Dès l'an prochain, la commission scolaire des Patriotes, en Montérégie, limitera le nombre d'enseignantes à temps partiel dans ses écoles primaires, a appris La Presse. Et plusieurs autres commissions scolaires pourraient leur emboîter le pas.

Dans sa dernière proposition en vue du renouvellement de la convention collective des enseignants du Québec, le gouvernement Charest dit rechercher une «meilleure stabilité du personnel», ce que déplorent plusieurs enseignants.

Depuis quelques années, un nombre croissant d'enseignantes a demandé la semaine de quatre jours. «Le tiers de nos 780 enseignants ont obtenu un congé partiel cette année», mentionne le directeur des ressources humaines de la commission scolaire des Patriotes, Sylvain St-Jean.

Pour remplacer ces enseignants durant leur jour de congé, on embauche un suppléant, «souvent plus jeune et moins expérimenté». «Je dois en engager entre 60 et 70, précise M. St-Jean. Dans ma liste de suppléants, il ne me reste que 240 personnes pour toute l'année. En novembre, quand la grippe était à son plus haut et que l'absentéisme était élevé, il ne me restait plus que 31 enseignantes sur ma liste! Le risque de pénurie était très grand.»

C'est pourquoi la commission scolaire des Patriotes a resserré ses critères. Dès l'an prochain, seules les enseignantes qui ont des enfants de moins de 5 ans, qui ont la santé fragile ou qui s'occupent d'un parent malade pourront travailler à temps partiel. «Quand ce sera pour une question de qualité de vie, le temps partiel sera accordé une fois aux quatre ans», affirme M. St-Jean, qui reconnaît que cette décision «crée des remous».

Choqués

Au Syndicat de l'enseignement de Champlain, plusieurs membres sont effectivement choqués. «Le travail d'enseignant s'est beaucoup alourdi depuis quelques années. J'ai bien peur que la décision de la commission scolaire n'augmente l'absentéisme», dit le vice-président de la section des Patriotes au Syndicat de l'enseignement de Champlain, Richard Brisson.

Enseignante à temps partiel à l'école La Broquerie, Diane Boucher tient à préserver sa semaine de quatre jours. «J'ai été une des premières à me battre pour ça! Je trouvais qu'avec trois enfants à la maison, c'était le meilleur compromis», explique l'enseignante, qui a 30 ans d'expérience. Selon elle, si cet horaire de travail disparaît, «attirer des jeunes dans la profession sera encore plus difficile, alors qu'on se plaint justement qu'il y a pénurie».

Primordial

Sandra Boudreau, 35 ans, enseigne à temps plein en cinquième année à l'école Jacques-Rocheleau. Selon elle, préserver le travail à temps partiel est primordial: «Le gouvernement parle tout le temps de conciliation travail-famille. C'est important de donner le choix aux enseignantes de travailler quatre jours.»

Selon Mme Boudreau, le temps partiel permet de faire travailler des enseignantes plus jeunes. «C'est une forme de mentorat. Et ça donne un répit à des enseignantes d'expérience.»

À la commission scolaire des Trois-Lacs, à Vaudreuil, on n'accorde pas facilement la semaine de quatre jours, et ce, depuis des années. «On ne l'accepte que pour des raisons humanitaires, comme pour prendre soin d'un enfant malade», dit la responsable des communications de la commission scolaire, Colette Frappier.

La présidente du syndicat de l'enseignement de Vaudreuil, Véronique Lefebvre, rétorque que la commission scolaire des Trois-Lacs a «un des plus forts taux de congé de maladie au Québec». «On peut penser que c'est lié à la politique très stricte pour la semaine de quatre jours», dit-elle.

Dans ses dernières propositions en vue du renouvellement de la convention collective des enseignants, le gouvernement affirme vouloir «mieux contrôler les congés» pour assurer une meilleure stabilité du personnel.

Mme Boudreau croit au contraire que, si on limite le travail à temps partiel, de plus en plus d'enseignantes prendront des journées de maladie. «Et qui viendra faire des remplacements dans les classes, ces jours-là? Une remplaçante. Mais jamais la même. Si on veut la stabilité du personnel, ce n'est pas la solution», croit-elle.

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Et les enfants?

Pour justifier son intention de limiter le recours à la semaine de quatre jours, la commission scolaire des Patriotes affirme que des études ont démontré qu'il est important que les enfants aient un titulaire stable.

Or, chez les scientifiques, personne n'a vu ce genre d'analyse. «Je ne connais pas d'étude à ce sujet. Il en existe peut-être, mais je ne les ai jamais vues», dit le directeur du Centre de formation initiale des maîtres (CFIM) de l'Université de Montréal, Roch Chouinard.

Selon lui, le fait qu'une classe ait deux titulaires n'est pas nécessairement néfaste pour les enfants. «Il doit créer des liens affectifs avec deux personnes. C'est correct pour la majorité des jeunes. Mais pour certains qui ont plus de difficultés au plan affectif, cela peut être un problème», précise M. Chouinard. Ce dernier se plaît toutefois à dire que deux bonnes enseignantes qui partagent une tâche, «c'est mieux qu'une enseignante qui n'aime pas ça!»

Psychologue et professeur titulaire en adaptation scolaire à l'Université Laval, Égide Royer ne connaît pas non plus d'étude sur l'impact du partage des tâches pour les enfants.

M. Royer compare les enfants qui ont deux titulaires à un patient dans une chambre d'hôpital. «Les patients reçoivent la visite de plusieurs infirmières. Mais ces infirmières ont des standards professionnels qui font que la qualité des soins reste. C'est la même chose dans une classe», croit-il.

À l'Association québécoise des troubles d'apprentissage (AQETA), on refuse de prendre position sur le bien-fondé de la semaine de quatre jours. Mais on explique qu'actuellement, seules les enseignantes permanentes ont droit à de la formation pour les enfants en difficulté d'apprentissage. Selon la directrice générale par intérim de l'AQETA, Lise Bibeau, il faudrait prendre le temps de former les remplaçantes.