Les critiques les plus écologistes de tout le projet de reconstruction du pont Champlain tiennent généralement à remettre en question le débit automobile sur la structure. Traversé par quelque 57 millions de véhicules par année, ce pont est, dit-on, le plus fréquenté du Canada. A-t-on besoin de tous ces camions et de toutes ces voitures émettant tous ces gaz à effet de serre? demandent généralement en premier tous ceux qui s'attardent au caractère écologique du projet.

Les étudiants, toutefois, ne se sont pas aventurés dans ce sens et le jury n'a pas amené la discussion sur ce terrain non plus. Tout comme la discussion n'a pas porté sur le caractère écologique des matériaux utilisés pour le nouveau pont.

Mais il était aussi très clair, durant la discussion, que personne dans le jury ou parmi les participants ne tenait à ce que la capacité du pont pour les voitures et les camions soit augmentée. Et les membres du comité ont en outre clairement été ravis que certains projets cherchent à se demander, mis à part la valorisation des transports en commun, quels défis environnementaux le nouveau pont pourrait relever.

À cet égard, le projet de Nicholas Cauchon, Philippe Cottaz, Hans Donacin et Samuel Lozeau est probablement le plus éloquent.

Les quatre étudiants en urbanisme, qui ont nommé leur projet le pont Layton, en hommage au chef du Nouveau Parti démocratique mort l'été dernier, proposent en effet d'intégrer des éoliennes nouvelle génération ainsi que des panneaux solaires dans la structure du pont. Le but: que le pont soit autonome énergétiquement. Train léger électrique en surface et coque percée avec des fenêtres évoquant les gouttes d'eau complètent le tout. À noter aussi: le pont n'est pas qu'un tablier enjambant le Saint-Laurent. Dans ce projet, il est pensé comme s'il s'agissait de tout un complexe de transport, dont le parcours intégré irait du centre commercial DIX30 jusqu'à la Place Bonaventure.

Le document présenté par Nathaniel Proulx Joanisse et Bernard-Félix Chénier soulève aussi cette possibilité de produire de l'énergie avec la structure. «Des turbines hydroliennes sont installées au niveau des fondations afin de produire l'électricité nécessaire à l'éclairage du pont, écrivent les étudiants. Cette énergie pourrait aussi permettre le fonctionnement des trains légers.»

L'autre grand axe «écolo» des projets présentés, c'est la conservation de l'ancienne structure, la récupération du pont Champlain actuel. On ne le démolit pas. On le garde, on le répare suffisamment, on lui redonne une nouvelle vie.

Et cette idée a beaucoup plu aux membres du jury, en commençant par le maire Gérald Tremblay, qui a plusieurs fois évoqué l'intérêt du High Line new-yorkais, (photo n°7) ce parc suspendu créé sur une ancienne voie ferrée aérienne, sur le flanc ouest de Manhattan. «J'aime l'idée de rendre le vieux pont vivant, de pouvoir aller y faire un pique-nique», lance le maire en regardant le projet «Les ponts Champlain» de Christine Robitaille et Roxane Bouchard Fortier.

Les deux étudiantes proposent en effet de conserver une partie de l'ancienne structure, le centre coiffé d'une structure de métal, pour en faire un parc déposé au beau milieu du fleuve.

Mais ce n'est pas le seul projet conçu avec l'ancien pont. «Le grand sault» de Didier Beaudoin, Pierre-Charles Gauthier et Martin Tanguay propose aussi de faire un parc avec la vieille structure. À ses pieds, on ajoute même des piscines d'eau du fleuve filtrée.

Le «pont vers l'avenir» de Raphaël Dionne et Éric Di-Méo propose quant à lui non seulement de conserver l'ancienne structure, mais de l'améliorer, en construisant par-dessus.

Oui, les étudiants voient des commerces sur le pont, même des résidences.

L'idée a surpris un des membres du jury, le maire Tremblay, mais ravi les architectes Gilles Saucier et Anne Cormier, qui ont évoqué les nombreuses constructions terminées ou projetées, dans le monde, allant dans ce sens, comme le Kraanspoort, à Amsterdam (voir photo en page5).

«C'est trippant, le pont devient un espace de vie, il y a explosion des rôles», note Louis-Philippe Pratte, designer industriel.

«Il y a quelque chose de totalement plausible. Un pont habitable, c'est possible, ajoute M. Saucier. Ce qu'il manque, c'est la réflexion pour aller plus loin pour que ça puisse devenir habitable.»

«C'est très flyé, ça», a conclu le maire Tremblay.