Les navires de croisière sont-ils des endroits dangereux? Dans un témoignage rendu devant un comité sénatorial américain, un expert qui alimente un blogue sous le nom de Cruise Junkie (www.cruisejunkie.com), Ross Klein, observe qu'on enregistre chaque année à bord des navires de croisière 56,9 agressions sexuelles par 100 000 passagers, un taux deux fois supérieur à celui enregistré aux États-Unis.

De tous les délits répertoriés pendant les croisières, les plus fréquents sont des agressions sexuelles perpétrées par des employés du navire contre des femmes qui voyagent seules. Ross Klein, qui est professeur à l'Université Memorial, à Terre-Neuve, remarque notamment que les membres de l'équipage qui se rendent coupables de viol ou d'agression sexuelle viennent souvent de pays où ces méfaits ne sont pas considérés comme des crimes graves.

 

En outre, ils savent qu'ils bénéficieront d'une impunité relative puisque, dans la majorité des cas, lorsqu'elles apprennent qu'il y a eu agression, les compagnies de croisière se contentent de les débarquer et de les renvoyer dans leur pays. Souvent, ils sont réembauchés par la même société ou par une concurrente quelques mois plus tard. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'association International Cruise Victims (ICV) réclame la tenue d'un registre dans lesquels seraient consignés les noms des employés fautifs. ICV accuse les compagnies de croisières de fermer les yeux, voire, dans certains cas, d'étouffer l'affaire pour éviter la mauvaise publicité.

Sur son site (www.internationalcruisevictims.org), cet organisme présente des dizaines de témoignages de femmes qui se sont plaintes d'avoir été harcelées ou agressées, parfois par d'autres passagers, mais plus souvent par des membres du personnel.

Cependant, les allégations de viol sont difficiles à prouver, notamment parce que l'équipement médical des navires ne comprend pas de trousses de viol qui permettraient de faire les prélèvements destinés à prouver l'agression et à démasquer le présumé agresseur.

Bien souvent, les agresseurs sont des garçons de cabine ou des membres du personnel de sécurité, qui détiennent des passe-partout leur permettant d'entrer dans les cabines. En outre, personne, au sein du personnel de bord, ne reçoit de formation permettant d'enquêter et de recueillir les indices nécessaires à l'établissement de la preuve dans les cas de viol. Si bien que lorsque la passagère porte plainte après avoir débarqué, les autorités policières ne sont pas en mesure de constituer des dossiers assez étoffés pour étayer des poursuites judiciaires.

Dans le cadre d'un procès intenté par une victime de viol en 1999, Carnival Cruise Line a révélé qu'elle avait enregistré 108 plaintes pour agressions sexuelles de 1993 à 1998. Au cours du même procès, Royal Caribbean a fait état de 58 plaintes durant la même période. Comme beaucoup de victimes ne portent pas plainte officiellement ou sont dissuadées de le faire, il faut sans doute multiplier ces chiffres plusieurs fois.

121 disparus en 10 ans

Les disparitions en mer sont une autre facette du problème. Selon les chiffres compilés par Ross Klein, pour la période de 2000 à 2009, 121 passagers ont disparu pendant une croisière. Ce sont naturellement les plus grosses compagnies qui enregistrent le plus grand nombre de disparitions: 37 chez Carnival, 17 chez Royal Caribbean, 10 chez NCL et cinq chez Princess. En 2009, on a enregistré 15 disparitions jusqu'à maintenant, toutes compagnies confondues. La plupart du temps, les passagers passent par-dessus bord, parce qu'ils sont ivres lorsqu'ils sortent de la discothèque ou du casino au petit matin. Parfois, ce sont des femmes, victimes d'une agression sexuelle et assassinées par leur agresseur qui s'assure ainsi de leur silence. Et parfois, il s'agit de meurtres perpétrés pour d'autres mobiles.

Un comité sénatorial vient de recommander l'adoption par le Congrès américain d'une loi sur la sécurité à bord des navires de croisière - le Cruise Vessel Security and Safety Act - qui obligera notamment les compagnies à doter leurs navires de trousses d'investigation en cas de viol et à rendre publics tous les dossiers portant sur des crimes commis en mer. Le projet de loi a été préparé à la suite des pressions de l'ICV.

Entre autres mesures, il prévoit notamment que les compagnies devront poster des gardiens de sécurité sur tous les ponts de leurs navires et qu'elles devront constituer des banques de données répertoriant tous les employés qui se sont rendus coupables d'agression sexuelle ou de vol.

International Cruise Victims a été fondée en 2004 par Kendall Carver, un homme d'affaires de Phoenix dont la fille, Merrian Carver, a disparu pendant une croisière en Alaska sur un navire de Celebrity Cruises. Parmi les autres mesures de protection réclamées, l'association prône la création d'une «police des croisières» qui relèverait d'Interpol et réclame l'imposition de peines sévères aux compagnies de croisières qui ne signaleraient pas les crimes commis à bord aux autorités policières.

Le Cruise Vessel Security and Safety Act a été préparé par un comité du Sénat américain (le Comité sur les transports et les infrastructures) présidé par le sénateur John Kerry, candidat démocrate à la présidence des États-Unis en 2004. La CLIA (Cruise Line International Association) a signifié son appui au projet de loi.