Jusqu'à sa nomination comme juge en 2006, Jacques A. Léger, spécialiste en propriété intellectuelle, a été avocat commercial pour les Hells Angels de Montréal.

Me Léger, alors associé au cabinet bien connu Léger et Robic, conseillait spécialement le membre en règle Robert Bonomo en matière de marques de commerce. Au fil des ans, l'avocat et ancien président du Parti progressiste-conservateur a enregistré plusieurs marques de commerce au profit des Hells Angels de Montréal inc.

 

Les Hells, en effet, sont très jaloux de leurs marques de commerce, logos et designs. Leur fameuse aile est dûment enregistrée au Bureau des marques de commerce du Canada, ainsi que des marques qui leur appartiennent, telles Big Red Machine, Red and White, et des dessins associés à des marques.

Me Léger les conseillait également sur l'opportunité d'enregistrer des domaines sur l'internet ou la faisabilité d'un enregistrement de telle ou telle marque.

«Ça ne m'a jamais traversé l'esprit de mentionner ça (au comité de sélection des candidats à la magistrature)», a dit hier le juge Léger, qui a été promu à la Cour d'appel en février 2009 après deux ans et demi à la Cour supérieure.

«C'était tellement minuscule dans ma pratique, et d'autre part, c'était purement administratif», a-t-il dit.

Bien entendu, il savait qui étaient les Hells Angels. Difficile de faire autrement après la guerre des motards, la rafle de Printemps 2001, quand une centaine de motards ont été arrêtés, et les superprocès qui ont suivi.

Le juge Léger précise qu'il n'a rencontré M. Bonomo qu'une seule fois. «Les justiciables ont le droit d'être représentés pour leurs activités juridiques légitimes, et je l'ai fait dans ce cadre-là, dans un mandat très restreint», a-t-il dit.

De fait, il n'y a rien d'illégal ou de contraire à la déontologie là-dedans. Mais pour plusieurs avocats d'expérience, quand on accepte de conseiller sur le plan commercial des membres d'une organisation criminelle reconnue, définie maintes fois comme un gang au sens du Code criminel, ce peut être incompatible avec l'ambition de devenir juge.

«Il y a une différence avec les criminalistes, qui défendent les droits fondamentaux d'une personne, opine un avocat souvent consulté par les comités de nomination. Plusieurs des grands juges que nous avons eus (Antonio Lamer, Michel Proulx, Morris Fish, etc.) sont d'anciens avocats de la défense, et ont par définition défendu des criminels. La déontologie veut qu'ils acceptent les clients quand ils se présentent sans les juger (la règle de la «file de taxis», comme disent les Anglais). Quand il s'agit d'affaires commerciales, c'est d'un autre niveau, on peut choisir ses clients, même s'ils ne nous demandent rien d'illégal. On peut décider qu'on ne les aidera pas à faire des affaires.»

D'autres estiment qu'il n'y a aucun problème, puisqu'il s'agit d'actes parfaitement légaux ayant trait à de la marchandise en vente libre - t-shirts, ceinturons, etc. Robert Bonomo, 62 ans, est un membre fondateur des Hells à Sorel. Il a été arrêté et accusé de meurtres dans le cadre de l'opération SharQc, en avril 2009.