Quelle mouche a bien pu piquer Hippolyte Eugène Briand, dit Pépé la Cabiche? À l'église de Miquelon, en plein office religieux devant les paroissiens médusés, il se met à jouer sur son harmonium l'air populaire Si tu veux pas qu'ta femme t'em..., te marie pas, te marie pas. C'était au début du siècle dernier. On sourit devant l'instrument complice, exposé aujourd'hui au musée de Miquelon.

L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, c'est vraiment la France... à 25 km au large de Terre-Neuve : l'accent, les gendarmes, l'euro, même le téléphone sonne comme en Europe. L'étonnement passé, on est vite séduit par la beauté du lieu et son histoire, sur fond de pêche à la morue, de naufrages et de prohibition.Le Comité régional de tourisme et le musée de l'Arche proposent plusieurs circuits thématiques guidés, tous passionnants.

Une traversée des landes sauvages de l'île de Saint-Pierre nous mène au site archéologique de l'Anse à Henry. Le long du sentier, trois espèces de plantes carnivores attendent leur proie.

«Les outils en pierre trouvés lors des fouilles témoignent d'une préhistoire remontant à près de 5000 ans. Ces vestiges confirment que des Amérindiens et des Paléoesquimaux ont bel et bien campé ici», raconte avec une passion contagieuse Lauriane Detcheverry, guide au musée de l'Arche.

Sur la Pointe à Henry, face à la mer, elle déballe des copies d'artéfacts et de «vrais» éclats de taille, découverts sur les lieux. Au toucher, on sent les vagues de percussions des outils, creusés par des mains d'hommes, à travers quatre civilisations. Au bout des doigts, les millénaires défilent.

Quelques éclats sont taillés dans le jaspe beige. Sa veine se trouve en face, sur le Grand Colombier. L'île en forme de tortue abrite, de la fin avril à la mi-août, une colonie de plus de 10 000 couples de macareux moines, un oiseau marin décoré d'un gros bec bordé de rouge.

Éloge du doris

De l'autre côté de la rade de Saint-Pierre, sur l'île aux Marins, comment ne pas craquer pour le doris, un symbole de l'archipel. L'irrésistible barque en bois fut pendant 300 ans au coeur de la vocation de l'archipel, la pêche. Au temps où la mer «bouillait» de morues, Acadiens, Basques, Bretons et Normands s'installèrent sur ce cordon de roche. Devant les maisons de pêcheurs s'étendent d'étranges cours de galets.

«Ce sont les graves, explique Vanina Merkle, guide au musée Archipélitude. Sur ces roches chauffées par le soleil, les graviers, souvent des orphelins venus de France, faisaient sécher la morue. Autrefois, l'endroit était appelé l'île aux Chiens. Un curé trouvant le nom vulgaire crut bon de le faire changer.»

L'île est aujourd'hui un musée doublé d'un agréable lieu de pique-nique.

Heureusement pour la survie du patrimoine, le Dr Louis Thomas a succombé aussi aux charmes du doris. De 1912 à 1926, il photographie, avec un immense talent, la vie quotidienne qui s'articule autour de la pêche, mais aussi de la prohibition.

L'île du champagne

Saint-Pierre change de statut de 1920 à 1933. D'île morutière, la voici qui devient «l'île du champagne». «Le rhum, le scotch et autres nectars entrent en toute légalité à Saint-Pierre et ressortent tout aussi légalement pourvu que la livraison ait lieu dans ses limites territoriales», insiste Béatrice Lescoublet, guide au Comité régional de tourisme.

«Pour cette mission délicate, les bouteilles sont retirées des caisses de bois et emballées dans des sacs en jute. C'est moins bruyant», ajoute-t-elle.

Et nos beaux doris de partir la nuit, au large, livrer discrètement la marchandise aux rum runners. Ces vedettes rapides filent ensuite vers les États-Unis ou le Canada, où la «boisson du diable» est prohibée.

Et les caisses de bois? Rien ne se perd. On en construit des maisons, dont la villa Cutty Sark, «doublée en planches de whisky».

Le circuit prohibition inclut une dégustation de Volstead on the rock. Il se termine au musée Héritage, où l'on peut admirer - le mot est juste - les clichés du Dr Thomas. Et plus encore! Des caisses de whisky du temps, encore scellées. L'ardoise sur laquelle sont inscrits en langage codé le lieu et l'heure des livraisons, comme l'enseigne du commerce de Julien Morazé, acteur majeur de ces folles années. C'est d'ailleurs dans ce lieu mythique que Roland Châtel, passionné collectionneur, aménage le musée.

Dans la salle dédiée à la pêche sommeille un doris touchant! Celui qu'utilisait Joseph Poirier pour la pêche au capelan, à l'anse aux Soldats. Inquiet de le voir disparaître avec lui, il en fait don, un an avant sa mort, au musée Héritage.

«Dès que les Saint-Pierrais ont une minute, ils viennent aux petits fruits à Miquelon», dit Anne-Marie Heudes, guide au Grand Barachois. On y cueille pomme des prés, grisettes, plates-bière et fraises des sables.

Avec son Zodiac, elle mène les vacanciers au banc de sable où quelque 200 phoques se prélassent. Dans les dunes, des chevaux en liberté confèrent un air de Camargue au tableau.

Bien des navires ont rendu l'âme sur ces côtes.

«Le Marie-Pauline s'est échoué là, avec la plus charmante des cargaisons : des violons. Voilà pourquoi il y a tant de violoneux à Miquelon.»

C'est Augusta Lehuenen qui me l'a dit. Cette dame de 82 ans lance un jour un SOS dans le Web comme on lance une bouteille à la mer, afin de sauver l'église de l'île aux Marins, presque en ruines. Son cri est entendu. Allez donc la saluer de ma part à la mairie de "l'île aux Chiens", comme elle l'appelle encore. Elle raconte de si jolies histoires...

Repères

> Géographie

L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est constitué de trois îles principales : Saint-Pierre (26 km²), Miquelon (110 km²) et Langlade (91 km²), ces deux dernières reliées depuis le XVIIIe siècle par un isthme de sable qui renferme dans sa partie nord une lagune salée, Le Grand Barachois. Quelques îlots, dont Le Grand Colombier et l'île aux Marins, habitée jusque dans les années 60, entourent Saint-Pierre dans la partie est.

> Histoire

Lorsque Jacques Cartier en prend possession en 1536 au nom du roi de France, l'île est déjà fréquentée par les Terre-Neuvas, des pêcheurs basques, bretons et normands venus "faire les grands bancs". Une trentaine d'entre eux s'y installent dès 1604. L'Angleterre et la France se la disputent ensuite à coups de canons et de traités, jusqu'en 1816 où elle devient définitivement française.

> S'y rendre

Sur les ailes d'Air Saint-Pierre, au départ de Montréal, de Halifax, ou de Saint-Jean de Terre-Neuve. www.airsaintpierre.com

En traversier à partir de Fortune à Terre-Neuve. www.spmexpress.net

> À visiter

Réserver les visites guidées et télécharger le guide touristique au Comité régional du tourisme de Saint-Pierre-et-Miquelon : www.st-pierre-et-miquelon.info

Faire un tour guidé en voiture : www.lecailloublanc.fr

> Se loger

L'Auberge St-Pierre. Irréprochable! Les propriétaires ont accueilli, un jour de mai 1971, les naufragés du Transpacific. www.st-pierre-et-miquelon.com

> À goûter

Les liqueurs à base de petits fruits des îles, macérés dans des barils datant de la prohibition. Unique et exquis! www.cheznoo.net/liqueurdesiles

> À voir

Les superbes photos d'oiseaux de l'archipel prises par Patrick Boez. www.patrickboez.com