Vendre sa maison, acheter un camion, vivre sur la route, voyager, voir chaque jour de nouveaux paysages, ralentir le temps... L'idée peut sembler romantique, mais la réalité est plus nuancée. La Presse s'est entretenue avec un couple de Gatineau qui vit sur les routes depuis trois ans et n'entend pas arrêter de sitôt. Même s'il faut parfois dormir dans le stationnement d'un Walmart...

Il y a trois ans, Danielle Chabassol et Mathieu Dubé ont décidé qu'ils en avaient assez ; assez de passer leurs semaines à travailler pour payer leur hypothèque, et assez de consacrer leurs fins de semaine à nettoyer et entretenir leur maison de 1500 pi2 avec sous-sol.

«On avait signé une hypothèque de 35 ans. On ne faisait que vivre pour la maison. On s'est dit qu'on ne pouvait pas continuer à faire ça pendant encore 30 ans», explique Mathieu, artiste visuel de 38 ans.

Le couple a donc vendu la maison de Gatineau avec la ferme intention de ne plus en racheter. Mathieu et Danielle ont en fait commencé ce jour-là une nouvelle période de leur vie, composée de voyages, de gardiennage de maisons et, depuis un peu plus d'un an, de vie en camion.

Ce type de nomadisme a acquis une certaine visibilité sur les réseaux sociaux. Sur Instagram par exemple, le mot-clic #vanlife montre ces gens qui vivent dans leur Westfalia et dorment devant des paysages sublimes. Ces clichés, admirés sur un ordinateur dans une tour de bureaux d'une grande ville, semblent idylliques. Mais la réalité est bien entendu plus nuancée.

«Ce n'est pas fait pour tout le monde, insiste Danielle, 32 ans. Chacun a une façon de vivre qui lui convient et on pense avoir trouvé la nôtre. On ne pense pas que tout le monde est fait pour ça ou doit vivre comme nous, loin de là.»

Photo fournie par les voyageurs

Danielle et Mathieu dans leur camion.

La nouvelle vie du couple a commencé par un voyage d'un an. Les amoureux ont profité de l'argent fait avec la vente de la maison - environ 30 000 $ - pour voyager au Costa Rica, en Australie, en Thaïlande...

Ils sont rentrés de cette première année sans un sou mais avec une certitude : ils devaient continuer de voyager coûte que coûte.

«On a conclu qu'on ne voulait plus un loyer, qu'on ne voulait plus une hypothèque. On ne veut pas participer à ce système dans lequel on est forcés de travailler plus parce qu'on consomme tout le temps plus», dit Danielle Chabassol.

En septembre 2014, le couple a acheté une Ford Econoline d'occasion. Pour lui, le camion représentait le meilleur moyen de voyager: une maison sur quatre roues, sans loyer à payer et avec une liberté quasi infinie. Mathieu et Danielle l'ont aménagé, ont installé un futon dans la boîte pour y dormir puis sont partis faire le tour des États-Unis.

LOIN D'INSTAGRAM

La vie en camion s'est révélée à la fois libératrice et exigeante. «Au début, on pensait vivre dans le camion tout le temps et toujours. Mais finalement, on a dû prendre des pauses. Ce n'est vraiment pas facile au Canada avec le climat», explique Danielle.

«Vivre là-dedans pendant quatre mois, ce n'est pas comme dans un appartement. Tu le sens, renchérit Mathieu. Dans la van, ce n'est pas facile. C'est vraiment un grand défi. Il faut penser à l'eau, parce qu'on ne peut transporter que 10 L. Aussi, s'il ne fait pas soleil, nos panneaux solaires ne nous donnent presque pas d'électricité. Il faut gérer notre eau de vaisselle. Ce n'est pas facile, des fois ce n'est pas le fun

Les deux voyageurs doivent aussi trouver constamment un endroit où dormir. Ils vont souvent dans les campings où des douches et de l'eau sont offertes. Mais ils doivent parfois aussi dormir dans des rues résidentielles ou dans des stationnements. Celui du Walmart est particulièrement apprécié des nomades à camion.

Mais dans l'ensemble, ils ont aimé voyager en camion. «Moi, c'est ma façon de vivre et de voyager préférée. C'est comme faire du camping, mais super confortable», dit Danielle.

Le couple a lancé un blogue où il documente sa vie sur la route. Les deux voyageurs essaient d'être honnêtes et réalistes, loin des clichés Instagram.

«On a fait un billet sur le blogue parce qu'on a reçu une centaine de courriels de gens qui disaient: "On va faire exactement la même chose, on va vendre la maison, on va prendre nos épargnes et on va acheter un camion." On voulait que les gens soient conscients de ce que c'était vraiment. On ne veut pas embellir la réalité.»

UN BUDGET SERRÉ

En plus de leur vie en camion, Danielle et Mathieu font du gardiennage de maisons. Cela leur permet de se refaire le moral quand le petit intérieur de leur véhicule leur semble soudainement trop étroit. Ils se servent de sites comme celui de Housecarers pour trouver des gens qui cherchent à prêter leur logis.

Ils ont ainsi gardé des maisons à Washington, en Australie et récemment... dans Rosemont. C'est d'ailleurs dans un café non loin de cet appartement - où ils sont restés un mois - que La Presse a rencontré Danielle et Mathieu.

Comment gagnent-ils leur vie? Danielle a longtemps eu un emploi en ligne. Elle se consacre maintenant entièrement à son blogue. Mathieu peint, est représenté par une galerie et fait aussi des contrats d'illustration de livres pour enfants.

Ils ne vivent pas richement, loin de là.

«Cette année, notre budget va être au-dessous du seuil de la pauvreté. Ça va être le budget le plus extrême de notre vie, 1500 $ par mois pour les deux, explique Mathieu. Notre plus grande dépense, c'est la nourriture et on essaie d'acheter bio. Mais on arrive à le faire et ça nous convient.»

Leur entourage comprend leur vie de voyages, même si leurs familles s'ennuient d'eux. Ils sont d'ailleurs de retour dans la région de Gatineau pour le temps des Fêtes. Ils vont repartir en janvier dans leur camion passer l'hiver dans le sud des États-Unis, en Floride, au Texas, en Arizona, au Nouveau-Mexique...

La question revient souvent: veulent-ils des enfants? «On n'est pas vraiment certains d'avoir des enfants ou pas, explique Danielle. C'est une question qu'il faut se poser maintenant parce qu'on est dans notre trentaine. J'ai l'impression qu'on n'en aura pas, alors il n'y a rien qui nous empêche de continuer à voyager toujours.»

Pour l'instant, donc, le voyage se poursuit. Trois ans après avoir tout plaqué, Danielle et Mathieu n'ont toujours pas de meubles, d'appartement et encore moins de maison. Et tout ça leur convient très bien.

«On pense faire ça encore longtemps. Quand on regarde les trois dernières années, on a vécu des aventures incroyables, dit Danielle. On a rencontré des gens de partout dans le monde. On regarde les trois ans où on était à Ottawa et Gatineau en appartement ou dans notre maison et ça a passé super vite. Là, le temps a ralenti.»

> Consultez le blogue de ce couple nomade

Photo fournie par les voyageurs

Mathieu à Osoyoos, en Colombie-Britannique.