Trois hommes et leurs motoneiges, 500 km de sentiers à dévorer, des étendues sauvages à perte de vue et un mercure demeurant inlassablement sous les -30 degrés Celsius pendant des jours. Voilà mon premier périple de motoneige dans les Hautes-Laurentides.

C'est à Gino Di Palma, conseiller municipal dans la petite municipalité de Notre-Dame-du-Laus (1500 habitants), que revient la lourde tâche de me guider à travers les 1200 km d'autoroutes enneigées qui tapissent les Hautes-Laurentides. Lourde tâche, car il s'agit de mon premier véritable contact avec l'invention de Joseph-Armand Bombardier, dont on célèbre le 50e anniversaire.

 

Le jour du grand départ, c'est le choc. Il fait -39 degrés Celsius! Ma voiture refuse de démarrer dans le stationnement de l'hôtel. J'ai le goût de l'imiter et de rester au chaud. Au déjeuner, la serveuse nous prend en pitié. «Vous allez faire de la motoneige à cette température-là?» demande-t-elle stupéfaite. Toutefois, impossible de me désister, j'ai un reportage à écrire.

Coup du destin, ma voiture revient à la vie soudainement. Quelques minutes plus tard, je suis chez Location Constantineau pour prendre possession de ma monture et enfiler ma combinaison de motoneige, si épaisse que je me sens alors aussi rondelet que le Bonhomme Carnaval. J'insère quelques hot pack dans mon sac à dos et je me sens prêt à défier le froid, surtout quand j'apprends que nos motoneiges sont équipées de poignées chauffantes!

Notre point de départ: Mont-Laurier, capitale de la MRC Antoine-Labelle, municipalité de 13 000 habitants située à 225 km de Montréal. Au cours des prochains jours, nos machines nous emmèneront à Ferme-Neuve, Guénette, Sainte-Anne-du-Lac et Chute-Saint-Philippe, pour un périple de quatre jours incluant une journée de pêche et de traîneau à chiens.

Du centre-ville de Mont-Laurier, il ne faut que 300 m de motoneige pour rejoindre la piste du P'tit Train du Nord, où l'aventure commence. Large et peu sinueux, le tracé de l'ancienne voie ferrée s'avère le terrain de jeu idéal pour nous acclimater à la conduite de nos Ski-Doo, dont la puissance d'accélération est littéralement renversante.

Sur les traces des chevreuils

«Faites attention, les gars. Il y a quelques jours, un motoneigiste s'est tué en percutant un chevreuil à Guénette!» nous avertit un client du resto, où nous venons de faire une courte pause déglaçage de visière. À quelques kilomètres du casse-croûte, nous apprend-on, la piste traverse un ravage de chevreuils. Des attroupements sont fréquents. Le hic, c'est que les cervidés adoptent un comportement bizarre face aux motoneigistes.

«J'ai déjà vu un bébé chevreuil sauter dans les bras d'une touriste française», raconte Gino en riant. C'est mignon, mais déjà que j'ai de la difficulté à négocier mes virages, ai-je besoin de rencontrer des animaux suicidaires sur mon chemin! En reprenant la route, ils sont là, les fameux cervidés. Ils trottinent sur la piste, nous regardant d'un air paresseux. Chose surprenante, ils ne nous fuient pas. Ils semblent même poser pour les photographes (mais à cette température-là, je m'abstiens de sortir mon appareil. Il faut donc me croire sur parole).

C'est ainsi que je découvre, lors de ma première journée, les plaisirs de la motoneige: observer des animaux, rouler sur les lacs gelés et conquérir les vastes étendues de forêt sur des sentiers balisés extrêmement bien entretenus (par des bénévoles, soit dit en passant).

Et puis, en selle, on visite des attraits inusités. Par exemple, à Chute-Saint-Philippe, on fait un détour pour voir le principal attrait du coin: une croix au sommet d'une montagne. En arrivant sur place, on constate qu'on est loin de la croix du mont Royal. Elle est fabriquée avec quelques 2 X 4 cloués sur un arbre. Ça fait pitié! Et pourtant, on est vraiment contents de la prendre en photo. Il s'agit d'une trace de civilisation en forêt!

L'invasion française chez Mekoos

Après une sortie de route qui m'a donné la chair de poule (je remercie ma bonne étoile de ne pas avoir heurté un arbre), j'arrive en un seul morceau à la pourvoirie Mekoos, pour un séjour de deux nuits. Sur place, tous les visiteurs sans exception sont des motoneigistes. Et sur les 35 clients, 30 sont des Français. Incroyable. Je n'ai jamais vu autant de Français à l'extérieur de l'Hexagone.

Si on les retrouve ici, c'est que chez Mekoos (mot attikamek qui signifie truite), on peut vivre la quintessence du voyage au Canada. Auberge et chalets en bois rond, raquettes, traîneau à chiens et sentier du trappeur, bref, la totale. Les Français sont aux anges. «Je me demande si je rêve», déclare Jean-Michel Tankou, un Français d'origine camerounaise que je rencontre dans la salle à manger.

Le jour 2 de mon expédition, je ne touche pas à ma motoneige. Je me joins au groupe afin de taquiner le poisson. La chance nous sourit. En moins d'une heure, une dizaine de truites mouchetées mordent à l'hameçon. Une pêche miraculeuse, soutient le guide. «Normalement, on en attrape une ou deux par jour», dit-il. Qui sait, le froid sibérien les rend peut-être plus actives.

En après-midi, je délaisse la pêche pour me transformer en musher d'un jour. Huskies et malamutes me baladent à travers la forêt et sur les lacs gelés pendant deux heures. Je complète cette journée parfaite de plein air avec de la raquette et de la glissade sur tube.

Sur le toit des Hautes-Laurentides

Jour 3. Destination: la montagne du Diable, point culminant de la région, à 778m. C'est le principal attrait du coin, été comme hiver. C'est par la voie d'un sentier tape-cul de 4 km qu'on accède en motoneige au sommet, au pied d'immenses tours de télécommunications. En gravissant la montagne, dont le nom officiel est le mont Sir-Wilfrid-Laurier, on voit la nature qui change. La végétation, composée de feuillus à la base, laisse place en altitude aux conifères givrés.

Là-haut, pas de chance, la tempête nous cache le panorama à l'horizon. Qu'à cela ne tienne, rien ne peut gâcher notre plaisir d'être sur le toit de la région. On fait une pause quelques kilomètres plus loin au Relais de la montagne du Diable, resto-bar érigé à flanc de montagne, uniquement accessible aux motoneigistes et aux quadistes, offrant une vue plein sud sur Mont-Laurier (panorama que je vais admirer à mon retour). Sympa.

Vers 16h, avec plus d'une centaine de kilomètres de Ski-Doo dans le corps, je voulais remiser ma motoneige pour la nuit, mais voilà que Martin Gamache, copropriétaire de l'auberge Rabaska, invite notre bande à se joindre à un groupe de Français qui entreprend une expédition de motoneige hors-piste.

Le hors-piste, me dit-on pour me convaincre de remettre la bière à plus tard, c'est le nec plus ultra de la randonnée en motoneige. J'accepte l'invitation, car je ne veux surtout pas manquer l'occasion de prendre en photo un Français dérapant dans le décor. Or, ce sont les cousins qui auront cet honneur. À quelques reprises, on a dû se mettre à plusieurs pour extirper ma monture enlisée dans la poudreuse. Voilà ce qui arrive quand on veut impressionner la visite!

Circuler la nuit dans la neige vierge, le chemin devant soi faiblement éclairé par les phares des motoneiges, est un pur bonheur. «On a l'impression de retourner aux origines de la motoneige, quand les sentiers n'existaient pas et qu'il fallait tout défricher», raconte Martin Gamache. Une expédition mémorable.

Le lendemain matin, sur le chemin du retour, un pied de nouvelle neige recouvrait les sentiers. Le passage de nos motoneiges soulevait de gros nuages blancs. Je me suis surpris à rouler de plus en plus vite. J'ai même fini par adopter une nouvelle devise: tasse-toi, chevreuil!

Bilan de mon aventure: aucune engelure, malgré le froid sibérien, et des paysages magnifiques plein la tête.

Le Ski-Doo a 50 ans

Quand Joseph-Armand Bombardier a mis au point les premières motoneiges Ski-Doo en 1959, il ne se doutait pas qu'il allait créer une nouvelle activité hivernale qui passionne aujourd'hui des milliers de Québécois.

Dans la tête de l'inventeur de Valcourt, le Ski-Doo était avant tout un véhicule utilitaire destiné aux missionnaires, aux trappeurs, aux prospecteurs et aux arpenteurs. Mais, à sa grande surprise, les sportifs l'ont adopté immédiatement. Dans les années 60, le Québec a même connu une vague de skidoomanie. Pourtant, à l'époque, il n'existait aucun sentier pour s'y adonner!

Chose étrange, l'origine du nom Ski-Doo demeure encore nébuleuse. Selon Mario Landry, directeur du Musée J. Armand Bombardier de Valcourt, l'explication la plus plausible est que le nom original était «Ski-Dog», en référence aux traîneaux à chiens, mais qu'une erreur de transcription aurait modifié le nom en Ski-Doo. M. Bombardier aurait finalement adopté ce nom, car il en aimait la prononciation.

Pour souligner le 50e anniversaire du Ski-Doo, le Musée J. Armand Bombardier organise une exposition spéciale. «Nous avons retracé l'évolution de la motoneige au fil des années avec cinq thématiques. Huit véhicules, datant de différentes époques, seront exposés», dit Mario Landry.

Le constructeur des Ski-Doo, la compagnie BRP, soulignera en grande pompe cet anniversaire par une série d'activités qui se dérouleront pendant le Grand Prix Ski-Doo de Valcourt, du 20 au 22 février. Ainsi, le week-end prochain, on pourra entre autres visiter la chaîne de montage de l'usine de BRP, faire des randonnées en Ski-Doo et assister à un défilé de motoneiges antiques.

Site officiel du 50e anniversaire des motoneiges Ski-Doo: skidoopromotion.com

Musée J. Armand Bombardier de Valcourt: www.museebombardier.com

Grand Prix Ski-Doo de Valcourt: www.grandprixvalcourt.com

Des Français aussi nombreux que les chevreuils

Pendant qu'à l'extérieur le mercure poursuit sa chute sous les -30 degrés Celsius, à l'intérieur de la pourvoirie Mekoos, située à Mont-Laurier, la température monte. Une trentaine de touristes français font la fête en buvant de la Labatt Bleue. Certains d'entre eux en profitent même pour enfiler leur maillot afin de se jeter à l'eau dans le spa extérieur. Ils sont fous, ces Français!

L'impact économique de la motoneige, c'est ça. Des auberges en bois rond perdues au fin fond de la forêt accueillent, chaque hiver, des groupes de Français en quête de grands espaces. Dans les Hautes-Laurentides, ils constituent la raison de vivre des pourvoiries et des restaurants. «Sans eux, je ne survivrais pas à l'hiver», dit Marc Paquette, copropriétaire du Restaurant des Lacs, à Chute-Saint-Philippe.

Les cousins, eux, s'étonnent de rencontrer des Québécois qui ne pratiquent pas régulièrement ce sport motorisé. «Quoi, vous ne faites pas de scooter des neiges à Montréal?» s'étonne une Française avec qui je discute dans une cabane à pêche. Eh bien! non, madame!

Selon la Fédération des clubs de motoneigistes du Québec, 13 % de la population québécoise de 15 ans et plus pratique la motoneige, soit environ 800 000 personnes. Cependant, les opposants à la motoneige avancent plutôt le chiffre de 4 %.



Repères


> S'Y RENDRE?

Autoroute 15, puis route 117 jusqu'à Mont-Laurier. Durée approximative du voyage : 2 h 30 si l'on part de Montréal.

> OÙ LOUER UNE MOTONEIGE?

Situé au coeur de Mont-Laurier, Location Constantineau est le principal fournisseur de motoneiges dans la région. À la location d'un véhicule, la combinaison de motoneige est fournie. Du magasin, on peut accéder à divers sentiers de motoneige. www.fconstantineau.com

> OÙ DORMIR?

Le plaisir de la motoneige, c'est de dormir dans des auberges perdues au creux de la forêt. Dépaysement garanti. Chez Mekoos, l'hébergement se fait en auberge ou dans des chalets en bois rond. À l'Auberge Rabaska, on accueille la clientèle dans de sympathiques chalets en bois rond face au réservoir Baskatong. À Mont-Laurier, plusieurs hôtels du boulevard Albiny-Paquette peuvent vous héberger le jour de votre arrivée ou le jour de votre départ. À noter que certains établissements, dont le Comfort Inn, offrent des forfaits motoneige.

www.mekoos.com

www.lerabaska.com

www.comfortinn-ml.ca

> OÙ MANGER?

Dans les Hautes-Laurentides, les meilleures tables se trouvent dans la forêt. Les pourvoiries que j'ai visitées (Mekoos et Rabaska) offrent des plats de qualité. Il existe aussi certains restaurants dont la vocation première est de sustenter les motoneigistes. C'est le cas entre autres du sympathique Restaurant des Lacs, à Chute-Saint-Philippe (tél. : 819-585-9500) ou du Relais de la montagne du Diable, perché sur la montagne du même nom (tél. : 1-888-560-9988).