater que la littérature peut rivaliser avec la pression de l'industrie de l'édition.»

On peut acheter le livre A Week at the Airport : A Heathrow Diary, via http ://www.amazon.co.uk/Week-at-Airport-Alain-Botton/dp/1846683599