Pour lutter contre le décrochage scolaire, un collectif formé de six «sages» du monde de l'éducation dont l'ex-sous-ministre Robert Bisaillon et Paul Inchauspé, connus comme les pères de la réforme ne réclame pas des millions. Leur proposition? Donner aux écoles le pouvoir de se prendre en main et de trouver leurs propres solutions, au lieu de les paralyser avec des décisions venues d'en haut. Un cri du coeur qui va faire grincer des dents.

Ça va mal dans le système scolaire: les écoles étouffent, victimes de la bureaucratie et de la technocratie, selon un collectif de six sages du monde de l'éducation, qui lancent aujourd'hui L'école comme établissement d'enseignement et la réussite, obtenu par La Presse. Pris dans un système qui privilégie la norme au détriment des singularités, le personnel des écoles se démotive, ayant l'impression que son travail est désavoué par les commissions scolaires et le gouvernement.

 

Il faut que cela change, lancent les six sages, qui rêvent d'une école efficace. Où l'équipe-école prend en main la réussite des élèves, en ayant «la latitude et les ressources pour mettre en place des interventions appropriées à leur situation particulière». Une école qui embauche son propre personnel et choisit elle-même comment dépenser son budget: en achetant des ordinateurs ou en payant le salaire d'un animateur pour la cour de récré?

Actuellement, «il n'y a pas de possibilité d'être créatifs et inventifs et de s'adapter aux besoins du moment», a dénoncé Serge Morin, ex-président de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement (FQDE), l'un des auteurs.

«Essentiellement, on dit: qu'on laisse les écoles respirer et qu'on leur demande des comptes à la mesure des responsabilités qu'elles ont le droit d'assumer», a expliqué Robert Bisaillon, un autre des sages. Pour cela, «il faut alléger les encadrements», ceux des commissions scolaires, du ministère de l'Éducation, des syndicats, etc.

Changer le rôle des commissions scolaires

La ministre Michelle Courchesne l'a répété: le gouvernement dépense 841 millions par an pour prévenir le décrochage. Pourtant, un jeune sur trois n'a pas de diplôme du secondaire à 20 ans, un taux qui ne s'améliore pas depuis 20 ans. «Aujourd'hui, admettons qu'une ministre voudrait intervenir, quel programme de plus pourrait-elle bien mettre en oeuvre? Je serais incapable de lui dire», a souligné M. Bisaillon.

Au lieu d'ajouter un programme, il faut remettre en cause le système. «Les commissions scolaires ont eu le mandat, il y a 50 ans, d'organiser le système de façon à favoriser l'accessibilité, a rappelé Paul Inchauspé. Elles le font bien, sauf qu'à l'heure actuelle, le problème c'est la réussite.» Pas l'accès. «Les gens vont dire: est-ce que vous voulez la suppression des commissions scolaires? On n'en est pas là, a-t-il tranché. Mais il y a un contexte qui devra changer.»

«Est-ce qu'on peut donner à l'école la possibilité de faire un projet à court et moyen terme, sans que demain matin, d'en haut du Ministère arrive une directive, que de la commission scolaire arrive un formulaire, ou encore un programme sorti de nulle part?» s'est interrogé Jean Sauvageau, lui-même ex-directeur général de commission scolaire.

Si les auteurs font cette sortie maintenant, c'est qu'ils craignent les reculs, tant les équipes-écoles se démotivent. Aussi parce qu'ils estiment que la réforme devait mener à une plus grande responsabilisation des écoles. Or, dans certains endroits, «l'école est toujours considérée comme une simple succursale de la commission scolaire, la décentralisation des responsabilités y reste très limitée et les directions d'école ne sont pas partie prenante de décisions qui concernent leur école», notent les sages.

Assurer la stabilité

Une des priorités doit être d'assurer la stabilité du personnel, surtout en milieu difficile. «On travaille avec l'ancienneté à tout prix, mais est-on sûrs que c'est le bon moyen?» a demandé Serge Morin. «Peut-on garantir au flo qui entre à l'école un support affectif constant, d'une équipe qui va être la même pour un certain nombre d'années? a poursuivi Robert Bisaillon. Peut-on garantir à cette équipe qu'elle ne sera pas dans les pires conditions, qu'elle aura du développement, du mentorat, peut-être même des primes? On en a déjà parlé au Ministère.»

Outre la stabilité, quatre autres éléments sont nécessaires pour «renforcer le tissu de l'école», selon le collectif (voir encadré). Développer un sentiment d'appartenance, des liens avec la communauté, une diversité de projets et une plus grande autonomie. Le conseil d'établissement doit aussi mieux jouer son rôle, pour qu'en y participant, «les gens sentent qu'ils touchent aux vraies affaires et ne sont pas que l'équivalent des videurs de cendrier d'autrefois», a noté Robert Bisaillon.

Cette école idéale ne ressemble-t-elle pas aux écoles... privées? «Ce sont des éléments qu'on retrouve dans toutes les écoles du monde qui réussissent, qu'elles soient privées ou publiques», a répondu M. Bisaillon.

«J'ose espérer que le collectif va permettre une réflexion sociale, a commenté Chantal Longpré, présidente de la FQDE, à l'origine du collectif. On pense que la clé du succès pour rester accroché, c'est justement d'avoir une école singulière.»

Diane Miron, ex-présidente de la Fédération des comités de parents du Québec et Denis Massé, professeur retraité des universités de Sherbrooke et de Montréal sont aussi membres du Collectif pour l'éducation qui lance aujourd'hui L'école comme établissement d'enseignement et la réussite.