Avec une ligne à pêche, si tu savais comment on ne s'ennuie pas, à la Manicouagan! Des lacs sauvages, des paysages féeriques et des monstres aquatiques réservent des moments de grâce aux pêcheurs qui s'aventurent au pays de la Manic, dans la région de la Côte-Nord.

À la mi-juillet, je suis parti quatre jours pour explorer cette région, reconnue pour ses installations hydroélectriques, avec un objectif bien précis en tête: aller au-delà de Manic-5. Explorer l'arrière-pays avec une ligne à pêche et des bottes de randonnée, peu importe la quantité de mouches qui m'attendaient.

Premier arrêt: Domaine de la Manic, une pourvoirie située à 30 minutes au sud du barrage Daniel-Johnson (à 170 km de Baie-Comeau). Hugues Roy, nouveau propriétaire des lieux avec sa conjointe, Linda Rodrigue, nous accueille dans son paradis de 350 km2 (l'équivalent de l'île de Montréal) comptant 28 lacs ouverts à la pêche. Un territoire où règne en maîtresse incontestée la truite mouchetée indigène. «Des poissons bios, en veux-tu, en v'là!» affirme M. Roy.

En compagnie de Dave Prévéreault, un Nord-Côtier chauvin qui entend me prouver que sa région n'a pas d'égal pour la pêche, nous partons en quête de truites, après une nuit réparatrice dans l'un des neuf chalets du pourvoyeur. La plupart d'entre eux font face au lac Okaopéo (mot qui signifie porc-épic en innu), un plan d'eau de 9 km2 aux innombrables plages de sable fin. Un paradis pour la baignade où l'eau est étonnamment chaude.

Nous visiterons deux lacs en une seule journée: les lacs de la Chute, reconnu pour ses prises de bonne taille, et Jasmine, réputé pour sa pêche miraculeuse de petites truites. Deux lacs 100% sauvages, sans aucun chalet sur leurs rives et sans aucun autre pêcheur. Tranquillité totale. Malgré un soleil digne des tropiques, un mauvais présage pour la pêche, 23 truites atterrissent dans nos besaces, sans compter les remises à l'eau. Fumées sur place par les bons soins de M. Roy (un service exclusif de cette pourvoirie), elles furent un pur délice.

Dans l'«oeil du Québec»



Prochaine étape: direction réservoir Manicouagan, le plus grand réservoir d'Hydro-Québec en matière de volume d'eau, créé par la mise en service du barrage Daniel-Johnson (que nous visitons en chemin). Ce lac circulaire de 200 km de long inonde le cratère de Manicouagan, communément appelé l'«oeil du Québec», résultat de l'impact d'un météorite sur la Terre il y a 214 millions d'années. Dans ses eaux dont la profondeur moyenne est de 173m nagent des poissons monstres, soutient M. Prévéreault, qui, il faut le dire, est un employé de l'Association touristique régionale. C'est ce que nous allons voir.

Notre point de départ: le Refuge du prospecteur, notre lieu d'hébergement situé dans une baie du réservoir, à 1h30 au nord de Manic-5. Ici, on a l'impression d'être à l'ultime frontière de la civilisation. Des remorques et des tentes prospecteurs constituent les commodités de cet hôtel nordique, un ancien camp minier. Si vous cherchez un spa, allez voir ailleurs! Ce n'est pas le grand luxe, mais les sympathiques propriétaires, Daniel Beaulieu et Hélène Forbes, rendent les lieux extrêmement chaleureux.

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Le barrage Manic-5

Ces derniers ont noté que, changement climatique oblige, plus rien n'est comme avant dans la région. Les eaux du réservoir Manicouagan, dont les bas-fonds se situeraient sous le niveau de la mer, ont la réputation d'être glaciales, mais à la mi-juillet, quelques braves s'y baignaient avec plaisir. «C'est du jamais vu!» disent-ils.

On s'aventure sur cette mer intérieure, où les conditions de navigation peuvent se détériorer en quelques minutes, avec le guide André Cloutier, résidant de... Beloeil, en Montérégie. Ce fou de pêche fait plusieurs fois par année le trajet de plus de 1000 km pour pêcher au 51e parallèle. «Je possède un chalet sur la rivière Mouchalagane (un affluent du réservoir), à 2h30 de bateau», nous dit-il pour nous surprendre encore plus. Pour faire autant de route, ça doit valoir le coup!

Dès notre départ sur l'eau, à 3h30 du matin (ma motivation était à son comble, je suppose...), je suis happé par la beauté des lieux. À l'est, les monts Groulx, troisième massif du Québec, nous surplombent. À leurs sommets dénudés vit une végétation arctique-alpine digne de la toundra. À l'ouest, c'est l'immense île René-Levasseur, fruit du rebond du météorite, dont la moitié de la superficie est une réserve écologique.

À 350 degrés, aucune trace de civilisation, à l'exception de notre camp de base. Seuls les huards et les sternes vivent dans ce pays démesuré, qui fait partie de la Réserve mondiale de la biodiversité Manicouagan-Uapishka, de l'UNESCO. Un scandale que ce territoire demeure si méconnu des Québécois.

Mais revenons à nos poissons. André Cloutier veut à tout prix ferrer des ouananiches, ces saumons d'eau douce extrêmement convoités par les pêcheurs. Mais le réservoir contient aussi des touladis (truites grises) de taille monstrueuse et de grands brochets. Eh bien, nous serons servis à souhait. Un total de 16 poissons (toutes espèces confondues), gros ou très gros, aboutissent dans nos glacières, malgré la canicule.

Immense, magnifique et poissonneux, le réservoir Manicouagan possède un seul irritant: sa forêt sous-marine. Quand Hydro-Québec a inondé le cratère pour combler les besoins de Manic-5, elle n'a pas coupé les arbres qui allaient être submergés. Quarante ans plus tard, cette forêt aquatique subsiste, car le manque d'oxygène en profondeur empêche sa décomposition. Résultat: on pêche les poissons à la cime des arbres. «De grandes surprises guettent les pêcheurs qui jettent leur ligne dans le fond», rigole André. On appelle cela la pêche à la pitoune!

Faute de temps, je n'ai pas pu m'aventurer dans les monts Groulx, une destination de rêve pour tout randonneur aguerri, mais ce n'est que partie remise. Autre déception: les mouches, réputées si coriaces dans cette région, n'ont même pas dédaigné se déplacer pour me rencontrer. Où étiez-vous?

Les frais de ce voyage ont été payés par l'Association touristique régionale de Manicouagan.

www.tourismemanicouagan.com

CONSEILS POUR AFFRONTER LA ROUTE 389

Faites le plein fréquemment. Les stations d'essence se font rares et l'essence se vend à des prix prohibitifs. Et soyez prudent. La 389 est sinueuse, encombrée de camions trichant sur la voie inverse et non asphaltée à partir de Manic-5. Transports Québec admet que cette route nationale ne respecte même pas ses critères de sécurité. Dans le cadre du Plan Nord du gouvernement du Québec, le ministère des Transports investira 438 millions de dollars pour la réfection de la Trans-Québec. Au terme des travaux, qui s'échelonneront de 2012 à 2021, la route sera entièrement asphaltée.

Repères

> 650 km séparent Montréal de Baie-Comeau. Pour pénétrer au pays de la Manic, il faut ensuite emprunter la route 389, la Trans-Québec Labrador.

> De Baie-Comeau jusqu'à Fermont, il y a 500 km de route. À voir: Manic-2 (km 22), Manic-5 et le barrage Daniel-Johnson (km 214) et les monts Groulx (par l'entremise de deux sentiers de randonnée, aux km 335 et 365).

> À Fermont, au bout de la route 389, on peut visiter le fameux mur-écran, long de 1,3 km.

> La pourvoirie Le Domaine de la Manic se trouve au kilomètre 179. Elle est ouverte de juin à septembre. Possibilité de louer des chaloupes de 16 pieds pour taquiner le poisson sur le réservoir de Manic-3, d'une longueur de 98 km. www.domainedelamanic.ca

> Les visites gratuites des installations de Manic-5, d'une durée de deux heures, se déroulent jusqu'au 31 août. Info: 1-866-LAMANIC.

> Le Refuge du prospecteur se trouve au kilomètre 336. Il ne s'agit pas d'une pourvoirie, mais d'un lieu d'hébergement. Les pêcheurs doivent apporter leur embarcation. www.refugeduprospecteur.com

Photo: Simon Diotte, collaboration spéciale

Au domaine de la Manic, les lacs sauvages sont littéralement envahis de truites indigènes mouchetées. Fumées sur place, elles ont été un vrai délice.