Yves Marchand, notre capitaine, jubile. Devant nos yeux ébahis, pas un, pas deux, mais bien trois balbuzards pêcheurs montent la garde dans leur nid, perché au sommet d'un ancien phare. Ces rapaces ne sont pas rarissimes, mais d'en observer trois à la fois (deux juvéniles et un parent), c'est le gros lot, le point d'orgue d'une croisière qui nous en a mis plein la vue.

Pendant trois heures, j'ai participé, à la mi-août, à une croisière dans l'archipel du lac Saint-Pierre à bord d'une petite embarcation d'une capacité de 12 passagers. Ces randonnées sur l'eau, organisées par le Biophare, le musée consacré à la Réserve mondiale de la biosphère du Lac-Saint-Pierre, partent de la marina de Sorel pour nous faire découvrir cet environnement exceptionnel, comptant 103 îles séparées par un labyrinthe de chenaux.

Le capitaine Marchand, retraité de QIT-Fer et titane, une grosse usine du coin, connaît les îles de Sorel comme le fond de sa poche. Il y navigue depuis 35 ans, sans jamais s'en lasser. Dès qu'on largue les amarres, il se lance dans des récits sur les origines du lac et les transformations exercées par l'homme, dont certaines menacent à long terme son fragile équilibre écologique. «En creusant le chenal maritime, on accélère la vitesse de l'écoulement des eaux, ce qui accentue l'ensablement du lac Saint-Pierre. D'ici 50 ans, si rien ne change, ça va être un immense marais», nous prévient-il.

En attendant ce verdict implacable, qui souhaitons-le n'arrivera pas, il reste tout un monde à découvrir. Réserve mondiale de la biosphère depuis 2000, le lac Saint-Pierre renferme 40% des milieux humides du Saint-Laurent. Avec les forêts tropicales, ces écosystèmes sont considérés comme les plus riches et les plus productifs de la planète. D'où son importance capitale pour la protection de la biodiversité.

Au printemps, les eaux s'élèvent de deux mètres et plus dans les îles! Pas pour rien que les chalets sont construits sur pilotis, comme dans les bayous de la Louisiane. Ces inondations à répétition créent un habitat favorable à une multitude d'espèces. Les poissons sont d'ailleurs si abondants que les Sorelois en ont fait un plat régional célèbre, la gibelotte, une soupe au poisson concoctée avec les aliments frais des îles.

C'est aussi un paradis pour les ornithologues. Parmi les 400 espèces d'oiseaux qui fréquentent le Québec, 288 ont été vues au lac Saint-Pierre et 167 y nichent. Martins-pêcheurs, plusieurs rapaces et des grands hérons en quantité se sont donnés en spectacle cette journée-là. J'ai aussi eu la chance d'observer une aigrette (un oiseau qui ressemble à un grand héron, mais dont le plumage est blanc comme neige) attraper un poisson dans les herbes et l'avaler en l'espace d'une seconde. Surprenant.

La croisière nous mène dans le chenal du Moine, voie d'eau rendue célèbre par Le survenant, classique de la littérature québécoise. Son auteure, Germaine Guèvremont, possédait un chalet non loin de là, une bicoque en cours de rénovation. Toutefois, notre capitaine s'empresse de corriger la rumeur disant que l'auteure y a écrit son roman. «C'est faux, car elle y a séjourné à partir de 1950, alors que Le survenant est paru en 1945», rectifie-t-il. Une autre légende du coin qui prend le bord.

Le meilleur temps pour visiter l'archipel: la semaine, quand les bateaux de plaisance se font plus discrets. «Pour l'observation d'oiseaux, rien ne vaut le lundi. La faune ailée, perturbée tout le week-end par les plaisanciers, y est plus active que jamais», soutient notre capitaine. Puisque les îles n'abritent que des feuillus surplombant les chenaux, la beauté des lieux à l'automne est imbattable, nous dit-on (les excursions se font alors sur réservation seulement).

À la gibelotte!

Après trois heures dans les îles, il fallait bien, en remettant pied à terre, goûter à la fameuse gibelotte. Pour mon initiation, je me suis rendu au Varvo, restaurant à l'ambiance décontractée, accessible par terre et par eau, à Sainte-Anne-de-Sorel.

La propriétaire, Diane Pelletier, cuisine l'authentique gibelotte, celle avec de la barbotte et des filets de perchaude. Cette soupe se déguste avec du pain, du beurre et des oignons marinés. Traditionnellement, tous les ingrédients provenaient des îles, mais aujourd'hui, la perchaude provient de la... Turquie, car la surpêche l'a presque éliminée du lac Saint-Pierre. Ce joyeux festin se termine par un délicieux morceau de tarte au sucre maison. En un mot: délicieux.

Randonnée nature du Biophare: 450-780-5740 Le Varvo: 450-746-7595