À 9h, au CPE Youppi à Laval, les enfants du groupe de l'éducatrice France* entrent dans leur local. Parmi eux, le petit Simon arrive en courant et se lance sur le sofa bleu et jaune qui trône dans un coin de la salle colorée.

«Bonjour Simon ! lance France en s'approchant du garçonnet et en prenant son visage dans ses mains. Regarde-moi mon beau...» Simon peine à poser ses yeux sur France. Il trépigne. Il jette des regards aux quatre coins de la salle. «Simon... Regarde-moi s'il te plaît», répète France. L'enfant dirige enfin son regard vers son éducatrice. «Ah ! Bonjour, mon beau Simon ! Ça va bien ?» demande-t-elle. «Oui», répond Simon, avant d'aller rejoindre ses amis.

Simon s'assoit par terre aux côtés de William et Olivier, qui jouent aux cartes. Il tente de demander une carte. «Donne. Je veux», dit Simon. Sa demande n'est pas comprise. «Carte ! Moi !» crie-t-il.

Simon est atteint d'un trouble du langage non déterminé. Le bambin de 4 ans ne parlait pas encore en février dernier. «Il utilisait un cahier de pictogrammes et nous pointait ses besoins comme "manger", "toilette"», explique France.

Personne ne sait de quoi souffre Simon. «Pour nous, c'est difficile. On ne sait pas toujours comment intervenir, explique l'éducatrice. Mais on fait de beaux progrès.»

Simon est un enfant doux. Quand il peine à se faire comprendre, il devient toutefois colérique. Son éducatrice doit toujours l'avoir à l'oeil et a donc moins d'attention à accorder aux autres.

Pour William, joli garçonnet aux cheveux blonds, ce manque d'attention est difficile à gérer. «William est très intelligent. Mais il a besoin d'attention. Quand je ne peux pas lui en donner, il peut déraper», note France.

C'est l'heure de la collation. France s'assoit à côté de William. Ils discutent un peu, mais l'éducatrice doit vite aller aider Simon qui a déjà mangé son orange et qui éprouve des problèmes au lavabo.

William est contrarié. Il prend son orange et la jette au loin. De sa voix douce, France le raisonne. Le garçon ramasse son orange. Mais William veut encore de l'attention. Il écrase des quartiers d'orange dans ses mains et laisse couler le jus sur la table en riant.

France reste calme. Elle s'approche de William en riant elle aussi. «Regarde les gouttes sur tes bras ! Quelle goutte va gagner et tomber en premier ?» demande-t-elle, tout en donnant un mouchoir à William qui essuie son dégât.

Vient ensuite l'heure du jeu. Une jeune stagiaire vient animer une activité. Assis en cercle, les enfants miment chacun leur tour une émotion, que les autres doivent deviner. La stagiaire veut alors complexifier son jeu et faire mimer ce dont ils ont envie aux enfants. Mais France refuse. «On ne peut pas. Simon ne pourra pas suivre», justifie-t-elle.

Pour William, le jeu devient vite ennuyant. Il s'agite. France le ramène à l'ordre. Irrité, William se fâche et va se cacher dans un coin.

France reconnaît être parfois déchirée entre Simon et William. «Simon ne parlait pas en février et il est maintenant capable de communiquer un peu. C'est épatant ! Dans son cas, c'est sûr que l'intégration a porté ses fruits», dit-elle.

Mais l'éducatrice concède que les autres enfants, dont William, peuvent être ralentis. «Je n'ai pas le temps d'apprendre certaines choses aux autres, note France. Comme écrire le nom des amis de la classe. Les plus vites l'apprennent seuls. On manque un peu de ressources pour pouvoir se concentrer sur tout le monde. Mais en même temps, les enfants intégrés apportent beaucoup aux autres en termes d'acceptation.»

S'ouvrir à la différence

Le directeur du CPE Youppi, Jean-Pierre Germain, est favorable à l'intégration. Il a même adopté une politique d'intégration en 2008, pour mieux encadrer la pratique dans son établissement. «Il ne faut pas négliger ce que les enfants ayant des besoins particuliers peuvent apporter aux autres. Ils permettent entre autres d'ouvrir à la différence», dit-il.

M. Germain reconnaît que l'intégration a ses limites. «Il faut que ce soit bénéfique pour les deux parties. Et ce l'est dans la majorité des cas. Mais on peut refuser d'intégrer des cas trop lourds», dit-il.

La conseillère pédagogique Christine Châles, référence de l'Association québécoise des CPE en matière d'intégration, croit quant à elle que quand l'intégration se fait avec un bon encadrement, «les CPE notent de belles réussites pour tous les enfants».

Des éducatrices dépassées

Selon un récent sondage qu'ont mené les Syndicats des intervenantes en petite enfance (SIPE), 78% des éducatrices affirment ne pas avoir reçu de formation spécifique sur l'intégration des enfants ayant des besoins particuliers.

Dans les formations techniques au collégial, la majorité des cégeps offrent un seul cours sur l'intervention auprès des élèves en difficulté. Le conseiller à l'action professionnelle à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), Luc Allaire, estime que ces cours «ne sont généralement pas suffisants pour faire face à la réalité».

*Les noms de tous les enfants et de l'éducatrice ont été changés.