Malgré les efforts déployés depuis quelques années, la police de Montréal entretient avec les sans-abri des rapports difficiles. La mort récente de deux sans-abri au cours d'interventions policières donne à croire que c'est sans espoir. Pourtant, des exemples édifiants existent ailleurs: Montréal pourrait par exemple s'inspirer de l'équipe de crise d'Edmonton, qui jumelle policiers et travailleurs sociaux en première ligne. Portrait de deux approches bien différentes... pour des clientèles tout à fait semblables.

L'agente Nicole Akers et la travailleuse sociale Amanda Anderson ont patienté de longues minutes dans le couloir avant que Jimmy ouvre enfin la porte de son appartement.

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Les deux jeunes femmes font partie de l'équipe de crise de la police d'Edmonton, une petite escouade qui s'occupe exclusivement des personnes vulnérables, aux prises avec des dépendances et des problèmes de santé mentale. Deux équipes sont affectées au centre-ville du matin au soir; quatre autres couvrent la périphérie. Les policiers font équipe avec des travailleurs sociaux et des psychiatres, qui relèvent des services de santé de l'Alberta.

Ils répondent aux appels d'urgence et font des suivis. Ils sont dépêchés en renfort lorsque les policiers ne savent pas comment réagir devant une personne en crise. La plupart du temps, ce sont des habitués de l'équipe de crise, des bombes à retardement.

Jimmy est l'un d'eux.

Il habite un minuscule appartement en sous-sol dans un secteur mal famé du centre-ville. L'immeuble est peuplé de toxicomanes et de prostitués. La travailleuse sociale Amanda Anderson n'y mettrait jamais les pieds sans une présence policière.

Assis sur son lit, Jimmy, 28 ans, roule une cigarette. Il dit qu'il a été battu. Encore une fois. Son visage est tuméfié. Il ne se souvient même pas qu'il a eu des points de suture. Un homme dort sur un bout de son matelas infesté de punaises.

«Qui est-ce? demande l'agente Akers.

- Mon colocataire», marmonne Jimmy, amorphe.

Nicole et Amanda sont venues lui rappeler qu'il a oublié d'aller à la clinique prendre ses médicaments. Toxicomane et schizophrène, Jimmy entend des voix qui lui dictent quoi faire. «Sans ses médicaments, il est imprévisible et peut causer toutes sortes de problèmes», explique la policière.

Aimantée sur le frigo vide, une carte de Noël: «Cher Jimmy, on est très contents du progrès que tu as accompli cette année.» Signé: maman et papa.

Amanda et Nicole sont retournées chez Jimmy plus tard dans la journée, pour le conduire chez le médecin. Jimmy se lamente, recroquevillé dans son lit. «Pourquoi me faites-vous ça?»

Après de longues négociations, Jimmy finit par s'habiller et sortir. «Il y a longtemps que je t'ai vu avec aussi peu d'énergie», se désole Nicole.

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L'équipe de crise a été créée en 2010 à cause du nombre élevé d'homicides à Edmonton: il y en a eu 47 l'an dernier, le pire bilan au pays. Les autorités se sont aperçues que plusieurs personnes impliquées dans ces meurtres souffraient de problèmes de santé mentale. L'alcool et la drogue font également des ravages, particulièrement dans la population autochtone, nombreuse dans la ville.

Au fil du temps, Amanda et Nicole ont établi un lien de confiance avec leur clientèle et les organismes.

La radio de Nicole grésille. Les employés d'un refuge viennent de voir Peter, que l'équipe de crise recherche depuis des mois. L'homme de 39 ans a fait beaucoup de prison par le passé et a déjà tenté de désarmer un policier.

Peter semble décidé à prendre sa vie en main et veut quitter les lits de fortune. Amanda passe quelques coups de fil et lui déniche rapidement un appartement. «C'est un nouveau jour, Peter», lance chaleureusement Nicole.

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En fin de journée, le policier David Klein et la psychiatre Caitlin Czernick, âgés de 27 ans, prennent la relève d'Amanda et de Nicole. Ils se sont greffés à l'équipe de crise il y a tout juste un mois.

Le soir, ils gèrent des situations plus explosives. La semaine dernière, David a dû dégainer son arme à feu dans un refuge parce qu'un homme menaçait des gens avec un couteau.

Ces jours-ci, une vague de froid intense frappe l'Alberta, avec des températures oscillant autour de -40°. Les sans-abri ont pris d'assaut les refuges, où David et Caitlin ne passent pas inaperçus.

Plusieurs personnes viennent leur parler. Un homme, agressif et visiblement intoxiqué, nargue le policier. Il l'invective, à quelques centimètres de son visage. David ne bronche pas et garde le sourire. «Je me sens comme un politicien quand je visite ces endroits. Je serre des mains, même s'ils sont nombreux à ne pas m'aimer», explique David.

Plus tard, ils visitent un autre refuge, surnommé le zoo. Les policiers y interviennent régulièrement. «La violence a tellement augmenté en ville que les gens commencent à apprécier leur présence», explique Brenda, une des employés.

Des policiers appellent David par radio. Ils ont besoin de Caitlin pour évaluer une jeune femme suicidaire. La veille, son mari lui a mis un couteau sur la gorge.

La nuit tombe.

Le lien fragile qui lie Amanda, Nicole, David et Caitlin à leur clientèle imprévisible a tenu le coup.

Jusqu'à demain.

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UPS-JUSTICE

En plus de l'EMRII, les policiers montréalais peuvent compter sur l'équipe d'Urgence psychosociale- justice (UPS) lorsqu'ils sont aux prises avec des cas lourds de maladie mentale. Cette équipe multidisciplinaire, qui regroupe notamment des infirmiers, des criminologues et des travailleurs sociaux, est prête à intervenir le jour comme la nuit. Comme l'EMRII, UPS-justice permet d'éviter que des gens déjà hypothéqués par toutes sortes de problèmes graves se retrouvent à répétition devant les tribunaux. Les membres d'UPS doivent évaluer l'état mental d'une personne en crise et sa dangerosité pour elle-même et pour les autres.