La mission qui a permis la fuite de Saadi Kadhafi et de sa famille au Niger a été financée en majeure partie par des «individus en Europe», selon Gary Peters, un ancien soldat australien qui a lui-même pris part à l'opération à la fin du mois d'août - et qui a failli y laisser sa vie.

M. Peters, qui a établi sa propre agence de sécurité privée en Ontario, assure que ni SNC-Lavalin ni Riadh Ben Aïssa, ancien vice-président directeur de la firme, ne l'ont payé pour prendre part à cette mission à haut risque en Libye.

«Tout ce que je peux dire, c'est qu'une partie de la mission a été payée par des individus en Libye, mais que la majorité a été payée par des individus en Europe», affirme M. Peters, qui refuse d'en dire davantage.

Saadi Kadhafi, comme les autres membres de la famille de l'ancien dictateur libyen, était sous le coup de sanctions de l'ONU qui lui interdisait de quitter le pays, alors en plein soulèvement.

La semaine dernière, M. Peters a été interrogé pendant près de cinq heures par des enquêteurs de l'Agence des services frontaliers du Canada.

«Ils voulaient savoir si je suis encore admissible au Canada, dit-il. Leur principale inquiétude était le combat armé au cours duquel j'ai été blessé à la fin du mois d'août. Une autre était de savoir comment j'ai été payé et par qui.»

M. Peters risque l'expulsion si l'Agence détermine que ses péripéties libyennes représentent un crime de guerre ou une menace à la sécurité du Canada. «J'attends leur décision. Je suis inquiet, mais je suis aussi en colère parce que je n'ai rien fait de mal.»

SNC-Lavalin n'a financé que la «mission d'établissement des faits» menée par Cynthia Vanier en juillet, selon M. Peters, qui a assuré la sécurité de la consultante lors de cette mission en Libye. L'Ontarienne est maintenant détenue en Mexique, accusée d'avoir comploté pour faire passer Saadi Kadhafi clandestinement dans ce pays.

À la fin du mois d'août, M. Peters est retourné en Libye. Il s'est d'abord arrêté aux bureaux de SNC-Lavalin en Tunisie, où il a rencontré Riadh Ben Aïssa. Selon M. Peters, il n'a pas été question de Saadi Kadhafi au cours de cette réunion.

Quelques jours plus tard, M. Peters a escorté Saadi Kadhafi au Niger. Sur le chemin du retour, son convoi a été pris en embuscade. Il y a eu une fusillade. Cinq rebelles libyens ont été tués, et M. Peters a été atteint à une épaule. Ses compagnons d'armes lui ont prodigué les premiers soins.

M. Peters a fini par rejoindre Tunis. Riadh Ben Aïssa lui a alors payé un billet d'avion pour lui permettre de rentrer de toute urgence à Toronto. La blessure s'est rouverte dans l'avion, et il a saigné abondamment sur son siège. Il s'est effondré à l'aéroport. On l'a amené à l'hôpital pour retirer la balle. La GRC l'a interrogé à ce moment.

«SNC-Lavalin a payé mon vol de retour pour que je puisse rentrer plus rapidement. C'est tout. Ils n'ont rien fait de mal.»

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Une année mouvementée

Février 2011 > Le soulèvement en Libye force SNC-Lavalin à suspendre ses travaux et à évacuer ses 4500 travailleurs du pays. La firme travaillait à la construction d'un aéroport à Benghazi, de conduites d'eau à Sarir et d'une prison controversée en banlieue de Tripoli.

Juillet 2011 > Au moment où les rebelles se rapprochent de Tripoli, SNC-Lavalin envoie Cynthia Vanier en «mission d'établissement des faits» sur le terrain. La consultante rédige un rapport critique à l'égard des frappes de l'OTAN. La firme verse 113 000$ à Mme Vanier pour ce rapport favorable au dictateur assiégé.

Août 2011 > Gary Peters, qui a établi sa propre agence de sécurité privée en Ontario, rencontre à Tunis Riadh Ben Aïssa, vice-président directeur de SNC-Lavalin. Ce dernier a tissé des liens étroits au fil des ans et des contrats avec le clan Kadhafi. M. Peters aide ensuite le fils du dictateur, Saadi Kadhafi, à fuir au Niger.

Novembre 2011 > Cynthia Vanier est arrêtée au Mexique. Les autorités l'accusent d'avoir comploté pour faire passer clandestinement Saadi Kadhafi et sa famille au Mexique. Stéphane Roy, vice-président aux finances de SNC-Lavalin, assiste à l'arrestation de ses présumés complices à Mexico.

9 Février 2012 > SNC-Lavalin annonce avoir rompu ses liens avec deux dirigeants mêlés à cette affaire: Riadh Ben Aïssa et Stéphane Roy. Elle laisse entendre qu'ils n'ont pas respecté son code de déontologie. M. Ben Aïssa se défend en menaçant de poursuivre la firme en diffamation.

28 février 2012 > SNC-Lavalin annonce l'ouverture d'une enquête interne sur des paiements inexpliqués de 35 millions de dollars et sur «certains autres contrats», sans plus d'explications. Les soupçons se tournent naturellement vers la Libye. Le titre de la firme dégringole.