Comme des milliers des parents, Sylvain Grégoire et Martine Clermont ont vécu le stress de la chasse à la place à 7$. Un stress décuplé par le fait que, pour une bonne partie de ces places, il n'y a aucune liste d'attente obligatoire. Rien n'empêche les responsables de services de garde en milieu familial (RSG) de choisir comme bon leur semble les enfants dont elles auront la charge.

Malgré les appels en ce sens de l'Association québécoise des CPE, le ministère de la Famille n'entend pas intervenir. Il recommande plutôt aux parents qui s'estiment lésés de porter plainte à la Commission des droits de la personne.

Quand Mme Clermont était en congé de maternité, l'an dernier, elle consultait le site Magarderie.com plusieurs fois par jour. Dès qu'une place se libérait dans son secteur, elle s'empressait de téléphoner. Un jour, elle est tombée sur une annonce qui disait: «Bienvenue aux enfants d'enseignants.»

Le couple, qui ne travaille pas dans ce domaine, a tout de même téléphoné à la RSG. «Tout allait bien jusqu'à ce qu'elle commence à poser des questions sur notre emploi, raconte M. Grégoire. Nous lui avons demandé quelle était la pertinence de ces questions puisque nous étions en mesure de payer. Elle a répondu: «Ce que je vise, c'est avoir six enfants d'enseignants.»»

La RSG voulait pouvoir profiter des vacances d'été. Manifestement, la fille de M. Grégoire n'était pas la bienvenue chez elle. La place est d'ailleurs restée libre pendant de longues semaines. «Pour moi, il est clair qu'il s'agissait de discrimination.»

Depuis cinq ans, le ministère de la Famille n'a reçu que huit plaintes pour discrimination dans l'ensemble des services de garde de la province. Mais les observateurs sont convaincus qu'un grand nombre de RSG refusent des enfants pour toutes sortes de raisons. Certaines n'acceptent que des fillettes sous prétexte qu'elles sont moins turbulentes que les garçons. D'autres favorisent les enfants les plus sages au parc du quartier. Avec la pénurie de places à 7$, elles ont l'embarras du choix.

M. Grégoire a sursauté à la lecture d'un dossier sur les services de garde publié dans Discrimiau mois de septembre. Le sous-ministre Jacques Robert y affirmait que le Ministère ne pouvait rien contre cette discrimination. En tant que travailleuse autonome, une RSG a le droit de choisir sa clientèle. «La loi lui donne cette possibilité. Elle n'offre pas un service public», avait dit M. Robert.

«Je suis propriétaire d'un immeuble. Selon cette logique, je pourrais faire passer une petite annonce dans laquelle je dirais: «Bienvenue aux Blancs!» C'est inacceptable», dit M. Grégoire.

C'est aussi l'avis du juge à la retraite Simon Brossard, qui a siégé pendant 10 ans au Tribunal des droits de la personne. «Quel que soit l'emploi occupé, aucune discrimination, à moins d'une contrainte excessive,n'est tolérée en vertu de l'article 10 dela Charte des droits et libertés de la personne du Québec, explique-t-il. L'argument selon lequel ces femmes sont des travailleuses autonomes ne constitue pas une défense admissible.»

«Si les RSG n'acceptent que des petites filles parce qu'elles sont moins turbulentes que les garçons, c'est de la discrimination selon le sexe. C'est un motif interdit», ajoute l'ancien juge, qui estime aussi que le fait d'accepter uniquement des enfants d'enseignants constitue de la discrimination selon la condition sociale.

«Les RSG ont le droit de choisir leur clientèle. Par contre, elles n'ont pas le droit de faire de la discrimination», nuance Étienne Gauthier, porte-parole du ministère de la Famille. «Si des parents constatent une violation de leurs droits fondamentaux, ils peuvent porter plainte à la Commission des droits de la personne.»

Ça ne devrait pas être aussi compliqué, rétorque Jean Robitaille, directeur général de l'Association québécoise des centres de la petite enfance. Il propose plutôt au Ministère de forcer les RSG à utiliser les listes d'attente régionales. «Elles seraient tenues de justifier le refus d'un enfant inscrit sur cette liste. On est prêt à concéder que le milieu familial est petit et que le courant doit passer dans le groupe. Mais ce courant ne doit pas être un frein à l'acceptation des enfants.»

L'enjeu est important puisque 43% des places à 7$ se trouvent en milieu familial. «C'est considérable, dit M. Robitaille. On ne peut pas traiter ça à la légère. Il faut s'assurer que les parents qui ont besoin d'une place en milieu familial puissent y avoir accès sur des bases équitables, dans un contexte où leurs demandes seront traitées avec transparence et intégrité.»