Peut-être que les «vrais» cyclistes, ceux qui bravent les pires intempéries quand ils voyagent à deux roues, vont me trouver douillette. Mais en partant pour ce long voyage à vélo, j'avais décidé que je ne m'imposerais pas de rouler avec l'impression d'être dans une laveuse. Jamais.

Or, vous l'avez sûrement remarqué, il a plu souvent cet été. Très souvent. C'est pour cela qu'il m'a fallu un temps fou pour me rendre à Charlottetown, à 883 km de mon point de départ! Tous les soirs, je scrutais la météo. Sur mon écran d'ordinateur portable, un petit soleil jaune me promettait qu'il ferait beau le surlendemain dans la prochaine ville prévue à l'itinéraire. Mais quand j'arrivais à destination, il pleuvait. Le petit soleil jaune me narguait de nouveau, deux cases plus loin.

C'est comme ça qu'en faisant du vélo, j'ai regardé les funérailles de Michael Jackson à la télé dans une chambre d'hôtel, passé des jours entiers à lire dans une tente imbibée, et alimenté un feu de foyer dans un abri de camping désert pendant six heures pour me réchauffer.

Pendant ce temps, dehors, il tombait des cordes. Les «vrais» cyclistes qui m'avaient dépassée sur la route avaient sûrement déjà eu le temps de se rendre jusqu'aux Îles-de-la-Madeleine, fonçant à toute allure dans leurs combinaisons criardes. À force d'aller aussi vite, ils rattraperaient le petit soleil! Pas moi. J'avais pris une semaine de retard. Et je maudissais la météo.

Mais un jour, il s'est passé quelque chose d'inattendu. Si ça n'avait pas été le déluge dehors, ça ne serait jamais arrivé. Le feu de foyer que j'alimentais dans le chalet du camping a fini par attirer d'autres malheureux faux cyclistes. D'autres douillets qui avaient du temps devant eux et n'essayaient pas de faire de leurs vacances un acte héroïque!

Ils étaient quatre: Greg, Darlene, Heather et Joanne. Quatre joyeux drilles venus de la Nouvelle-Écosse avec assez d'équipement et de provisions pour nourrir un bataillon. De quoi soûler le bataillon aussi, avec du vin et tout ce qu'il faut pour fabriquer des cocktails en fin de journée. Car ils n'avaient pas apporté seulement leurs vélos. Ils transportaient cette providentielle cargaison à bord d'une camionnette en conduisant à tour de rôle, ne roulaient pas trop de kilomètres en une journée et s'amusaient comme des petits fous.

J'ai su tout de suite qu'on partageait la même philosophie. Moins de kilomètres permettent parfois plus de plaisir. Moins de journées à pédaler sous la pluie et plus de journées à refaire le monde autour d'une table à pique-nique en enlevant aux cinq minutes le lac formé sur notre toit de toile est parfois plus drôle que de pouvoir se vanter d'avoir roulé 180 km dans la journée.

Alors, on a passé la semaine ensemble et partagé nos expériences. Ensemble, on s'est fait poursuivre par un chien furieux sur une route de campagne. Ensemble, on s'est fait engueuler par le proprio d'un camping qui trouvait que l'on riait trop fort. Ensemble, on est arrivés à Fredericton. C'est là qu'on s'est quittés les meilleurs amis du monde.

Et savez-vous quoi? Il s'est produit un miracle. Le petit soleil jaune a enfin décidé de rester dans la même journée que moi. J'ai commencé à rouler beaucoup plus de kilomètres pour rattraper ce temps qui n'était pas vraiment perdu.

Malgré cela, j'ai atteint mon objectif dans le double du délai prévu. J'ai visité l'Île-du-Prince-Édouard, et il a fait un temps magnifique pendant le reste de mes vacances. Mais quand j'y repense, je ne peux m'empêcher de croire que j'ai eu bien de la chance d'avoir eu autant de pluie.