Les fugues chez les jeunes placés sous protection de la DPJ ont augmenté de 53% en quatre ans dans les centres jeunesse de Montréal. Un phénomène également observé à l'extérieur de la métropole.

Résultat: les centres viennent de recevoir l'aval de Québec pour pouvoir, dès cet automne, ramener certains jeunes derrière des portes verrouillées.

«En ce qui concerne les fugues, notre grille (d'évaluation des jeunes) va avoir plus de mordant. On veut intervenir de façon plus précoce pour éviter que la situation ne se dégrade», indique en entrevue la directrice des services de réadaptation aux centres jeunesse de la Montérégie, Catherine Lemay, qui participe à la révision pilotée par le ministère de la Santé.

«On ne peut pas nier qu'il y a eu des fugues. C'est pour mieux gérer ça qu'on veut adapter les outils. La révision est normale et intelligente pour le bien des enfants», confirme l'attachée de presse de Dominique Vien, ministre déléguée aux Services sociaux.

Fin 2007, la Loi sur la protection de la jeunesse a changé pour obliger les centres à enlever les serrures qui barraient l'entrée de la majorité des unités. Depuis, les centres comptent entre trois et quatre fois moins de places dans des lieux sécurisés. «C'est devenu une exception d'être en encadrement intensif», résume Judith Laurier, porte-parole de l'Association des centres jeunesse du Québec.

À Montréal, le nombre de fugues est passé de 396 à 546 entre 2006-07 et 2007-08, soit sitôt la loi entrée en vigueur. «C'est évident qu'on remarque une augmentation. Maintenant, si un jeune est fâché, il n'y a rien pour le retenir», expose Jocelyne Boudreault, porte-parole des centres jeunesse de Montréal.

Tous les jeunes ne se mettent pas à fuir pour autant. D'après les statistiques obtenues par La Presse, à Montréal ils sont deux ou trois dizaines de plus à s'y risquer chaque année. Et dans bien des cas, ils partent moins d'une journée. Si le nombre de fugues explose, c'est plutôt parce que «les mêmes jeunes fuguent plusieurs fois», explique Isabelle Lavertu, chef de service au centre pour garçons Cité-des-Prairies.

«Avant, les jeunes n'avaient pas d'autre choix que de rester près de nous en sécurité. Mais pour certains, aussitôt que ça ne fait pas leur affaire, ils nous quittent. Ils sont toujours dans la fuite. Ça brise le lien, ça coupe la continuité de l'intervention et on repart à zéro. Ça nous fait vivre beaucoup d'impuissance», se désole l'intervenante.

En Montérégie, la disparition des serrures a fait bondir le nombre de fugues à environ 400 par année, alors qu'elles «n'étaient pas un problème», indique le directeur des centres jeunesse de la région, Alain Saint-Pierre. «C'est évident que les fugues ne vont pas disparaître, mais on est en train de reprendre le contrôle de la situation. Elles sont en baisse cette année», nuance-t-il.

«On s'est ajusté. On sensibilise les jeunes aux dangers des fugues, on essaie d'avoir une idée de l'endroit où ils pourraient aller, et quand ils reviennent, c'est plus structuré.»

À Laval, une psychologue parle de fuites en «quantité effrayante», quoique que les statistiques officielles ne le montrent pas.

En Estrie, le directeur des centres jeunesse Bruno Maranda, n'a observé aucun changement. «Quand la loi a changé, on a enlevé les serrures sur une unité de 12 garçons et aucun n'a fugué, dit-il. Les serrures n'étaient pas ce qui les retenait. C'était la qualité de la relation avec les éducateurs. C'est ce qui fait que les enfants se sentent en sécurité et veulent demeurer pour l'ensemble de leur traitement.»

Un nouveau monde

Désormais, on tente d'offrir aux jeunes sous protection la vie la plus normale possible. «On n'est pas des centres de détention, on est là pour faire de la réadaptation, précise Judith Laurier, porte-parole de l'Association des centres jeunesse. Ils vont à l'école du quartier. Ils vont acheter leurs produits à la pharmacie. Il y en a qui ont des loisirs et qui jouent au football ou au soccer après l'école, comme ils le feraient chez eux.»

En Estrie, Bruno Maranda s'en félicite. «Les éducateurs ont été inquiets, mais ça leur a permis de changer le regard qu'ils portaient sur les jeunes, dit-il. Il ne faut pas mettre une étiquette de dangerosité sur des enfants qui sont d'abord des victimes. Nous intervenons parce que leur sécurité est en jeu ou qu'ils ont développé des troubles de comportement en réaction aux mauvais traitements qu'ils ont subis.»

À Montréal aussi, la loi a eu du bon, estime Isabelle Lavertu, chef de service à Cité-des-Prairies. On a ajouté des activités pour que les jeunes se plaisent plus aux centres. On leur donne aussi des ateliers pour apprendre à vaincre leur colère et leur stress afin qu'ils puissent gérer leurs problèmes sans fuguer. «Ça aide parce que ça les outille, dit-elle. Quand il y a une structure physique, si on dit non à un jeune, il n'a pas d'autre choix que de se conformer mais il n'apprend pas nécessairement.»

Autre nouveauté: «On fait participer les jeunes au code de vie, au lieu que ce soit totalement imposé», dit l'intervenante.

Chose certaine, la loi est entrée en vigueur très vite et les éducateurs ont eu peu de temps pour s'y adapter. Ceux qui passaient d'un type d'unité à l'autre ont été formés, assure-t-on toutefois au cabinet de la ministre déléguée aux Services sociaux. Le nombre d'éducateurs aurait aussi augmenté dans les unités ouvertes, maintenant qu'on y héberge quelques cas plus difficiles.

Des jeunes qui ont connu les deux systèmes donnent toutefois beaucoup de fil à retordre à leurs éducateurs, relate Caroline Dufour, qui côtoie les jeunes de la DPJ et leurs intervenants dans le cadre de son travail à l'organisme communautaire montréalais Dans la rue. «On me dit que ces jeunes voient une incohérence entre leurs éducateurs, qui les embarraient pour les protéger, et le gouvernement, qui est venu leur dire qu'ils avaient tort. Ça discrédite le travail des éducateurs à leurs yeux et ça intensifie leur révolte.»