Beaucoup de parents attendent en vain, parfois pendant des années, une place dans une garderie à 7$, alors que le petit voisin a sa place depuis longtemps. Lexplication est simple: il existe bel et bien des facteurs de discrimination pour sélectionner un enfant plutôt qu'un autre sur les listes dattente. La ministre de la Famille, Yolande James, le reconnaît, mais le problème persiste.

La date de naissance d'un enfant, son sexe, sa condition ou son lieu de résidence sont tous des facteurs pris en compte au moment de décider à qui l'on attribuera une place dans une garderie à 7$.

Plusieurs de ces critères d'admission sont discriminatoires. «Il y a des problèmes», reconnaît la ministre de la Famille, Yolande James dans une entrevue avec La Presse.

La gestion actuelle des listes d'attente donne lieu à des pratiques pour le moins douteuses, confirme la directrice d'un centre de la petite enfance (CPE) de Laval sous le couvert de l'anonymat. Par exemple, les bébés nés au printemps ont moins de chance d'obtenir une place. «Dans une pouponnière de cinq enfants, tu ne veux pas d'enfants nés au mois d'avril. Tu ne peux pas l'assumer financièrement.»

La plupart des services de garde à 7$ forment leurs groupes en septembre, suivant le calendrier scolaire. Ils ne veulent pas les modifier en cours d'année.

À la pouponnière, le ratio éducatrice-enfant est de 1 pour 5 alors qu'il est de 1 pour 8 dans les autres groupes d'âge. La subvention accordée aux CPE et aux garderies pour les poupons est donc plus élevée, jusqu'à ce que l'enfant ait 18 mois.

De manière transitoire, le Ministère verse maintenant cette subvention jusqu'à 24 mois moins un jour, le temps qu'une place se libère dans un autre groupe d'âge. Mais ce n'est pas suffisant.

«Pour ce qui est des dates de naissance, il y a un problème. Le Ministère a été interpellé, mais ce n'est pas sa priorité pour l'instant», déclare Michel Cliche, du Regroupement des CPE de l'île de Montréal.

La ministre Yolande James reconnaît pourtant qu'il s'agit d'une pratique illégale. «C'est contre la loi de discriminer une personne ou un enfant sur l'âge. C'est inadmissible, inacceptable, et j'invite les parents à dénoncer toute situation semblable», dit-elle.

Nombreux cas de favoritisme ou de discrimination

Avec des listes d'attente très impersonnelles où s'alignent des centaines de noms sans visage, les responsables des services de garde ont l'embarras du choix.

«Quand il y a 400 enfants qui attendent, qu'on prenne le 18e plutôt que le 6e, ça ne change rien, c'est un nom. Si ça t'arrange mieux sur le plan financier, tu prends le 18e», dit la directrice qui a accepté de nous parler.

Les listes d'attente centralisées ont réglé certains problèmes, mais d'autres perdurent puisque tous les services de garde n'y participent pas.

«Aucun parent n'arrivera à avoir leur place en soudoyant une direction générale. Ça ne se fait plus», affirme toutefois Michel Cliche, du Regroupement des CPE de l'île de Montréal.

En revanche, les cas de favoritisme ou de discrimination sont nombreux. La sélection des enfants en fonction de leur date de naissance est loin d'être le seul exemple, comme en ont témoigné de nombreux parents qui ont joint La Presse.

Certains ont obtenu une place dans une garderie parce qu'ils y connaissaient quelqu'un. D'autres se sont présentés régulièrement au service de garde. Des parents ont même envoyé à un CPE une carte avec la photo de leur enfant, pour dire à quel point ils avaient aimé l'endroit. C'est le seul CPE qui les a rappelés.

Selon plusieurs parents, les CPE et les garderies privées subventionnées préfèrent les enfants qui y seront à temps plein, idéalement de 9h à 17h, et qui prennent un nombre limité de congés et de vacances.

Dans les services de garde en milieu familial, le phénomène se produit aussi. Selon plusieurs parents, il était clair que l'éducatrice choisissait ses enfants et préférait les filles aux garçons parce qu'elles «sont plus tranquilles». D'autres sélectionnent les enfants d'enseignants, question de bénéficier d'un été plus tranquille.

La difficile question de l'universalité

La Loi sur les services de garde éducatifs à l'enfance prévoit que le principe d'universalité doit s'appliquer. En contrepartie, les CPE et les garderies privées subventionnées sont libres d'accepter ou de refuser un enfant en fonction de leurs ressources et de leur organisation.

Ils doivent également se doter d'une politique d'admission et la faire connaître au Ministère. Mais comme les services de garde sont autonomes, il n'existe pas de politique d'admission uniforme.

Ainsi, des services de garde accordent la priorité aux enfants de leurs employés, puis à la fratrie des enfants qui y sont déjà, aux employés de certaines entreprises ou aux résidants du quartier. D'autres favorisent les enfants de familles monoparentales ou prestataires de l'aide sociale. D'autres appliquent des critères discriminatoires.

La question n'est pas simple, souligne la ministre, Yolande James. «On ne peut pas appliquer bêtement le principe d'universalité. Ça pourrait avoir comme conséquence qu'une mère ait trois enfants qui fréquentent trois services de garde différents», dit-elle pour montrer l'importance de donner priorité à la fratrie.

La ministre, qui reconnaît toutefois que des problèmes de favoritisme et de discrimination perdurent, a décrété au printemps une période de réflexion et un «chantier» avec le milieu pour étudier certains problèmes.

Les parents qui se sentent lésés sont également invités à le faire savoir, mais peu se rendent à cette étape.

La Commission des droits de la personne et de la jeunesse n'a reçu qu'une plainte pour discrimination dans un CPE, en 2009, et c'était pour un motif d'allergie. L'an dernier, quatre plaintes ont été déposées, dont l'une pour des pratiques alimentaires liées à la religion et trois concernant un handicap.

Le Ministère a pour sa part reçu 24 plaintes en 2009-2010 et 30 l'année dernière au sujet de la gestion des listes d'attente.