Les voyageurs carburent à l'authenticité. Mais le tourisme dénature un pays, banalise et met en scène une culture au rabais, accusent plusieurs. Alors, expériences authentiques ou... attrape-touristes?

Dupe et déçue. Sally Thelen s'attendait à visiter une tribu des collines en Thaïlande. À s'éloigner des temples remplis de touristes et des crêpes aux bananes. Elle voulait la «vraie» Thaïlande. Celle des cartes postales. C'est pourquoi l'enseignante américaine s'est jointe, il y a trois ans, à une courte excursion près de Chiang Mai lors d'un séjour d'un mois là-bas.

Alors, cette tribu? Une poignée de villageois vendant du Pepsi, raconte cyniquement la voyageuse sur son blogue, Unbrave Girl.

L'authenticité obsède la société contemporaine, croit le philosophe et journaliste canadien Andrew Potter. «Elle s'oppose au modernisme et sa quête s'inscrit dans une recherche de sens», explique-t-il, en entrevue téléphonique depuis Toronto. Comment on se perd en essayant de se trouver, dit le sous-titre de The Authenticity Hoax, son dernier essai. L'inauthenticité guette celui qui cherche l'authenticité et le marketing utilise ce leurre vendeur.

«Les expériences dites authentiques ont la cote en tourisme, et de plus en plus de gens peuvent se les payer», dit Ian Yeoman, auteur de Tomorrow's Tourist, livre dans lequel il tente de prédire le tourisme de 2030. L'expérience doit être pure, humaine, honnête, simple et enracinée, énumère en entrevue l'universitaire joint au Royaume-Uni. Et, ironiquement, le summum de l'authenticité se conjugue désormais avec des vacances dispendieuses dans de lointaines contrées, observe-t-il.

S'évader

Les backpackers, ces jeunes voyageurs qui explorent les coins les plus reculés du monde, ouvrent la voie au tourisme de masse. L'authenticité, définie comme refuge de la modernité, se terre ainsi toujours plus loin.

«Malheureusement, il y a trop de touristes - ce qui me fait réaliser que j'en suis un et ça m'énarve!» a écrit dans La Presse le correspondant Bruno Blanchet en visitant Luang Prabang, au Laos, en 2005. Puis, d'ajouter: «En dehors des circuits touristiques, la ville est magnifique, et les habitants souriants comme dans le reste du pays.»

«L'authenticité, c'est d'être véridique dans ce que l'on présente aux touristes», estime quant à elle Marie-Andrée Delisle, coauteure du livre Un autre tourisme est-il possible?. C'est aussi dans l'imaginaire des gens, ajoute-t-elle. Certains désirent vivre des expériences, parfois stéréotypées, quitte à faire des compromis. L'industrie touristique les organise. Des Français viennent ainsi dans la Belle Province pour voir des autochtones avec des plumes, illustre-t-elle, et des Québécois vont en France pour voir des vignobles bucoliques et surtout pas industriels.

«On triche», conclut la consultante en développement touristique.

La préservation, mais à quel prix?

L'an dernier, Marie-Andrée Delisle a visité les environs de Sa Pa, ville dans le nord du Vietnam. La communauté montagnarde met à profit sa culture pour croître économiquement, explique-t-elle en décrivant la vente de l'artisanat et les excursions à travers rizières et séjours chez l'habitant. Hommes et femmes y multiplient les initiatives dans un tourisme communautaire, tout en préservant leur patrimoine. «Ça ravive leurs traditions et ils les enseignent aux plus jeunes, dit-elle. L'identité culturelle, qui se perd dans la modernité, se renforce.»

Les tourismes communautaire, responsable, durable ou équitable sont-ils plus authentiques que le tourisme de masse? «L'expérience risque de l'être davantage, car les échanges culturels sont plus significatifs», répond Marie-Andrée Delisle. Tout aussi manufacturés et seulement plus acceptables moralement, rétorque Andrew Potter.

La protection de l'identité comporte toutefois des risques. Les mesures du Bhoutan, enclavé dans l'Himalaya, visant à résister au monde moderne - la télévision et l'internet n'ont percé qu'en 1999 - ont tenu sa population dans l'ignorance, déplore Andrew Potter dans The Authenticity Hoax. Pour préserver sa culture, le royaume limite aussi le tourisme. Le visiteur doit planifier son séjour avec une agence et débourser environ 200$ par jour (ce qui inclut hôtel, repas, voiture et guide). Plutôt cher pour un backpacker qui dépense 10$ par jour dans les pays avoisinants. Résultat? «Le Bhoutan s'est transformé en géante station écobouddhiste pour riches», écrit l'auteur.

«C'est très dangereux d'essayer de figer une tradition vivante», dit Andrew Potter. La mondialisation transforme une société. Les forces qui y conduisent sont légitimes et impossibles à maîtriser dans une société libre.

Que dit la boule de cristal de Ian Yeoman? «La quête de l'authenticité perdurera. Et elle sera toujours contestée, car les interprétations de ce qu'est l'authenticité diffèrent.»

En décembre, Sally est retournée dans une tribu des collines. Un Thaïlandais y organise des excursions dans les plantations de café pour subventionner la certification équitable de l'entreprise communautaire. Elle a adoré. Le mode de vie, la chaleur et l'hospitalité des gens l'ont touchée. Était-ce la «vraie» Thaïlande? Dans un échange de courriels, celle qui a enseigné l'anglais trois ans au Japon et qui voyage depuis un an tout en faisant du bénévolat qualifie toutes ses expériences d'authentiques. Elles font partie intégrante du pays visité, de son économie, de sa culture actuelle. Même ce village où la boisson traditionnelle semblait être le Pepsi. Même les crêpes aux bananes thaïlandaises.