L'appartement de Terje Lingaas n'a rien d'un Four Seasons. Il est loin du centre-ville - une bonne trentaine de minutes d'autobus à partir de la gare centrale d'Oslo - et un peu bordélique, avec ses nombreuses plantes et ses bacs de fines herbes posés partout. Pourtant, on s'y sent mieux accueilli que dans bien des grands hôtels de la planète.

L'étudiant en journalisme de 27 ans a accepté de m'héberger chez lui, en juin dernier, après un simple échange de courriels. Il m'a offert un sofa où dormir, comme il l'avait déjà fait avec des dizaines d'autres étrangers depuis qu'il s'est inscrit au site Couchsurfing.com il y a un an.

 

Le concept du couchsurfing est simple: c'est un réseau gratuit, qui met en contact des voyageurs à la recherche d'un endroit où dormir et des gens intéressés à les accueillir sans rien demander en retour. Des gens comme Terje, piqués par la passion du voyage et l'envie de rencontres nouvelles.

Le jeune Norvégien a été introduit au couchsurfing par son ex-copine, un peu contre son gré. «Au début, je trouvais que c'était vraiment stupide de recevoir des étrangers chez moi, raconte-t-il. Mais ensuite, je me suis mis à vraiment aimer ça. Et comme je n'ai pas le temps de voyager en ce moment, c'est un peu comme si je voyageais sans quitter la maison.»

La popularité du phénomène a littéralement explosé ces dernières années. Le site Couchsurfing.com compte maintenant 735 500 membres, dont 10 000 à Montréal. Plus de 6300 «nouveaux sofas» se sont ajoutés... seulement la semaine dernière! D'autres sites similaires, comme hospitalityclub.org et servas.org, rejoignent aussi des centaines de milliers de voyageurs partout dans le monde.

Cette manière de voyager permet évidemment de limiter les coûts d'hébergement pour les touristes au budget serré. Mais selon toutes les personnes interrogées, tant chez les hôtes que chez les globe-trotters, l'intérêt humain du couchsurfing dépasse de loin les considérations économiques.

«Ce sont des gens dans le même beat, avec la même mentalité, qui ont beaucoup voyagé et qui sont ouverts à d'autres cultures et d'autres langues, dit Anuj Khosla, un Montréalais qui a accueilli une dizaine de touristes chez lui au cours des derniers mois. Ça donne de beaux échanges.»

Les échanges en question sont de toutes les natures: philosophiques, politiques, linguistiques, ou simplement culinaires. Mon hôte Terje, par exemple, m'a montré comment préparer le saumon à la norvégienne, tandis que je lui ai expliqué les grandes lignes de la cuisine québécoise.

Tour de ville

Plusieurs membres de Couchsurfing.com n'offrent pas de sofa où dormir, mais proposent plutôt de rencontrer le voyageur pour un café ou un petit tour de ville. Des rendez-vous qui s'avèrent parfois cruciaux à la réussite d'un voyage, comme l'a constaté David Sauriol, un Montréalais de 28 ans qui a fait un séjour de trois semaines en Ukraine l'été dernier.

Le jeune homme a rencontré deux membres du réseau peu après son arrivée à Kiev. Ils l'ont aidé à saisir quelques particularités du pays et surtout à acheter de précieux billets de train. Une aide hautement appréciée dans cette contrée où l'anglais demeure peu utilisé.

«Ça m'a permis de bien comprendre plusieurs choses qui n'étaient pas expliquées dans les guides et qui m'ont servi tout le reste de mon voyage, dit David Sauriol. Je ne crois pas que mon voyage aurait été aussi réussi si je n'avais pas fait ces rencontres les deux premiers jours.»

Sébastien Chiou, concepteur web de 28 ans, juge lui aussi que son récent séjour en Irlande a été bonifié grâce aux contacts qu'il a tissés sur Couchsurfing.com avant de partir. «C'est une super belle façon de voyager, le fait de rencontrer des gens sur place qui peuvent vous présenter les lieux et vous amener boire une bière.»

Les personnes intéressées par le couchsurfing doivent prévoir une bonne trentaine de minutes pour créer leur profil internet. Les champs à remplir sont nombreux - description, intérêts, endroits visités, philosophie de vie, etc. - et la plupart des membres choisissent de mettre une photo.

Plus le profil est complet et vivant, meilleures sont les chances de rencontrer des gens avec qui le contact sera bon.

Pas que de bonnes expériences

Les adeptes les plus assidus du couchsurfing défendent bec et ongles la réputation de leur mouvement. La pratique est sûre et les membres du réseau sont de bonne foi, insistent-ils. Ce qui n'exclut pas les expériences fâcheuses, a-t-on constaté.

Parlez-en à Annick Boily, scénariste de 31 ans. La jeune femme a accueilli des étrangers à deux reprises dans son appartement de Montréal. Deux rencontres qui se sont mal déroulées.

La première fois, son invité a tenté de l'embrasser puis s'est enfui après qu'elle eut refusé ses avances. «Ça m'a donné l'impression que certaines personnes essaient de s'organiser des dates en se servant du site...» dit-elle.

Le touriste qu'elle a reçu par la suite, un Australien, s'est montré arrogant et n'a cessé de critiquer sa façon de vivre. En plus de s'incruster chez elle. «Il se comportait vraiment comme s'il était à l'hôtel.»

Selon Mme Boily, on ne peut pas toujours se fier aux références inscrites sur le site au sujet des membres. «Souvent, les gens racontent juste leurs bonnes expériences. Les mauvaises expériences, on n'en entend pas parler.»

Les témoignages affichés sur l'internet sont en effet favorables en grande majorité. Sur le site Couchsurfing.com, quelque 99,8 % des expériences recensées par les membres sont positives!

Les commentaires négatifs recueillis par La Presse font le plus souvent état d'impolitesse ou d'invités qui restent plus longtemps que prévu.

Ofélie Monast, jeune enseignante de Montréal, a fait plusieurs très belles rencontres grâce au couchsurfing, mais a aussi rencontré quelques «profiteurs», raconte-t-elle. Des gens qui pigeaient dans sa nourriture, utilisaient son ordinateur à profusion et la considéraient presque comme un taxi, sans même dire merci.

Un autre désagrément du couchsurfing, c'est qu'il peut être difficile, voire impossible, de trouver un endroit où dormir, même si on s'y prend longtemps à l'avance.

Par exemple, je suis entré en contact avec une bonne trentaine de personnes lors de la préparation d'un voyage à Stockholm, en mai dernier, et je n'ai reçu que des refus (ou pas de réponse du tout). La capitale suédoise compte pourtant plus de 2800 membres inscrits à Couchsurfing.com.

La plupart des gens qui m'ont répondu étaient... eux-mêmes en voyage!

Quelques règles à suivre

Comment être un bon invité si on vous offre un sofa où dormir? Le site Couchsurfing.com expose les règles de base à suivre pour rendre l'expérience la plus agréable possible. En voici quelques-unes...

> Apportez un petit cadeau à votre hôte, ne serait-ce que des fruits ou une bouteille de vin. Cela lui démontrera votre appréciation.

> Respectez le rythme des gens qui vous hébergent. Ils se couchent tôt? Faites de même.

> Ne traitez pas vos hôtes comme si vous étiez à l'hôtel! Ils vous rendent service en acceptant de vous accueillir.

> Si vous voyagez à deux, ne chuchotez pas entre vous dans une langue que l'hôte ne peut comprendre.

> Un principe de base, parfois mis de côté pendant les longs voyages avec un sac à dos: soignez votre hygiène corporelle. Et tâchez de garder l'endroit où vous dormez propre.

> Ne vous incrustez pas au-delà de la période convenue au départ avec votre hôte, à moins d'une invitation explicite à rester.

> Respectez les coutumes du pays où on vous accueille.

> Et surtout: dites merci!

 

Le couchsurfing en chiffres

Nombre de membres: 735 500

Âge moyen: 27 ans

Proportion parlant français: 33 %

Pays représentés: 232

Villes comptant le plus de membres:

Paris (14 044)

Londres (11 390)

Montréal (10 034)

Berlin (9377)

Vienne (6344)

Istanbul (5606)

New York (5390)

San Francisco (5013)

Melbourne (4941)

Toronto (4503)

Source: données tirées du site Couchsurfing.com, en date du 23 septembre 2008